TRACOLS, ACCOLS & SACCOLS

Rédigé par Romain

TRACOLS, ACCOLS & SACCOLS

Je me suis toujours demandé ce que Georges Pérec, qui aimait triturer les mots et la langue et manipuler les listes et les compilations, mais aussi qui aimait la bicyclette, ce que Georges Pérec donc aurait pensé du Club des Cents Cols, et de ces doux dingues de cyclos qui compulsent, comparent, compilent, comptent, comptabilisent, recensent, (censurent ?), classent les cols (en plus de les franchir !).

En effet une liste de quelques centaines de cols franchis et a fortiori LA liste (le Chauvot) se prêtent comme toute série mathématique à toutes sortes de manipulations et statistiques diverses. On est aussi souvent tenté de jouer avec les mots et les appellations des cols. Un autre angle d’attaque est encore de s’intéresser aux “appellations purement régionalistes, voire séparatistes” (1).

Par exemple mon département l’Ardèche se caractérise par un PERTUSOL à l’ étymologie transparente, Pertusol fort justement homologué par Robert Chauvot (07-0639).

L’Ardèche se singularise aussi pas ses COULETS. On trouve dans le Chauvot 16 “Le Coulet”, dont 13 sont situés en Ardèche. Si l’on rajoute à ces cols deux “Col de la Croix du Coulet”, un “Les Coulets” (mon millième col), un “Le Couletet” (tous ces cols étant situés en Ardèche), on constate que 17 des 22 cols du Chauvot comportant le nom “Coulet” sont ardéchois. Il y a aussi dans la “bible” 9 cols dont l’intitulé est “Coulet” (“Coulet de xxx”), 9 cols dont 5 sont ardéchois.

Le Coulet : F-04-1870, F-07-0370, F-07-0446, F-07-0479, F-07-0490, F-07-0517, F-07-0582b, F-07-0594, F-07-0650,
F-07-0729, F-07-0740a, F-07-0750, F-07-0855, F-07-0900, F-30-1063, F-84-0370
Pas du Coulet F-34-0621
Col de la Croix du Coulet F-07-0540a
Col de la Croix du Coulet F-07-0551
Le Couletet F-07-0605
Les Coulets F-07-0892
Le Grand Coulet F-05-1869
Coulet de Nouron F-04-1132
Coulet d’ Audi F-06-1657
Coulet de la Conquiste F-07-0604a
Coulet de Vernadel F-07-0684
Coulet d’ Auzon F-07-0749
Coulet de la Soulière F-07-0834
Coulet de Pecoyol F-07-1264
Coulets d’ Estrets F-34-1015a
Coulet Redon F-84-1022

L’étymologie du mot COULET ne pose pas de problème : c’est le collet, le “petit col”, le COULETET étant donc le petit petit col…

On retrouve à un degré moindre cette concentration des COULET au niveau des patronymes familiaux : 63 des 951 COULET inscrits au téléphone sont ardéchois (mais 136 dans l’Hérault, 80 dans les Bouches du Rhône, 70 dans le Gard, 62 dans le Var…)

Ceci me permet d’ouvrir une parenthèse pour évoquer mes ascendants COULET : ma trisaïeule Thérèse COULET (1846 – 1916) de Lablachère (07), et, en remontant ma lignée directe, Jean François (fils) (1813 – 98), Jean François (père) (1788 – 1864), Jean (? – 1826), Pierre COULET (? – 1770) de Gravières (07)…

Ceci me fait ouvrir une seconde parenthèse : à l’époque où fleurissent dans certaines contrées des panneaux de cols au nom d’un “usage local” (qui le plus souvent surprend en premier les habitants de ces contrées), on peut trouver à mon avis un exemple plus crédible de “l’usage local” dans l’ exemple des COULET de Lablachère; leur nom, venant visiblement d’une particularité géographique de l’habitat d’un de leurs (mes) ancêtres, est présent dans cette région de (très) moyenne montagne longtemps avant que l’ idée d’un curieux véhicule à deux roues ait germé dans l’esprit du Baron Drais, et a fortiori encore plus longtemps avant que l’idée d’un non moins curieux club ait surgi dans le cerveau de Jean PERDOUX. Je referme les parenthèses pour évoquer une autre quasi-spécificité de l’ Ardèche : les TRACOL.

5 des 8 TRACOL du Chauvot sont ardéchois :
F-07-0295, F-07-0400, 07-0640, 07-0740b, 07-0971, 38-1445b, 42-1083, 63-0362

Au niveau des patronymes, la concentration ardéchoise est encore plus forte que dans le cas des COULET : en 2000, 80 des 399 TRACOL inscrits sur l’ annuaire en France sont ardéchois (et 116 drômois). La base de données généalogiques 3617 RACINA donne 5 références antérieures à 1820 de gens nommés TRACOL, dont 4 références ardéchoises, l’une étant localisée à Preaux en 1464 ! “Lo Cercaire” qui a mené une étude sur l’annuaire ardéchois il y a dix ans (2), note de plus qu’à l’exception d’un cas, tous les TRACOL retrouvés à cette époque habitaient dans le Haut Vivarais, ce qui confirme bien l’ étymologie : TRACOL doit se comprendre “tras col”, littéralement au-delà du col, au travers du col, passer le col; d’où le verbe occitan “tracolar / trecolar”, qui se prononce “trakoula, trékoula, trékola” qui signifie “passer derrière le mont” : le soleil “trècoule”… Ou bien, au sens figuré passer au-delà, disparaître, décéder. “L’ome de la Loisa a trecolat…” : “le mari de la Louise est passé de l’autre côté” trouve-t-on dans le dictionnaire “L’Occitan – Nord Vivarais” (à rapprocher de l’expression employée dans notre club “il a franchi son dernier col”…). Je l’ai entendu employé dans un sens affaibli de passer au travers, traverser : “j’ai tracoulé vers Fabras…”. “Lo Cercaire” précise : “ce qu’évoque TRACOL, c’est l’habitant d’une maison blottie près du col, généralement du côté sud”. Ceci est particulièrement visible dans le cas des TRACOLS 07-0400, 07-0640, 07-0971 pour lesquels la carte 1/25000° montre bien que le lieu-dit est légèrement en dessous du col à proprement parler ; de même pour les TRACOLS situés l’un 1 km en dessous du Col de Mezilhac, l’autre à 200 m du Col de Juvenet, ces deux TRACOLS n’étant à juste titre pas homologués comme cols.

Le terme de TRACOL m’amène à deux autres termes ardéchois, très proches, ACCOL et SACCOL.

Les ACCOLS, parfois retrouvés sous le nom de “accou”, “couol”, mais encore suivant les régions “faïsse”, “bancel”, “escham”, “chamba”, et autres, ce sont les terrasses : ces aménagements sur les pentes déclives, formant des sortes de gradins, rend(ai)ent possibles les cultures là où elles ne l’ étaient pas, grâce à une série de paliers horizontaux soutenus par des murettes de pierres sèches (3). Les ACCOLS sont les témoins de la persévérance et de l’opiniâtreté de nos Anciens, confrontés au problème de la recherche et de l’aménagement de zones cultivables, dans cet âpre pays qu ‘est l’Ardèche. On est frappé par le colossal travail d’épierrage, de remblayage, de canalisation et de construction destiné à implanter et maintenir une agriculture, dans des endroits parfois très reculés. Il n’est pas rare, lorsque l’on pratique le VTT en Ardèche, de découvrir qu’une colline que l’on pensait “sauvage” était en fait entièrement aménagée en accols, ceux ci ayant disparu sous la forêt…

Vu les difficultés d’accès sur ces accols, le travail se faisait le plus souvent à dos d’homme, à l’aide de la “besse”, vaste panier fait d’éclisses de châtaignier ou tressé d’osier, porté sur le cou en y intercalant un coussin, le SACCOL ou “coulassou”. Les matériaux pouvaient aussi être transportés directement dans le saccol. La sagesse populaire, jouant sur l’ allitération, disait donc :
Per lou païs d’en bas,
lou bat;
Per lou païs d’accols,
lou saccol.
(Pour le pays du bas, le bât – l’âne, le mulet -; pour le pays d’accol, le saccol – donc l’homme… -.)

Quel rapport entre les accols, les saccols et les cols me direz vous ? Aucun, tout ceci n’était destiné qu’à vous faire apprécier les paysages lors de vos grimpées de cols ardéchois, et à mettre en évidence ce patthgzrthzrthzarthzrthzrhbgfbsbrimoine qui malheureusement disparaît petit à petit. C’est pourtant le “témoin d’une civilisation rurale qui eut la parfaite maîtrise de l’eau et de la pierre, pour créer un paysage nourricier, fonctsreqergionnel et harmonieux, reflet de l’ alliance réussi de l’homme et de sa terre” (3), je rajouterai au prix d’un travail acharné.

Bernard “Biki lou biker” Pommel
CycloTourisme Aubenas Vals

Références
(1) Laurent Laruaz, revue Cent Cols n°18, 1990, p. 23
(2) La petite histoire de votre nom : TRACOL, Lo Cercaire, Le Dauphiné Libéré, 3/2/90
(3) La Belle Lurette, dossier tradition : les terrasses, juin 1996 (éd Savoirs de terroir, 07600 Vals les Bains)
Sur les terrasses, voir sur Internet