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"Frimeurs"... méfiez-vous !

Revue N° 24 Page 14

Avec un pote cyclo, ce dimanche de maussade printemps, comme nous arrivions à Annecy, le jour pointait et tombaient les premières gouttes. Ce qui ne nous empêchait pas de prendre le départ d'un rallye devant nous propulser aux Glières, ce haut lieu de la Résistance.

De goutte en goutte... suivait la bonne radée. Celle qui tombe drue, tenace et qui semble ne plus vouloir cesser. Près d'Aviernoz, le pneu arrière (bien entendu) de mon pote perdait son contenu. Sous la flotte, ce n'est pas réjouissant...

Mais basta !... On y allait avec un moral bien meilleur que le temps. Pas d'accalmie. L'eau dégringolait et la casquette inondait lunettes et visage pour s'infiltrer insidieusement sous le maillot. Bref, tout cyclo digne de ce nom connaît de tels plaisirs.

Trempés comme nous, des cyclos nous doublaient. Nous en doublions d'autres (ben... faut quand même le dire). Paysage = zéro. Pas un chat (sont pas dingues ces bêtes là) dans la traversée de Thorens. La route en lacets pentue et bien lavée nous amenait au Col du Collet.

Une belle descente suivie d'une courte remontée et c'était le Col des Glières suivi du plateau portant le même nom. Perdus dans la brume, au milieu de la prairie nous pouvions à peine distinguer le monument élevé à la mémoire des Maquisards tombés ici lors d'une mémorable bataille, devenue légendaire, contre les nazis.

Contrôle d'arrivée et nous nous précipitons à l'intérieur d'un vaste chalet. Ouf !... un sauna. Au fond, une immense cheminée où flambaient d'énormes troncs de sapins. Dans la fumée, devant une meute de cyclotes et cyclos en petites (très petites) tenues, s'agitant en essayant de faire sécher maillots, collants, cuissards et même des... soutiens gorges ! Ça braillait, ça rigolait, ça chantait. Comme quoi pluie du matin n'arrête pas le... refrain.

Inutile de tenter d'approcher l'âtre. Alors, trempés pour trempés, du moment que la pluie tombait toujours, nous décidions de reprendre la route. Quelques poignées de mains aux amis retrouvés et nous refranchissons les deux cols déjà cités. Une descente "savonnette" vers la vallée pour retrouver Thorens. Au clocher du pays sonnait midi, dans nos estomacs aussi.

Pas d'hésitation: au restaurant, accueil mitigé de la patronne car nous sommes trempés comme des gorets. "N'ayez crainte Madame, juste le temps de nous ébrouer et nous serons à même de pénétrer dans votre salle à manger sans risque d'inondation. En attendant, servez-nous l'apéritif et pour la table: un bon Gamay".

Voilà qui rétablissait la situation et ramenait un visage plus accueillant de l'hôtelière. Pourtant à notre entrée en salle à manger, les nombreux clients déjà en plein... travail gastronomique nous "guignèrent" sans trop de bienveillance. Nous, on s'en moquait. L'intérêt maintenant c'était la fourchette.
A la table proche de la nôtre un couple. "Elle": pas mal roulée. "Lui" bouille teintée couleur du rosé de la bouteille qui trônait sur la nappe et qui en avait déjà pris un sacré coup. "Lui" dont on devinait le genre causant ne tardait d'ailleurs pas à attaquer :

"ben les gars, quel temps et ça ne vous arrête pas ! On vous a vu tout à l'heure grimper aux Glières, la flotte ne vous empêchait pas d'appuyer sur les manivelles..." Suivaient encore quelques louanges à notre intention puis il prenait la bifurcation oratoire "Moi aussi j'ai fait beaucoup de vélo. Des cols, des cols, j'en ai grimpé. Tenez celui du..."

Nous n'avons jamais su qu'elles avaient été ses prouesses dans les cols des Alpes ou bien d'ailleurs car, à cet instant un éclat de voix faisait vibrer les verres sur les tables et lui coupait la parole. C'était "elle" qui claironnait:

"Ferme-la ! Toi du vélo ? T'as jamais pu te traîner. Des cols ? Ça te choque déjà rien qu'à l'idée de les regarder sur les cartes Michelin !"

"Allons chérie, tu exagères..."

"Tais-toi donc et laisse ces deux gars manger pénards. Tu vois pas que tu leur casses les... pieds !"

Alors moi, tout de miel, de reprendre:

"Mais non madame, c'est toujours instructif d'entendre les récits de ceux qui ont fait ce que nous n'oserons, sans doute, jamais faire."

"Ouais, allez-y. Vous pouvez le "chambrer". Y'a des années que je le connais, jamais je n'ai vu un vélo sous ses fesses !"

Et "lui" tentait, en vain, de la calmer par des sourires niais, tout en se débattant avec les arêtes de la truite, tandis que les autres clients pouffaient de rire, le nez dans leur serviette.

Après, ce fut le grand calme. Un ange, non seulement était passé mais il était resté. Avec mon complice, nos estomacs lestés, le dernier "canon" de "Gamay" descendu, nous avons retrouvé nos vélos et pris la direction de Bellegarde par un itinéraire autre que celui du matin. La pluie continuait de tomber.

Mais nous deux nous avons continué à nous... marrer. Les automobilistes qui nous croisaient devaient imaginer que nous avions un moral très imperméable ou que nous étions des illuminés !

Evidemment " Eux" ne pouvaient savoir que "Lui" avait perdu, en ce dimanche pisseux, une grande occasion de la boucler !

Alors, frimeurs, comme on dit en patois savoyard: "méfiate". Car à table, les femmes ont (parfois) la dent... dure.

Paul MAILLET N°856

BELLEGARDE (AIN)


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