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Traoublik

Revue N° 29 Page 47

C'était il y a longtemps - Daniel Beaujoin n'avait même pas franchi 3000 cols ! Nous avions quitté Arzou au petit matin et nous montions tranquillement avec un ami, une petite route qui devait nous élever de 600 mètres en une dizaine de kilomètres. Bien sûr, nous étions là aussi pour étoffer nos col-lections respectives.

La route est déserte : seuls nous ont dépassés un car antédiluvien et un camion chargés bien au-delà du raisonnable.Poussifs dans la montée, ils n'allaient guère plus vite que nous et nous avons profité longtemps de leurs émanations. Et voici les cèdres : en effet, nous sommes au Maroc, escaladant au Moyen Atlas, la deuxième marche de l'escalier qui doit nous conduire au Sahara. Un oeil inattentif aurait pu n'y voir que des sapins, mais nous les attendions et la forme de certains spécimens ne laisse aucun doute. Plus haut, la forêt a disparu ; ce ne sont plus que des prés d'altitude.

Entre deux éminences, la route cesse de monter. La carte le confirme ; ça descend derrière.

Un col quoi. La carte est muette, pas de pancarte. Cependant, à gauche un bâtiment porte des inscriptions P.K 80, nous à 80 km de Fès. Puis en caractères arabes et latins : Jbel Habri, brigade de déneigement, altitude 1945 m. Le voilà le nom du col ?

Eh bien, non. Le Jbel Habri c'est la montagne (un col, c'est fej en arabe et tizi en berbère) ; le règlement est formel : pas de mont ! Mais, peut-être, comme au Mont Cenis, la montagne étend-elle son nom jusqu'au col voisin. Derrière le chasse neige, apparaît un autochtone, un vrai, en djellaba et bonnet de laine. Peut-être pourra-t-il nous renseigner.
Je le salue bien poliment : As salâm aleïk ou aleïkoum's salam, répond-il en écho et en arabe.

Je tente ma chance : Tatakallam bel fransaoui ? il hoche la tête de gauche à droite ; il ne parle pas le français, mais sans doute a-t-il compris que nous l'étions. L'affaire se corse, j'ai presque épuisé mon vocabulaire. J'essaie encore : "Houma (ici) fej, tizi ?" Il hoche la tête, de haut en bas, cette fois. Je m'enhardis : "Ma smihi (quel est son nom - du col - bien sûr ?" Il répond "Najmène" puis il ajoute : " Traoublik" Est-ce Najmène, Traoublik ou pourquoi pas Najmène-Traoublik ? Il faut en avoir le coeur net.

Je prends un papier et j'écris en arabe : Jbel Habri (ce n'est pas difficile, j'ai le modèle) puis =, puis fej et lui tends papier et crayon, qu'il refuse. J'écris quelque chose qui pourrait se lire Najmène, puis Traoublik et un point d'interrogation. Il ne sait pas lire ! Il répète Najmène, Traoublik. Mais pourquoi montre-t-il en même temps le chasse neige et cet engin de...

Malheur et consternation ! je comprends ! Il vient de nous expliquer, en français, qu'ici on fait du déneigement et des travaux publics !

Faute de mieux, nous allons tenter de le faire homologuer comme col du Jbel Habri.
L'accepteront-ils au Club des "Cent Cols" ? Inch Allah (Dieu le veuille !)

J.C. BERTHOMIER N°1201

d'ORLEANS (Loiret)


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