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Un oeil mathématique...

Revue N° 13 Page 34

Classement, pas classement ?
Souvenez-vous : l'an dernier quelques cyclos, encore pleins de force malgré les cols qu'ils avaient franchis ou plutôt parce qu'ils n'en avaient pas assez franchi, s'affrontaient sur ce sujet. C'était la transposition au plan cyclo, d'une querelle scolaire. A l'école, les adversaires du classement ont gagné : il n'y a plus de premier, il n'y a plus de dernier, il n'y a plus de concours ; mais, devant les rares employeurs qui ont du travail à offrir, il y a le piston ou les entretiens : un autre classement...

On ne sortira pas du classement. J'aime, je n'aime pas quelque chose, quelqu'un : je classe. Mon nom commence par un M, celui de mon voisin par un B, je suis classé après lui dans une liste.
Le club des 100 Cols, dès lors qu'il veut faire connaître ses membres, classe; parfois par ordre alphabétique : c'est commode pour trouver un(e) ami(e); parfois par nombre de cols gravis: ça montre les cols qui restent à gravir, c'est stimulant.

Je connais un certain Georges de Biscarosse - je ne devrais pas donner cette précision : on va le reconnaître, le désigner du doigt, mais ça m'amuse tant de le faire enrager - dont le sang n'a fait qu'un tour quand il m'a vu avant lui sur la liste;
- Tu as eu beau te faire passer pour plus jeune et cacher ta résidence, je t'ai reconnu. Mais cette année, tu vas voir, tu peux t'aligner, les choses vont rentrer dans l'ordre, a-t-il prévenu.
Et de dresser la liste de ses nouveaux cols : oui, en 1985, l'ami Georges me passera... d'où le petit croc-en-jambe que je viens de lui faire en dévoilant son petit péché d'orgueil.
- Ne m'en veux pas, Georges. Ton péché est tout petit, petit, ridicule d'insignifiance à côté du mien, gros, "énorme", qui me catapulte vers les sommets normalement interdits.

Débutant dans la confrérie des 100 Cols, je reluquais tous les mosellans qui me dépassaient dans la liste. Je suis le premier maintenant ou peu s'en faut car j'exclus d'office deux "57" fraîchement importés des Pyrénées. En tous cas, dans ma catégorie, je suis le premier; le secret du bonheur, enfin d'un certain plaisir, n'est-il pas de trouver, voire de se fabriquer, une catégorie où on est le premier...?
Une relative place de premier atteinte, l'esprit dégagé de ce côté, j'ai pu alors batifoler et porter mes regards sur... les féminines.
- C'est du propre. Tu es bien comme tous les bonshommes, ne manquera pas de déclarer Annie quand elle tombera sur ce papier.

Je me défends par anticipation.
- Qu'est-ce que tu vas imaginer, c'est un oeil mathématique que j'ai...
Je parie fort qu'Annie rétorquera :
- Un oeil lubrique, oui ! Tu te trompes de mot.

Et pourtant, j'ai bien parcouru les colonnes à la recherche des femmes avec l'oeil que j'indique; mais , science ne se conjugue pas forcément avec froideur... La figure 1 représente la répartition des cyclos pour les classes qui sont en abscisse. Les classes sont à tendance logarithmique : un gros mot, presque ! Une telle échelle permet de faire de petits croquis - ces petits croquis dont Napoléon aimait à dire qu'ils valent mieux qu'un long discours; à la suite de quoi il créa l'Ecole Polytechnique pour qu'on y enseignât... les logarithmes. Elles sont quand même bizarres ces vilaines "bêtes" puisqu'elles reviennent à attribuer la même place à ceux qui ont gravi entre 740 et 1379 cols comme à ceux qui en annoncent entre 140 et 179 !
- Au voleur, au voleur! vont crier les premiers, gros collectionneurs de cols. Ont est brimés. Nous étouffons comment faire tenir nos 640 cols dans le même espace que celui imparti aux seconds ?
- Mais n'est-il pas plus difficile, plus méritant en tout cas, pour un débutant d'accroître son capital-cols de 40 unités que pour un "professionnel" de passer de 740 à 1379 ? Ce discours est orienté : je prêche pour moi.... d'abord.

Bref, le dessin de la figure 1 en bâtons - même les mathématiciens font des bâtons - est un histogramme comme Bison Futé en envoie sur le petit écran avant chaque départ en vacances. Le plus grand bâton est le repère de la banalité, là où se trouve "tout le monde".
La plus grande population des cyclos a ainsi gravi entre 180 et 259 cols. Je fais partie de cette masse; je suis un cyclo banal, pouah ! Je vais le rester encore cette année, re-pouah ! Une raison pour viser 300 cols : il y a toujours un stimulant quelque part.
L'histogramme de la figure 1 a, par ailleurs, une belle propriété: il est "normal", en dos d'âne.
-Mais, c'est un col !
Saisi, je me recule de mon papier. Quelle découverte ! J'écris, j'écris, je fais de la mathématique et je monte un col ! Va-t-on me permettre de le comptabiliser ? Je suis fébrile, j'ai perdu mes idées. Que disais-je ? Ah oui, que l'histogramme était normal et de cela, les mathématiciens, les statisticiens, sont ravis; ils n'aiment que ce genre de répartition, ils en demandent puis ils s'en gaussent; ils appellent même cette distribution "gaussienne". Comme quoi, si psychologiquement il est un peu méchant de réduire la performance des grands mangeurs de cols en rognant sur leur espace vital, mathématiquement une telle découpe est justifiée : la mathématique s'excuse...
- Et les femmes ? questionnerez-vous.

Oui, j'ai alléché lecteurs et lectrices et rien n'apparaît. Pour l'instant, ces cyclotes sont noyées dans la ou les masses qui représentent les bâtons de la figure 1.11 est temps que je les remette à flot : elles sont 174 sur 1963 soit 8,9 %. Au moins, dois-je préciser. Le décompte des féminines pêche par défaut car comment savoir quel sexe se cache derrière un prénom comme Claude, Camille, Dominique, Yannick... et derrière quelques initiales : Ch..., c'est qui? Allons plus loin et parlons de la figure 2 qui représente la proportion des femmes dans chacune des classes qui en font grincer certains. De 100 à 740 cols, cette proportion est d'une constance remarquable; au-delà, elle n'est pas ridicule. Certains, pas moi je le jure, auraient pu s'attendre à voir cette proportion baisser alors que le nombre de cols augmente. Eh bien non ! Cela montre qu'une femme sur une bicyclette va aussi haut qu'un homme :
- Alors, mesdames les cyclotes, n'est-ce pas une belle conclusion ?
Pour être complet, il reste à savoir comment mari et femme s'accouplent - pardon, vont ensemble à bicyclette. Pas de graphique, des chiffres.

Sur les 174 féminines qui sont inscrites aux "100 Cols" :
- 9 sont "supérieures" au mari.
- 19 sont ''égales'', strictement; 38 cyclos se sont unis, deux à deux, pour le pire et le meilleur, pour et par les cols.
- 13 totalisent de 1 à 10 cols de moins que l'homonyme qui habite le même pays et qui, selon toute probabilité, est le mari.
- 14 sont à 10 % du total du. cyclo (j'allais écrire du "maître'', je me suis retenu...)
- 13 sont entre 10 et 20 % au-dessous.
- 51 sont franchement "battues"; elles doivent avoir des circonstances atténuantes : travail dehors et dedans, maternités, moins d'années...
- 55 roulent seules, qu'elles n'aient pas rencontré le cyclo-frère, qu'elles l'aient rencontré mais opté pour le vélo libre, qu'elles laissent le mari à la maison pour faire la soupe et moucher les gosses, ou que tout bonnement je n'aie pas trouvé le mari dans la liste.
Le total fait bien 174. Le reste est littérature. J'espère que l'on ne le prendra pas pour violation du domicile vélocipédique, une chose d'ailleurs pas facile puisque par essence - un lapsus: par pédales - ce domicile est roulant, mouvant.

Ma conclusion découlera encore de la figure 2 : -Mesdames, cyclotes en titre ou à venir, oubliez la démonstration, oubliez le graphique, mais retenez et servez souvent à vos maris ou compagnons cela : «Nous sommes aussi fortes que vous, tra la la...» Si vous devinez un air dubitatif, pour être plus convaincantes, ajoutez à la rigueur : «C'est Bernard qui l'a dit et ce n'est pas le dernier des c...yclos»
Lequel Bernard vous salue bien, en vous regardant d'un oeil... mathématique ?

Bernard Migault

Metz (57)


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