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Un muletier facile… le col du Puits

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Après avoir cheminé sur quelques kilomètres, tantôt moulinant petit d'un mouvement rapide, tantôt accompagnant son vélo d'un pas ample, souple et facile, sur un sentier bien tracé et de faible pente, le pied ! il sort l'altimètre de derrière son maillot bleu ciel, y jette le coup d'œil acéré du spécialiste et lance sans la moindre hésitation : "Ce col du Puits, il est dans la poche !"

Moi, méfiant comme pas un quand il s'agit de muletier en léger, tout léger pointillé sur la 1/25000, je me dis in petto "Inch Allah !" et... à haute voix, je lui rapporte timidement et le front bas, un vieux proverbe de chez nous qui dit : "Avant que le fil ne soit dans l'aiguille, tu ne peux pas dire que la tunique sera cousue".

Et pourtant, de fil en aiguille et de vous à moi, on a apparemment fait le plus gros: plus que 100 m de dénivelée à avaler, une misère, une bricole, une simple formalité pour deux gars qui en ont vu d'autres, vous pensez !! La brave dame, interrogée en quittant le goudron, nous avait dit : C'est le chemin des cavaliers. Il lui avait répondu : On a des chevaux de fer, c'est plus costaud !... En ajoutant, c'est du billard... Et un col de plus, un, dans l'escarcelle !

Et effectivement, au début, s'étale devant nous une herbe fraîche et verte, séparant en deux, un joli petit chemin à peu près goudronné, ou tout au moins, en belle terre battue, pour promenade d'amoureux, la main dans la main, les yeux dans les yeux et dans les nuages... En un mot, une gentille petite sente riante et bucolique à souhait... Trente minutes après, on est là, à tirer comme deux beaux diables sur nos coursiers de métal coincés par des ronces aux doigts crochus et tenaces... C'est fou ce qu'un vélo peut être encombrant quand on n'est pas dessus !! Au bout d'une heure, on escalade des roches abruptes, nos montures toujours agrippées par des mauvaises fées déguisées en arbustes de plus en plus resserrés, au milieu de folles orties qui me griffent aux mollets.,. C'est fou ce qu'un vélo peut être lourd et indocile !
A la deuxième heure, je me retrouve tout seul sur une petite vire presque verticale, désigné à la garde des deux engins, pendant que mon zèbre, plus bison que jamais, cavale comme il peut là-haut, à la recherche et de ce foutu col et d'un semblant de trace de sentier, qui nous permettra de nous sortir avant la nuit de ce labyrinthe hostile... Si j'osais être grossier, je dirais même.,," de ce merdier merdique !

Et moi, toujours encerclé par des racines tortueuses et des épines acérées et envahissantes, je me mets à regretter le crottin de cheval qui nous guidait si bien, de ci, de là, tout à l'heure, sur ce petit sentier de gloire, mais qui s'est éloigné de nous, pour disparaître à tout jamais... Où ? Quand ? Comment ? ... Dieu seul le sait. Et nous avons pris ce chemin de perdition qui nous a menés là, sur cette plate-forme étriquée, où il n'y a même pas la place pour un chamois anémique et solitaire !!

Bref, je vous passe l'angoisse et l'essoufflement, je vous passe les jambes écorchées et les vélos tout bardés de brindilles et de feuillages... etc. Nous avons fini par trouver le COL DU PUITS vers la... troisième heure... Et pour en sortir, de ce piège à cons... cela ne s'est pas fait tout seul...

Et quand nous avons rencontré Pierre Brivet, sur la gentille petite sente fraîche et ombragée qui longe le torrent vers le Col de la Bohémienne, traînant son lourd vélo de globe trotter, écrasé par d'énormes sacoches pleines à craquer, de bidons et de boustifaille pour huit jours, sans parler d'une lourde tente qui lui avait permis, la veille, de coucher à la belle étoile, de celles qui rendent les muletiers accessibles à des balèzes du genre Conan le Barbare, nous lui avons fermement conseillé de laisser tomber le PUITS pour aller plutôt faire un tour du côté du LAC, les deux cols ayant une seule chose en commun... Ils sont complètement à sec ! Et nous nous sommes mis en quête du Col de la Bohémienne... Mais ceci est une autre histoire.

Jacques BENSARD

GRENOBLE


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