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Une marmotte égarée dans les Polders

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Comme notre époque se caractérise particulièrement par une remise en question des valeurs et des individus, il m'apparaissait indispensable de prendre du recul. L'idée me vint donc de comparer une superproduction, incontestablement étrangère au cyclotourisme, et un brevet aux aspirations essentiellement cyclotouristiques. Si, dans l'une, les cyclistes sont rois, et, les cyclos paumés, dans l'autre, c'est le cas contraire. Les paumés ne reviendront plus. Mais n'anticipons pas.

Les Alpes nous gardent encore,
Sur quelques sommets préservés,
Des jardins que le monde ignore,
Et que Dieu seul a cultivés.
(extrait des Fleurs du Désert) - LA PRADE

Le lieu et le temps des vacances aidant, je m'inscris à "La Marmotte". Qu'est-ce que "La Marmotte" ? En fait, il s'agit du BRA plus l'Alpe d'Huez. En tout, une dénivellation de 5000 mètres pour 173 kilomètres passant par les cols de la Croix de Fer, du Télégraphe, du Galibier, du Lautaret et enfin de l'Alpe. A vrai dire, mon idée était tout simplement d'accrocher 2 cols inédits et l'Alpe d'Huez à mon tableau de chasse. Je me doutais du caractère sportif de la réunion pas d'une course "open".

La semaine précédant la randonnée, mon épouse m'engage vivement à intensifier la préparation à ce brevet. Je m'applique donc à franchir successivement, à raison d'un col par jour, le Granon, le Montgenèvre, l'Izoard, le Galibier et la Croix de Toulouse. Cette dernière, peu connue, est délaissée par les cyclos parce que ni col, ni mont dont l'ultime kilomètre se termine par un sentier muletier défoncé, recouvert de silex, de sable et de caillasse.

Néanmoins, cette grimpette m'est attachante à bien des égards. Cette ascension, qui présente une dénivelée constante de 10 % sur 6,5 Km s'achève sur un promontoire offrant un vaste panorama sur la ville de Briançon, les vallées de La Durance et de La Guisane. En outre, quel havre de paix, un éden pour les écologistes.

Revenons au petit matin du 06.07.85 à Le Bourg d'Oisans, ville marché de l'Oisans autrefois célèbre pour ses colporteurs, merciers avec leur hotte qu'on appelait balle, fleuristes, etc.

Je crains la pagaille et la cohue du départ et à mon étonnement, c'est tout l'inverse qui se produit. Bravo 7 h 10. Les 3000 participants, le coeur gros, s'élancent à l'aventure. Les sept premiers kilomètres se déroulent sur une longue et large ligne droite où la circulation est entièrement canalisée par la gendarmerie locale. Détestant le grégarisme, je me laisse glisser en queue de peloton tant bien qu'à La Rochetaillée, - où l'Eau d'Olle vient grossir La Romanche qui, comme toutes les grandes rivières alpines, avait commencé comme un torrent de carte postale et qui finit, épuisée, détournée et polluée par les turbines et les usines -, je me retrouve bon dernier au pied du col de la Croix de Fer. Les conditions atmosphériques sont excellentes, quelques nuages vagabondent dans le ciel. Très vite, dès les premiers lacets, le peloton s'égraine naturellement. Une couverture médicale importante composée de médecins et de secouristes sécurisent dès le départ les concurrents par leur omniprésence. De plus, les secouristes seront répartis en postes fixes tout au long du parcours aux endroits les plus cruciaux. Nous remontons cette région exceptionnelle qu'est le nord du Haut Dauphiné, entre les vallées de La Romanche et de l'Arc (La Maurienne), où les rochers des Aiguilles d'Arves repoussent les contreforts de la chaîne de Belledonne et du massif de La Vanoise. Après Le Rivier, la route nous permet de souffler un peu mais se relève brusquement à hauteur du lac d'accumulation du Barrage de Grand Maison, rempli jusqu'aux trois quarts.

A la Combe d'Olle, je m'offre le plaisir de déserter un bref moment la caravane pour gravir les trois cents mètres qui me sépare du col du Glandon. Ne m'attardant pas, je fais demi-tour et rejoins la file des pèlerins en mal d'efforts.
Le sommet de la Croix de Fer se profile à l'horizon et doit accueillir bien du monde sur quelques mètres carrés. Je suis étonné de constater la présence de l'armée qui est venue prêter main forte. Une énorme tente abrite un poste de ravitaillement où un large éventail d'aliments sont distribués aux participants. Une route étroite et sinueuse plonge dans la vallée de La Maurienne.
L'excellente initiative d'interdire les voitures suiveuses nous permet de respirer l'air pur des Alpes. Les virages dangereux sont signalés. Initiative fortement appréciée par les descendeurs.

Les organisateurs ont choisi St-Jean de Maurienne, autrefois ville étape, comme aire de rencontre pour les familles des participants.
Cette cité savoyarde doit son importance à l'ancien siège épiscopal et à son industrie d'aluminium. Je m'y restaure et une brave St-Jeannoise remplit ma gourde d'une eau d'une fraîcheur douteuse.
St-Michel de Maurienne. - Regard furtif vers les Ets Vuillard qui, un certain jour, ont redressé une situation fort critique.
L'ascension du Télégraphe me paraît aussi pénible que deux ans auparavant à l'occasion de mon Tour de Savoie. Mon sac à dos me martèle le bas de la colonne vertébrale. Je ne résiste plus et l'enlève pour le disposer un instant sur le cintre. Instable, le sac glisse et, en moins de temps qu'il faut pour le dire, se retrouve coincé entre les rayons de la roue avant. Dans un super-réflexe, j'évite de justesse la chute.
Le soleil ne se fait pas prier et l'ombre devient rare. Passé le Télégraphe, on surplombe les gorges de la Valloirette qui seront traversées à Valloire, quelques 200 mètres d'altitude plus bas.

Break important de la journée. Un second poste de ravitaillement permet de recharger les accus avant de donner l'assaut au géant des Alpes. Après Valloire, le paysage revêt brusquement l'aspect des Hautes Alpes. Des pentes recouvertes d'éboulis scintillants cernent quelques prairies au fond d'une vallée dépourvue d'arbres.

A Plan Lachat, où un concurrent essaye de récupérer les 4 fers en l'air, la route est contrainte d'effectuer un virage après l'autre pour se hisser dans une région toujours plus aride.

Un groupe de jeunes cyclocampeurs bernois poussent péniblement leur monture chargée. J'approche La Bergerie, encore douloureusement marquée par les traces d'un ravitaillement en eau. De gros nuages nous enveloppent maintenant et rendent notre ascension moins pénible.
Le Galibier, étant situé à la limite météorologique entre la zone atlantique ( = versant nord des Alpes) et la zone méditerranéenne (= versant sud des Alpes) fait communiquer La Maurienne au Briançonnais d'une part, et à La Romanche d'autre part. Il culmine actuellement à 2645 mètres et depuis la suppression du tunnel a grandi de 89 mètres.

C'est sans doute la partie la plus belle de toute la route des Grandes Alpes parce qu'il offre la plus belle vue sur La Meije et le massif du Pelvoux. Au sommet, où un contrôle discret est effectué, la vue baigne dans les nuages.

La route mouillée polarise toute notre attention et nous passons sans jeter le moindre regard au monument à Henri Desgranges, le créateur du Tour de France. Quelques virages grandiosement aménagés, nous amènent, plus bas aux pâturages entourant le col du Lautaret et son jardin alpin. Je me méfie des éboulis qui trois jours plus tôt obstruaient partiellement la route. Le Lautaret passé, nous dévalons à tombeau ouvert vers La Grave. Ce bourg qui se pique d'être un des plus beaux villages de France contemple "Sa Majesté" La Meije qui est au Dauphiné ce que Le Mont Blanc est à la Savoie. La route se relève un peu avant le lac de Chambon. J'en profite pour enlever mon k-way et mon pull. Le lac, qui fait le bonheur de quelques véliplanchistes, est un bassin d'accumulation s'insérant comme un fjord norvégien dans les gouffres de la vallée de La Romanche. J'apprécie pleinement la descente de la "Rampe des Commères" et "Le Clapier", bientôt en vue, annonce l'ultime ligne droite avant Le Bourg d'Oisans et l'Alpe d'Huez.

Une seconde aire de rencontre pour les familles a été aménagée au pied de l'Alpe.

Je m'arrête un moment auprès de mon véhicule pour me débarrasser de mon sac à dos. Je tente de me refaire une santé bien que je ne sois guère rassuré en voyant l'attitude complètement effondrée d'un concurrent dans son auto. Il ne reste plus que treize kilomètres de forçat à parcourir. Une paille ! En effet, en montagne, il n'y a pas seulement des cols qui font communiquer diverses vallées mais aussi des routes qui relient au monde des vallées sans issue ou des terrasses situées à l'écart. C'est le cas de l'Alpe d'Huez - balcon ensoleillé au pied des Grandes Rousses - région où quand il n'y a pas de soleil il fait nuit (sic).

Les jambes molles, je mords sur ma chique et monte à ma main. J'essaye d'en garder un peu sous la pédale. Lorsque je parviens au 21ème virage, je commence vraiment à me rendre compte de la signification que revêt L'Alpe d'Huez dans le Tour de France. A La Garde, la vue s'amplifie sur la large vallée de La Romanche. J'ai horriblement chaud et il me manque manifestement des kilomètres.

Lentement, péniblement, le village d'Huez est atteint alors que force concurrents me dépassent. Peu importe, poursuivant mon calvaire, je finis par me hisser à L'Alpe qui est une prairie plate offrant une vue magnifique sur Le Pelvoux.

Le point de chute, situé derrière la patinoire, est disposé comme une arrivée de cross-country où une ultime restauration est possible.
Fatigué mais lucide, craignant les refroidissements, je me hâte de quitter les lieux pour Le Bourg d'Oisans.

J. BRUFFAERTS


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