Page 38 Sommaire de la revue N° 14 Page 40

Le club des 100 cols

Revue N° 14 Page 39

Ils me mettent colère, tous ces cyclos coléoptères, virevoltant de sommet en sommet, y collectionnant les panneaux bleus. Ils en "ramassent" cent et ont droit à l'accolade de toute cette confrérie dont ils veulent tant faire partie. Mais, il ne faut pas qu'y rentrer, il faut y collaborer, et c'est là le plus dur : monter une bosse en mettant en mémoire les souvenirs tant visuels qu'olfactifs afin de les restituer dans un journal, mais je risque un collapsus ! Encore heureux qu'ils ne vous en demandent pas le coloriage.

Une fois adhérent, vous recevez un colifichet, vous êtes alors dans le collimateur : tous les ans, on vous invite à une petite collation sans alcool, sortie de la sacoche, en pleine nature, au milieu des colibris, des moineaux et des colchiques. Mais vous êtes loin de votre concierge et de ces quolibets du genre "Ils sont fous ces maniaques du vélo qui récoltent les sommets comme les gens des kolkhozes le blé. Comment font-ils pour n'en avoir point une indigestion et des coliques frénétiques, comme dirait M. Colluchi, plus connu sous le nom de Coluche. Encore heureux que tous les col locataires ne soient pas comme lui." Etc...

Quand je pense à la colombe qui plane au-dessus de ces collines, je l'envie, moi qui grimpe avec tant de mal les escaliers de notre collégiale pour en admirer les vitraux. Et je me demande quelle folie collective peut bien les faire escalader à qui mieux mieux comme ils le font ? Cette année, j'ai essayé le Grand Colombier : 3 heures et demie de montée pour 18 kms, autant le faire à pied. Et dire qu'une colonelle de mes amies grimpait ça avec son colley accroché à sa selle par son collier. Et la pauvre bête suivait, suait, sans que jamais il n'y eut de collision.

Ah si seulement le colcotar était aussi efficace pour polir les monts que le verre, j'en aurais bien acheté tant et tant à ce colporteur d'une autre époque, encore vêtu de son coltin, et rencontré un jour par hasard, au fond d'une province perdue entre un champ de colza et une colossale maison à colombages d'une autre époque. Son torchis (à la maison) colombin datait encore du temps où l'on ne connaissait pas le colcrète et ses bienfaits pour colmater les trous.

Mais que de baratin, je n'ai pas encore commencé mon histoire.
Un beau matin, donc, j'enfourche Colbert, mon vélo (je l'ai appelé Colbert car il est mon ministre des finances : il occasionne mes plus grosses dépenses) et m'en vais me promener. But du circuit : la Camargue. Bien que l'été soit là, j'ai pris mon col-back car il fait plutôt frisquet. Le mistral me pousse doucement vers les rives de la Méditerranée. Seul, au milieu de ces plantes caulescentes, magnifiques, entouré de colverts qui s'envolent à mon approche, je me sens l'âme colonisatrice. J'en appuie de plus belle pour me rapprocher encore plus de ce paradis. J'aurais des instincts chasseurs et un colt, je ferais un malheur au milieu de ces petites bêtes réunies en colloques avant les migrations. Mais je ne suis qu'un pauvre cyclo perdu sans collier et qui cherche en vain une colombine pour le tirer de sa torpeur, et surtout pour lui couper le vent* car je viens d'arriver sur la digue de la mer, temple d'Eole, Colisée des vents où le cycliste est offert à leur bon vouloir qui est toujours contraire à ses désirs. J'ai beau prier tant "assez" qu'"holà", çà n'arrête pas. Eole a une dépression à colmater, et il s'y emploie avec ardeur, si violemment d'ailleurs que mon col de chemise en est trempé.
Je vais encore être obligé de fournir un effort colossal pour rentrer, collectionnant les fringales. Et dire que dans une heure, mes collègues m'attendent au restaurant des 3 colombes pour casser une croûte devant un petit verre plein d'alcool de par ici. Que je souffre ! Quand je pense que par chez moi, je caracole en tête de notre collectivité cyclote du dimanche. Une demie heure que je peine, que le Zéphir m'a pris au licol et ne veut plus me lâcher. Tant pis, puisque je n'arrive pas à décoller et que voici un café, je vais m'y arrêter. "Chez René, le roi du percolateur et de la bière sans faux-col" dit la banne racoleuse au-dessus du perron. J'entre en faisant fi du protocole : je vais d'abord boire un grand coup de Château-Lapompe dans les lavabos. Puis je reviens au bar, type "marin recyclé", avec des lampes et des filets partout, çà fait typique. J'y commande une menthe à l'eau sans colorant, l'avale comme un poivrot picolerait son litron. Elle n'est pas trop fraîche, donc pas de crainte de colique. Et comme je suis de la veille école, j'en profite pour casser une graine : un bon pâté de foie. Tant pis pour mon cholestérol. Eh bien mon colon, on se sent tout neuf après ça. Q'il n'y avait le vent, j'en serais presque bucolique.

Je vais devoir reprendre le collier pour rentrer : il me reste 15 kms contre le mistral, et surtout, il me faudra éviter les collisions, car sur la nationale, les véhicules vous collent et vous frôlent à qui mieux mieux ; à croire que la chasse au cyclo est ouverte et que le volant sert de colt. Nombreux conducteurs devraient retourner à l'auto-école y réviser leur code.

Pour rentrer, je n'ai pas perdu mon temps, avec deux ailes, j'aurais décollé. Me voilà. Un petit tour aux toilettes pour vérifier que je n'ai pas pris froid et n'ai pas le choléra (ça s'attrape partout : un de mes amis colporteur l'a attrapé en se rendant à un colloque réunissant les gens de sa profession en Colombie). J'ai encore peu de temps (5 mns) et j'en profite pour aller à la poste déposer un colis que j'envoie à mes neveux pour la collecte de paquets de riz qu'organise un collaborateur du journal agricole "le colvert et le colibri". Puis je m'en vais rejoindre mes collègues aux 3 colombes, monument de la restauration en France : ici, on ne mange, ni on ne picole, on déguste.

Ma randonnée est finie. Du plat tout le long. Et pourtant, grâce à elle, je suis aussi membre du club des 100 (sans) cols.

Voilà, le devoir est terminé. Et pour que la censure ne me coupe pas, le 100e sera au bas de la dernière ligne. Il faut dire que je suis un collégien collé par son écolâtre pour collusion avec un de ses amis contre un professeur. Et le surveillant, maniaque du vélo, m'a demandé ce devoir pour avoir la paix : "Raconter une histoire avec 100 "cols" sans qu'une fois ce mot ne soit employé avec son sens géographique". Je n'ai même pas pu raconter ma dernière colonie de vacances. Mais j'aurais une satisfaction, même s'il y a cent fois le son "col", il ne fera pas partie de notre confrérie : il lui en manque cinq à plus de 2000, et ce texte vole bien trop bas pour les lui offrir.

P. CHATEL de NANCY

* Çà y est, je me suis mis les cyclotes à dos !


Page 38 Sommaire de la revue N° 14 Page 40