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L’histoire vraie de l’inauguration d’un faux col champenois

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Tous les ans, fin juin début juillet, nous organisons entre nous la désormais incontournable « randonnée des taons » (pas les poissons si bons à manger en miettes ou en tranches mais les vilains insectes si nombreux à cette époque et qui adorent se gorger de notre sang tout plein de toxines quand nous avons terminé un parcours d’une centaine de kilomètres). Il s’agit de rouler, en un seul groupe si possible jusque vers les treize heures puis de poursuivre la journée par une sympathique partie de saucisses brochettes arrosée modérément. Il faut en effet bien songer à rentrer en voiture ou même à vélo pour les plus courageux. C’est le grand François Schénini et sa femme, très avenante et serviable, qui sont les principaux responsables de cette journée. J’allais oublier Nicole qui nous prépare avec amour de si bons desserts : choux à la crème, gâteau à la rhubarbe, nougat glacé, charlotte aux fraises et j’en passe. Seul son Christian de mari ne les apprécie pas. « Oh moi, vous savez, je ne suis pas trop pâtisserie », s’excuse-t-il avec une sorte de petite moue. Il mériterait des gifles !

François est un grand gaillard mesurant 1,98m qui accuse un bon quintal sur la bascule… et pas que du muscle ajouteront certains. D’autres médisants estiment qu’il est si grand que, chez lui, l’intelligence a du mal à monter jusqu’au cerveau mais cela reste à prouver. Ce sont les mêmes qui m’appellent « le teckel » car il paraît que j’ai des petites pattes (je culmine à 162 cm) mais aussi une grande gueule ce qui me permettrait, d’après eux, d’aboyer fort quand je ne suis pas content.

Un dimanche matin donc, dès 8 heures pour ceux qui ont la politesse d’être ponctuels (je peux fournir les noms des autres sur simple demande), une bonne partie des membres de l’ASPTT Châlons se retrouve pour pédaler aux environs des camps militaires de Mourmelon et de Suippes dans notre bonne vieille Champagne, la Champagne pouilleuse toute plate et hélas de nos jours si dénudée suite aux remembrements successifs. Le fait que cette région présente si peu de bosses arrange bien les affaires du grand François. En effet, celui-ci est incapable de hisser son imposante carcasse en haut de la moindre taupinière. Et en plus, quand il monte à pied, ce fourbe ose prétendre qu’il cherche des champignons ou des fraises des bois. Il ne passe qu’à grand-peine les ponts d’autoroutes. Alors, vous pensez, l’idée qu’il puisse exister un « club des cent cols » et qu’en plus j’en fasse partie, tout ça, ça l’empêche de dormir et même ça lui casse le moral quand il pédale.
Lors de la préparation de son parcours, ce bougre avait repéré une jolie petite côtelette d’un bon kilomètre de long. La pente moyenne devait avoisiner les 2,5 % et il y avait même des passages frôlant les 4 %. Il crut intelligent de peindre en bleu foncé une pancarte qu’il est allé planter à l’insu de tous (mais de son plein gré) au sommet. Sur cette pancarte, il avait inscrit de sa plus belle écriture «Col du Teckel 158 m». Vous imaginez sans peine que cet acte avait pour unique but de tenter de me dénigrer quant à mes qualités de grimpeur si dérangeantes pour lui. Et de faire avec dédain des remarques du genre, « Aux cent cols, à la moindre côtelette gravie, ils font les fiers » ou encore « le plus petit monticule les conduit jusqu’à l’extase…».

Pendant la randonnée, chacun, apercevant la cible de très loin à cause de la nudité du paysage, se fit fort de prouver aux autres qu’il était bien le meilleur. Et tous de se mettre debout sur les pédales pour tenter de rester sur la plaque jusqu’en haut. (pas question de s’abaisser à ne tirer que le 40) Je dus me faire violence pour franchir la difficulté en tête. Seule Babette me disputa longtemps la prime (un apéro supplémentaire à l’arrivée) mais je réussis à la régler dans les derniers décamètres.

Nous avons attendu les retardataires (pas longtemps il faut l’avouer) et nous nous sommes tous rassemblés autour du panneau sommital pour réaliser la traditionnelle photo immortalisant l’événement avant de poursuivre notre périple qui fut ma foi fort agréable.

Sur le coup de 13 heures, une fois le parcours terminé, nous nous sentîmes obligés d’assécher quelques gobelets afin de rendre les honneurs à ce joli col que nous avions tous vaincu en fait assez facilement. Aidé par le toubib (un autre pur cent cols), j’ai bien essayé de faire comprendre au grand Schénini que, sa petite plaisanterie ne concernant que nous, il serait bon qu’il enlève la pancarte assez rapidement. Je crois cependant qu’il l’a laissée quelque temps. Peut-être même est-elle toujours en place.

Alors, amis cent cols, si, passant cet été dans la région de Mourmelon, vous avez aperçu un joli panneau bleu en haut d’une côte, vous vous êtes sans doute réjouis un peu trop vite : ce n’était qu’une vilaine supercherie. Le col du Teckel est un faux vulgaire et jamais vous ne verrez son nom apparaître au beau milieu de la liste des additifs ni cette année ni aucune autre.

Gilles Gallois dit « le teckel »

CC n°2637


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