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Brouillard sur Sestrière.

Revue N° 24 Page 13

Le Rosier: au nord, de lourds nuages tentent, ces mécréants, d'écraser sous leur masse les trois Rois Mages (les pointes Melchior, Balthazar et Gaspard). Ce ciel n'est pas encourageant du tout !

Col de Montgenèvre, Sestrière, je ne vois pas les immeubles de la station, mais revers de la médaille, je ne verrai pas de belles italiennes par ce temps.

Je guette, un peu ému, la route que je dois trouver sur ma gauche, la route qui me permettra d'atteindre le "nirvana" des chasseurs de cols, la route des crêtes avec ses 6 cols à plus de 2000 mètres ! Un vieux panneau m'en indique enfin la direction.

C'est tout de suite le grand jeu: la piste de terre. La lecture de la carte me l'avait laissé supposer plus lointaine. Ne "rouscaillons" pas, je suis venu ici pour cette piste ! Le brouillard disparaît et avec, cette impression de pédaler dans un tunnel de coton. Je suis joyeux, mes pneus de 25 trouvent le sol agréable, pourvu qu'il reste sec. La piste, joyeuse elle aussi, serpente dans les mélèzes.

A la hauteur d'une gare de télésiège, les derniers arbres abandonnent le combat qu'ils livraient à l'altitude. De nombreux lacets me conduisent à la montagne que j'aime: sans arbres !

Ici, l'automne a commencé son boulot de peintre saisonnier: roussir un à un tous les brins d'herbe des prairies d'altitude. C'est facile, mais un peu monotone, un seul pinceau, une seule teinte. Quand il descendra dans la vallée, son travail sera plus délicat. Chaque espèce a sa couleur particulière, cela réclame de l'attention, du doigté. Mais faisons confiance à l'automne, jusqu'à présent il s'est bien débrouillé. Et, pour saluer et apprécier ce travail, passons le 26 dents, juste pour le confort, sans que ne l'impose la pente ! Quel régal... La piste dénoue ses lacets.

Pour le cycliste que je suis aujourd'hui, cet itinéraire est fabuleux, mais pour le randonneur pédestre que j'étais hier, cette piste est un massacre abominable du paysage... tout est relatif...

Deux motos viennent perturber ma contemplation. Je franchis un col scandaleusement anonyme. De l'autre côté, je retrouve la brume. Bref arrêt au Colle Basset.

Je roule maintenant sur une sorte de grand toboggan: montées, descentes, luminosité au sud et grisaille humide au nord. Tous ces changements de versants me font "perdre le nord". Ce n'est pas très important pour l'itinéraire, il n'y a qu'un seul chemin. Mais c'est agaçant pour l'amour propre, et j'en ai beaucoup quand je pédale !

Je fais une pause au Colle Bourget. Je décide d'immobiliser le fabuleux exploit que je suis en train de réaliser. Je repère un endroit pour poser mon boîtier photo, sur un petit talus, au bord de la piste, juste derrière une flaque d'eau. Et là, sur le petit talus, je trouve une petite pierre plate, toute blanche, bien propre... Qui l'a posée là ? Des cyclos à coup sûr. Un solitaire comme moi, un couple d'amoureux, une bande de copains ?
Tout à coup, je ne suis plus seul, il y a même foule devant la pancarte du col ! Je pose l'appareil sur la pierre, j'arme, je cours devant le panneau en chantant une adaptation de l'Auvergnat:

"Ce n'était rien qu'une petite pierre, mais elle m'avait chauffé le coeur et dans mon âme, elle brille encore à la manière d'un grand soleil..."

Du soleil dans le coeur, il m'en faut, car, à l'extérieur, le brouillard gagne encore du terrain. Ce toboggan géant devient de moins en moins amusant, les motos ont labouré le terrain. Colle Blegier... Colle Lauson... De Brassens, je passe à Renaud, je sifflote "la balade de Willy Brouillard". C'est blafard.

Au Colle dell'Assietta, se tient un rassemblement de motos: au moins 50 pilotes et leurs machines. J'aborde la descente aux enfers. Je subis les effets d'une piste ravagée par les roues des "Transalp" et des "Ténéré 600" ajoutés à ceux des tronçons empierrés façon "Paris-Roubaix". Ce cocktail dure 12 kilomètres !

De temps en temps, les rideaux de brume de la scène s'entrouvrent et j'aperçois le décor: des lambeaux de montagne sinistre, des "abîmes sans fond".

Les images, les trouées s'enroulent et se déroulent lentement. Pour retarder la désintégration ou la dissolution totale, je prends un rapide casse-croûte. La lecture de la carte me laisse supposer un prochain replat.

C'est à la hauteur de cette bergerie abandonnée qu'il m'a rattrapé. Il m'a dépassé comme un éclair, mais je l'ai reconnu. Cette grande silhouette longiligne, ce regard angoissé, le boyau noué sur les épaules, le double porte-bidon au milieu du guidon, le vélo Bianchi, et tout cela en sépia, comme dans le "Miroir des Sports".

C'était bien lui, c'était le grand Fausto qui passait dans la brume du Colle delle Finestre... Quand je suis arrivé au sommet, il n'y avait plus personne, même les "tifosi" étaient déjà partis... Je n'ai même pas retrouvé la trace des roues du Grand Fausto, sur la terre de la piste. Il avait le coup de pédale si léger...

Descente sous la pluie jusqu'a Chambons à 1078 mètres d'altitude. Je dois remonter à 2035 mètres puis redescendre à Césana, puis remonter au Montgenèvre... Vertige et panique.

André PEYRON N°317

CHABEUIL (Drôme)


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