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Escapade sur la Ligne de Partage des Eaux Atlantique/Méditerranée

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Quand je relis le carnet de route de mon voyage cyclo 2004, un calepin aux pages bien marquées par une utilisation intensive et qui a pris un certain « goût » dans les intempéries, il m’apparaît clairement que l’époustouflante randonnée cyclo montagnarde que j’ai effectuée seul et en camping souvent sauvage cet automne pour découvrir quelques paysages singuliers de la France profonde, ne se résume pas seulement à la réalisation d’un exploit sportif, et ce malgré les 1500 kilomètres parcourus, les 122 cols gravis et plus de 400 000 coups de pédale donnés pour faire avancer ma bicyclette !

Traversant les vignobles du Mâconnais, du Beaujolais, du Minervois et de l’Hérault en pleine effervescence, pénétrant d’immenses châtaigneraies aux couleurs déjà flamboyantes, parcourant le pays cathare bien gardé par ses nombreuses forteresses, visitant tant de hameaux et de villages aux toitures de lauze, humant l’air vivifiant des sommets de l’Ardèche, de l’Allier, de la Lozère, de l’Aveyron, du Gard et de l’Ariège, rencontrant partout des chasseurs de champignons, des cueilleurs de myrtilles et des ramasseurs de noix, goûtant l’omelette aux cèpes, le cassoulet ou encore la blanquette de lapin..., j’ai en effet souvent flirté avec les aspects environnementaux, culturels et culinaires des régions visitées.

Cette année, je ne voulais pas seulement fuir le blues de la nouvelle rentrée des classes qui se faisait sans moi, retraite oblige, ou quitter la bousculade que nous impose le quotidien, je souhaitais surtout retrouver la saveur exquise de ces choses élémentaires qu’on peut apprécier en flânant au milieu d’espaces naturels encore existants, et ce le temps d’un voyage à vélo ; et puis, cerise sur le gâteau, c’était la première fois que je pouvais m’accorder des « congés » hors vacances scolaires.

Pendant près de trois semaines, je pus ainsi parcourir, juste pour le plaisir des sens et au rythme de mon pédalage, des paysages qui changeaient à chaque virage ! Ce fut un vrai bonheur... que de vivre uniquement le présent tout en se faisant dorloter par des panoramas sublimes et le quotidien rustique des gens du pays.

Bardé de monstrueuses sacoches renfermant linge, outils, nécessaire de cuisine, nourriture, livre de bord, cartes routières, matériel photographique, tente, sac de couchage et matelas, le vélo me permit de réaliser, en autonomie complète, un périple qui me lia de façon physique et permanente aux éléments naturels d’un monde parfois insaisissable, souvent méconnu et pourtant le nôtre ; cela se transformait même en pèlerinage spirituel lorsque je me surprenais à parler aux chevaux, aux bovins ou aux ovins que je côtoyais dans ces départements où l’activité pastorale est dominante, où la vie est encore régie par les lois de la terre, de l’eau et de l’air !
A cette époque de l’année et dans ces monts du Massif Central et des Pyrénées, la météo ne fut évidemment pas toujours bienveillante à souhait, avec des gouttelettes souvent gelées sur la toile de tente le matin, du brouillard et du vent me serrant quelquefois de très près ; la pluie m’a pourtant toujours épargné et le soleil maintes fois réchauffé.

Bien sûr ai-je aussi été confronté à quelques ennuis mécaniques et dus même, un jour, me faire rapatrier en taxi vers une grande agglomération pour changer une roue libre défectueuse, une autre fois pour resserrer un pédalier récalcitrant car, dans ces régions où la cabine téléphonique à pièces remplace encore avantageusement les réseaux d’opérateurs quasi inexistants, il est malheureusement impossible de dénicher un vélociste alors que la pratique de la bicyclette y est une activité très à la mode !

Nomade temporaire par besoin et cyclotouriste au long cours par passion depuis de nombreuses années, j'avais glané cette idée de voyage à la confrérie des Cent Cols dont j’ai le privilège de faire partie avec mes 770 cols différents traversés à bicyclette, une idée qui me permit en tout cas de pénétrer discrètement des lieux où l’on expérimente depuis fort longtemps un art de vivre qui réconcilie l’homme et la nature ; je pourrais vous parler avec enthousiasme du parc naturel du Pilat, de celui des Monts d’Ardèche, ou encore de ceux des Monts des Cévennes, des Causses du Larzac et du Haut Languedoc, si ce n’est de la Montagne Noire ou du Pays de Sault..., des endroits qui se trouvent tout simplement sur la Ligne de Partage des eaux Atlantique / Méditerranée.

On pourrait discuter sur le sens et l’utilité de telles réalisations souvent relatées par les revues spécialisées... ; avec le temps et l’expérience, je dirai qu’elles ne sont que le support d’une confrontation de l’individu avec sa propre volonté et son propre corps afin de savoir si l’on a atteint la limite de ses possibilités, si l’on est capable d’aller un peu plus loin encore ; ce désir de se surpasser est, sans aucun doute, une pulsion enracinée dans l’être humain et c’est bien elle qui me motive à chaque fois qu’un projet se dessine et qui a pu entièrement s’exprimer au cours de ce voyage et de tous les autres. Je vous avouerai même être prêt à larguer les amarres pour des découvertes bien plus lointaines encore si le contexte politique de notre planète en folie devait s’améliorer ! Un tour de l’Europe, un tour de la Méditerranée, voire un tour du monde..., ce sont là des idées qui m’effleurent.

Michel Helmbacher

CC n°1486


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