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Champagne-Ardenne : le Mont Aimé

Revue N° 17 Page 41

Qu'est-ce qui fait courir les cyclos ? Pas tous, bien sûr ! Non, uniquement ceux atteints par le syndrome coliteux : virus pernicieux et tentaculaire qui contamine force cyclos. Mais qu'est-ce qui les fait donc courir ? Bien peu de chose en vérité. Une invitation à la grimpette suffit pour déclencher un accès de fièvre coliteuse. Une fois de plus, la démonstration en a été faite cette année par l'Association Cyclotouriste des Monts de France. Dès la publication du règlement dans la revue des 100 Cols, l'incurable coliteux que je suis, fit un bilan rapide des monts franchis et échafauda un plan pour compléter sa liste.

Quel sera le dixième dur mont ? Exploration rapide de la carte Michelin ; le choix se porte sur le Mont Aimé, butte isolée de la Marne. Une broutille ! Mais voyons plutôt.

Une belle matinée printanière invite notre homme à transhumer dans le Parc Régional de la Montagne de Reims. Dès la mise en route, la Route du Champagne lui donne du fil à retordre. Un méchant vent debout repousse ses avances. Etrange, le moulin de Verzenay reste impassible ; il fixe, Puce notre héros, sans ciller la moindre aile. A Verzy, la Voie des Gaulois se redresse méchamment en direction du Mont Sinaï (283 m), point culminant de la région. Il est encore tôt et la côte se laisse digérer aisément. Au sommet, ignorant les Faux sur la gauche, il s'engage dans le sens opposé sur un chemin forestier. Quelques mètres plus loin, il faut enjamber une barrière qui indique la proximité de l'Observatoire. Puce va de surprise en surprise. Lui qui s'attendait à se trouver en présence d'une station météo, découvre un abri utilisé comme observatoire au cours du premier conflit mondial. Un voile de brume nimbe la vallée. Même la table d'orientation ne lui sera d'aucun secours pour déterminer sa position.

Il ré-enfourche sa monture et se laisse glisser vers Louvois. Eole continue à contrarier la progression de notre héros. Son attention est attirée par un mur interminable : une véritable muraille de Chine. Renseignement pris, le château appartenait aux filles de Louis XV dans le passé. Des producteurs champenois s'activent partout dans les vignes qui constituent l'unique paysage.

Les bornes défilent et bien vite le voilà dans le grenier de la France. Phébus boude. Pourquoi ! Quelle mouche l'a donc piqué ? Monsieur Météo avait pourtant annoncé une journée splendide ! Bref, errare humanum est ! Un peu après la bourgade d'Athis, Puce soupçonne une ligne de crêtes dans le lointain. Il est déboussolé parce qu'il s'attendait à une plaine plate comme une galette. Or le relief ondule au fur et à mesure qu'il s'approche de la Côte des Blancs. Des noms prestigieux jalonnent les abords de la départementale en direction de Bergères les Vertus. Le Mont Aimé (239 m) apparaît enfin dans toute sa splendeur. L'éminence semble discrète. "Je n'en ferai qu'une bouchée" se dit Puce. Impossible de louper l'objectif, les autorités ont fait en sorte que même un cyclo atteint de myopie aiguë se doit d'aller se perdre dans les matiti (broussailles) du "Bien-Aimé". Au pied du mont, une pancarte annonce une couleur locale: "Tir à l'arc sur cible mobile". Puce se dit: "Pourvu qu'ils ne me prennent pas pour un pigeon". Mais déjà, plus rien ne peut l'arrêter.

Il fixe la longue ligne droite qui relève son col altier. Le lacet, qui vaut le détour, fait pénétrer notre homme dans les feuillus d'où résonne un bruit de gueulophone. La pente s'accentue davantage. Le bruit aussi. Mais déjà des barricades entravent les derniers mètres. Puce se faufile entre deux et débouche sur une aire herbageuse encombrée par des fils de Guilaume Tell et leurs supporters qui, absorbés, l'ignorent purement et simplement. Puce, ne s'attardant pas, rebrousse chemin. Faisant un demi-tour sur lui-même, il pique aussitôt du nez, ce qui indique que le raidard était sérieux.

La départementale qui conduit à Montmirail est déserte. Puce récupère de ses récents efforts. Il se laisserait bien tenter par l'une ou l'autre gâterie de l'auberge plantée au carrefour d'Etréchy mais hélas il est encore bien trop tôt. L'environnement baigne dans une paix profonde.
Soudain, virant au coin du resto, deux énormes bergers allemands, noir et feu à poil long, surgissent de la remise du bâtiment et se précipitent dans l'enclos. Situation tant redoutée par tous les cyclos, sans effet cependant sur Puce. D'autant plus qu'une clôture solide ceint la propriété. Et quand bien même il n'y eut pas de palissade, ni de treillis, notre héros qui avait déjà eu l'occasion de développer toute une théorie sur l'agression canine (cf "Cyclotourisme n° 347 - juillet-août 87) ne se formaliserait pas outre mesure de pareille situation.

Wouaf ! Wouaf ! Scrongneugneu ! Greu ! Et voilà subitement les deux bestioles en cavale. Sorties du Diable Vauvert, se portant à hauteur de la roue arrière, elles chassent les mollets de Puce dont le sang ne fait qu'un tour. Oubliant principes et recommandations, il pique le sprint de sa vie se voyant déjà bouffé tout cru par les monstres. Il insiste sur les pédales, les clebs ne dévissent pas. La trouille atteint son paroxysme. Dieu soit loué ! Il existe un bon dieu pour les cyclos ! Un camion-citerne vient à sa rencontre et détourne les chiens de leur proie. Ouf ! Il était temps ! La pompe de Puce avait frôlé l'étranglement. La forêt de Vertus vient à point nommé pour la décompression.

Le magnifique raidillon de Monthelon, qui est une invite à la grimpette, n'est pas repris au programme. Ce sera pour une autre fois. Epernay n'est plus bien loin. Au fur et à mesure qu'on s'en rapproche, la circulation se densifie. Un choix s'impose dans ce haut lieu. Puce préfère s'offrir le scalp du Mont Bernon (208 m) aux caves profondes (-30m) où vieillissent des millions de bouteilles de Champagne. Les deux ne sont pas compatibles à cette heure.

Se laissant tomber comme une pierre jusqu'à la Marne, Puce se dirige vers Ay par la voie directe c'est à dire à grande circulation. De loin il reconnaît le raidard de Mutigny qui se faufile entre les vignobles. A nouveau le Parc Régional de la Montagne de Reims fait son apparition. Il jette un regard furtif au portail flamboyant de l'église d'Avenay-Val-d'Or avant d'entamer l'ascension capricieuse et irrégulière vers Germaine. Enfin, le soleil sourit. Mieux vaut tard que jamais.

Arrivé à Germaine, Puce reste perplexe. Quelle direction prendre pour le Mont Joli, le quatrième objectif de la journée ? Interrogeant une villageoise, la bonne âme tombe tout bonnement des nues. Eh François, tu connais le Mont Joli ? Le quidam fronce les sourcils. Non, jamais entendu. Et toi Madeleine, cela te dit ? Non, mais... Ah si ! mais c'est pas possible à vélo. Bref, en quelques secondes un attroupement tient conseil dans la rue principale. Puce, qui craint les palabres, les remercie poliment et prend la clé des champs. Consultant un peu plus loin sa carte Michelin de plus près, il finit par découvrir la bonne issue, qui devient très rapidement un chemin en terre battue parfaitement cyclable.

Puce n'est pas seul. Un régiment de marcheurs arpente la même voie convoitée. Au bout de quelques kilomètres, le chemin devient un labouré boueux qui nécessite le portage fréquent de la bécane. La petite reine se fait servir. Tant bien que mal, il atteint son objectif.

Comme il a perdu beaucoup de temps, il ne s'attarde pas en ces lieux, et dévale illico presto la ravine qui fait office de route forestière. Au prix de moult acrobaties, Puce sort de la forêt aux portes de Rilly-la-Montagne. Gagné ! La balade touche à sa fin. Encore quelques bornes sur la Route du Champagne et notre homme, fatigué mais content, en termine avec sa randonnée.

Mont Aimé, la journée fut un succès.

José BRUFFAERTS

FBC - Bruxelles


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