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Des cols muletiers, des vrais...

Revue N° 24 Page 23

Muletier ? Comment dites-vous ? Des cols muletiers ? Mais qu'est-ce que vous me chantez là ? Un col c'est un col !

Avec ses lacets bien propres, son goudron câlin et tout ce qui en fait le charme : les torrents, les fleurs, l'odeur du foin coupé et celle des moteurs en surchauffe, c'est encore le sublime panorama au sommet tout juste souligné par les marchands de frites ou de peaux de vache... Un col, quoi ! Un vrai !

La simple évocation d'un col dit "muletier", semble replonger le Français moyen à l'époque des lampes à huile et de la marine à voiles.

Et pourtant tous ces "grands cols" popularisés par le tour de France ont été un jour, des muletiers, ouverts par les militaires dans la plupart des cas. A quoi pouvait donc ressembler le Galibier en cette année 1897 lorsque le Touring Club de France annonce : (1)

-"Un service quotidien de voitures réunit St Michel (de Maurienne) au Lautaret par le col du Galibier, le trajet s'effectue en 9 heures et en sens inverse en 6h et demie".

Neuf heures pour effectuer 41 km soit 4,5 km/h de moyenne ! Quelle aventure ! En fait, dans la plupart des cols, les mulets rivalisent encore avec l'automobile ! Et les cyclistes dans tout ça ? Le TCF ne les oublie pas ! Ainsi sous le titre : "Passage des cols muletiers", "Installation des bicyclettes à dos de mulet", on peut lire :

-"Les principaux hôtels de montagne sont munis par les soins du syndicat d'initiative de la Savoie, à partir de cette année, (1897) de bâts spéciaux, permettant le transport des bicyclettes à dos de mulet. (...) Les bicyclettes, dont on engage les roues dans deux gouttières fixées solidement à un bât ordinaire, y sont ensuite assujetties par une corde passée autour du pédalier. Ceci fait, on attache solidement le guidon d'une des machines à la selle de l'autre, et réciproquement. De cette façon on forme un tout solide sans passer des cordages à travers les parties délicates des machines. Ces cordages enlevaient l'émail, et pouvaient fausser certaines pièces, par suite du mouvement du mulet."
-"Les cyclistes trouveront le matériel nécessaire au transport des bicyclettes : Pour le col du Bonhomme, reliant Chamonix et St Gervais à Bourg-St-Maurice et le Petit-St-Bernard, à l'hôtel Güt, de Condamines-sur-Saint-Gervais et à l'hôtel Pugin, des Chapieux ; pour le col de l'Iseran, reliant la Tarentaise à la Maurienne, à l'hôtel Moris, de Val d'Isère et au chalet du Club Alpin de Bonneval-sur-Arc ; pour le col de la Vanoise, reliant la Tarentaise à la Maurienne, à l'hôtel du Lion d'Or, de Termignon ; à l'hôtel de la Grande Casse, à Pralognan."

Des cols, et quels cols ! Des géants ! Le col du Bonhomme, de l'Iseran et de la Vanoise. Depuis, la dictature de l'automobile a popularisé l'un d'entre eux, l'Iseran, et relégué les deux autres dans un certain anonymat. Je me plais à croire qu'avec la vague déferlante du VTT, un retour en force des mulets qui hissaient des grappes de cyclistes (pas nous ! pas nous !) sur l'Alpe sublime aurait beaucoup de succès...

Enfin, le TCF, plein de ressources et d'imagination, propose, au début de ce siècle, les services d'un courageux mulet pour remorquer à l'aide d'une corde un groupe de cyclistes (et cyclistines !) le long d'une piste savoyarde vide d'automobiles. Le rêve quoi !

Qui n'a pas un jour de canicule ou de grand froid, alors que les sacoches semblent remplies de plomb et les jambes de guimauve, qui n'a pas rêvé de pouvoir être hissé par une main secourable, en un clin d'oeil, vers un sommet improbable ? Il m'arrive d'imaginer que des grappes de cyclos multicolores, étirées en chapelets, gravissent les pentes derrière leur mule dans la bonne humeur communicative et l'odeur du crottin !

Vive le vélo, les mules et les muletiers !


(1) Itinéraires et profils routiers par Revel et Dolin, TCF 1897.

René POTY


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