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Imbert existe, je l'ai rencontré...

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En ce temps-là, il y a.... Pfuit ! disons quelques lustres seulement, nouvel impétrant de notre folle cohorte de collectionneurs de cols, j'en faisais systématiquement la chasse. Puéril, diront d'un air entendu les suceurs de roues du dimanche matin, ou des maniaques du chronomètre. Il y a des maniaques partout, et parbleu, nous aussi nous sommes des maniaques. D'un autre genre. Que je préfère ? Si vous le permettez. Et même si vous ne le permettez pas. Point. A la ligne.

Il n'empêche que cette motivation, comme celle des Brevets des Provinces Françaises incline, je dis bien incline, à essayer de varier un peu ses itinéraires, pour aller pêcher, là-bas, loin dans les montagnes ce bout de col qui vous appelle, qu'on n'a point encore accroché à son tableau, lequel, quoique somptueux, semble encore insuffisamment brillant à cause de ce trou,.... là, de ce vide,... là..., dans la liste entre ces deux cols plus célèbres. Bref, vous tous mes frères en sueur, en montées soutenues et en descentes vertigineuses, vous m'avez compris.

De fait, à vélo - je dis à vélo, et non point en vélo - malgré la tolérance exprimée à cet égard dans le courrier de la revue FFCT - non pas par esprit de polémique ou de contradiction, ni par désir de me singulariser, mais tout simplement, argument qui n'a pas été repris par les argumentateurs, et qui me semble grammaticalement et intellectuellement imparable, tout simplement parce qu'on entre dans un train, un avion, une voiture, et que l'on monte à cheval, à vélo, à motocyclette. Et que j'ai pour moi l'autorité du dictionnaire anglais/français Cassel/Garnier, du Larousse universel en deux volumes (1923) qui me semble suffisante caution.

A vélo, disais-je, pratiquement ce que je préfère, avec les chemins de campagne, c'est la montagne, et donc, puisque c'est la montagne, ce sont les cols. Foin de ces longues lignes désespérément droites dans la campagne, de ces routes s'allongeant indéfiniment, comme dans le terrible Boulonnais, parcouru cette année lors de mon tour de la France, et qui n'en finissent plus de s'allonger, et où l'on voit tous les accidents du terrain indéfiniment à l'avance. Combien plus excitant pour la vue, la découverte à chaque tournant, alors que vous montez en ahanant (vous, cycliste perché sur une hyper-légère et héroïque monture dépourvue de tout accessoire superflu ; parce que moi, bien entendu, je monte sans ahaner, assis, embarrassé de tout un équipement hétéroclite, comme ils disent, avec le cartable, la lanterne, les porte-bagages et même....ô horreur, des garde-boue... (C'est pour quoi, m'a dit un héros, ça ? pour la poussière ?...) Je n'en dirais pas plus pour ne pas rallumer des polémiques, avec mon petit plateau de 26 dents sur 26 dents (ou de 28 sur 32 sur un autre vélo). Ça me donne le temps de voir, d'admirer, et parfois même je m'arrête, pour m'attendre, au prochain virage. Et voir les autres, quand il y en a, grimper au-dessous. Photographier, même, car, horrible détail, j'ai toujours un appareil et des jumelles, pour voir les oiseaux. Il m'arrive même de ne pas m'arrêter, pure distraction, comme la dernière fois, la quinzième ou seizième, je ne sais plus, j'ai perdu le compte, où j'ai monté le Ventoux, au milieu de la foule du rallye de l'ami Henry, sans m'être arrêté comme de coutume au Mont Serein. Distrait, je vous dis. En vieillissant, je roule trop vite.
Donc ce matin-là, j'avais noté, point trop loin de mon domicile, un nouveau col à ajouter à ma panoplie - je devais le franchir plusieurs fois depuis : il s'agit d'une délicieuse route qui s'ouvre carrément à la porte Saunerie de Manosque : le col de la Mort d'Imbert (04). Juste au sommet, il y a une délicieuse forêt, la forêt Pélissier, à visiter, que dis-je, à déguster sans modération. Mais le début en est raide dès la sortie de la ville. Arrivé à la hauteur de ce qui était alors la dernière maison, une dame âgée affolée m'aborde et me crie " Au Secours ! Monsieur ! Mon mari a une attaque et ses médicaments sont en haut, il faut m'aider s'il vous plaît à le mener à la maison ". Je croyais à un simple coup de main. Je dépose mon vélo près de l'entrée et je me hâte : il s'agissait de prendre un vieillard qui respirait avec difficulté, et de le hisser le long d'une volée de marches jusqu'à un premier étage assez escarpé, tout droit, sans rampe :
- "Ne croyez-vous pas , madame, que les pompiers... ?
- Non ! J'ai l'habitude, ensuite j'appelle le docteur, j'ai ses médicaments".
Bon, je m'exécute. Ce n'était pas aisé, l'escalier était long et étroit, et nous avions fort à faire, même à deux pour hisser le corps sans ressort.

Enfin, nous arrivons à la porte, la dame fait entrer son mari, me lance rapidement : "Merci monsieur", et me claque la porte au nez sans autre cérémonie. Pas un verre d'eau, pas une poignée de main, comme si j'étais un malfaiteur tentant de les dévaliser. Bon, j'excuse la peur, fréquente chez les gens âgés, mais là, je trouve que c'était pousser le bouchon un peu loin, après un tel service. Mais je n'oublierai pas le col de la Mort d'Imbert, qui à cette heure doit avoir rendu son âme à Dieu depuis un certain temps quand même. C'est pourquoi je puis dire : Imbert existe, je l'ai rencontré.

Alain BALALAS N°798

de PEYROLLES en PROVENCE (Bouches-du-Rhône)


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