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Le Col de la Durance.

Revue N° 24 Page 15

Il pourrait être près de sa source, à côté du Col du Montgenèvre, ou au sommet de l'une de ses nombreuses allées qui le bordent tout le long de son cours. Que nenni !

Cherche le plutôt en Provence, du côté de la montagnette: alt. 180 m, non loin de Tarascon, un coin où le soleil tape dur. Si dur, que Tartarin se croyant là-haut dans l'Atlas, partait à la chasse aux lions, bardé de cartouchières, et chaussé de bottes de sept lieues, faisait fumer la poussière au derrière des "culs blancs" qui n'en pouvaient plus, morts de peur.

C'est dans ce contexte, qu'un jour en passant en face de sa maison, je vis un marchand de cycles, arborant au plein milieu de sa vitrine un tee-shirt super, représentant une tête de tigre. J'ai craqué, et en bon Français, j'ai acheté un maillot fait en Amérique et revendu en France: Made in Italie ! C'est comme le Port Salut...

Super; je mettais un tigre dans mon moteur qui a bientôt plusieurs fois vingt ans... Et le soir venu, lorsque je joue à la belote, je le tire tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, pour lui faire cligner de l'oeil. La partie de cartes de Marcel Pagnol, jouée par Raimu et ses autres compères, est toujours d'actualité !

Mais au fait, dans tout cela, où est le Col de la Durance ?

Attends ami cyclo, ayant un tigre avec moi, je ne suis pas pressé de lâcher ma proie car, j'aime faire encore de nouveaux cols, qui m'apportent chaque fois de nouvelles découvertes, sur la nature, sur les pays qui y accèdent, ou qui rejoignent une autre région.

C'est ainsi que du côté de Malaucène, au pied du Ventoux, je fis le col de Chaîne: alt. 472 m sur route, et de là le Pas du Loup: alt. 578 m, un muletier, vélo sur le dos, en compagnie de ma femme.

Au retour; nous avons déjeuné à Suzette, un tout petit hameau juché en cul de sac, sur une crête, d'où l'on a une vue merveilleuse sur les "Côtes de Provence". Après le soleil de la matinée, nous avons été heureux de manger en plein air, sous les frais ombrages des platanes de l'auberge, et de nous gargariser avec tout le parfum et le goût d'un vin rouge que nous ne connaissions pas: le Beaume de Venise.
C'est comme cela que je comprends le vélo, et c'est dans cette orbite que j'ai accepté la charge d'être le Président d'un Club de "Nanas" dans cette plaine de Provence, qui fut autrefois une mer. Cette région est desservie par une sorte de quadrillage de plus de 300 km de chemins goudronnés de toutes sortes, qui desservent des cultures, des propriétés, des Mas ou des Jas. A ce sujet, j'ai eu la surprise de constater que l'ami Winghard avait appliqué dans les appellations des Cols de Haute Provence le mot Jas. Or, en l'occurrence le Col de la Jas 26-n° 367 alt. 1098 Chauvot 1994, est un nom qui est propre au col, de même que le Col de l'Olive ou le Col de la Cayolle. Le Jas ou le Mas étant au sens propre du mot, depuis la plus haute antiquité, un lieu situé auprès d'une voie romaine signalée par trois cyprès. Il servait d'étape et de gîte.

Mais revenons un peu à mes nanas et leurs sorties.

Un jour le mistral a eu la malencontreuse idée de se lever pendant l'une de leurs sorties. Mes nanas avaient bien 20 ans, mais trois fois ! Leurs vélos dataient de la guerre de 39 et peut être même de 14 ! C'est qu'on est conservateur au pays des melons !! Il y en avait deux qui avaient des dérailleurs. Je leur proposais donc de changer leurs vitesses, car elles en étaient incapables. Je me heurtais aux foudres du ciel: puisque leurs maris les leur avaient réglées, il ne fallait surtout pas y toucher !!

C'est ainsi qu'elles sont parties, jupes flottant au vent, se déhanchant telles des canes allant à l'étang, le nez et le cou en avant, les coudes écartés, les pieds à 10h10, forçant sur les pédales carrées tel le facteur de campagne d'autrefois, les moustaches en moins !! J'ai cru assister en rêve à une tentative de record du monde sur route.

Vues ces conditions, nous ne sommes pas allés bien loin. La marche à pied fut de rigueur, puis la capitulation. C'est vent arrière, à toute allure, au moins 15 km/h, qu'elles sont arrivées tous freins serrés, et le reste aussi...en vue du pont de la Durance. Il fait bien 200 m de long et la route qui passe sur sa courbe: 3 mètres de dénivelée !

De toute évidence, ça montait trop. Et puis il y avait ce maudit mistral (nom provençal du français: le Maître) qui soufflait de travers. Aussi, en bon gardien, je veillais sur mon troupeau qui traversait la Durance sur le trottoir, à pied, veillant chacune leur vélo lourd comme du plomb pour qu'il ne s'envole pas, tandis que, tenant le mien par le guidon, il flottait roue arrière au vent, et roue avant à l'horizontale. Là, je n'invente pas.

Ce qui fit dire à mes mémés, une fois le pont passé qu'est-ce que ça été dur, aujourd'hui, nous avons franchi "le Col de la Durance" ! Dont acte.

Il fait chaud, très chaud en notre Provence.

Lucien BEROD N°580

CAVAILLON (Vaucluse)


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