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Sommets Bretons

Revue N° 16 Pages 40 et 41

La France coupée en deux. C'est une constatation que l'on a bien souvent faite dans beaucoup de domaines. Même si celui des résultats électoraux est le plus souvent cité, il n'est pas le seul tant s'en faut. S'il est un domaine où ce partage est le plus flagrant, c'est bien celui des cols. Si l'on trace une ligne droite de Wissembourg à Hendaye, on peut chercher en vain ceux qui se trouvent à l'ouest de cette ligne.

Le résultat est que depuis que le Club des 100 Cols existe, on est arrivé à la revue N° 15 sans qu'un seul article ait été écrit sur cette moitié de la France alors que l'on a chanté sur tous les tons l'autre moitié.

Il serait temps de réparer cette injustice et, avant de commencer à le faire, que nos nombreux amis et adhérents de Bretagne, de Vendée et du Nord me permettent de leur reprocher amicalement de n'avoir jamais rien écrit tendant à nous faire connaître ces mini-massifs et ces minichaînes que sont les Monts d'Arrée, les collines Vendéennes, les Alpes Mancelles et les collines frontalières de Flandre-Artois.

Rien qui frappe l'imagination avec des altitudes atteignant rarement 400 mètres et sont bien souvent inférieures à 300. Ce qui ne veut pas dire que pour venir à bout de ces sommets tout soit facile. Bien souvent plus la montée est courte plus elle est abrupte, à croire que les bâtisseurs de routes avaient hâte d'arriver en haut. Pour cette année, ce seront les Sommets Bretons.

Je les ai découverts en 1973, quelques semaines après avoir reçu mon diplôme du Club des 100 Cols qui en était à ses premiers balbutiements. La logique aurait voulu que je célèbre cet évènement par une série de grands cols mais mon planning prévoyait que pour mon cinquantième anniversaire, ce ne serait pas des cols de plus de 2000 mais des sommets de moins de 400 : les "Sommets Bretons". J'en avais sélectionné dix, plus trois routes que je baptisais "d'altitude", cela après avoir examiné au microscope toutes les cartes Michelin de la Bretagne.

J'avais aussi programmé une vingtaine de Caps, Pointes et Presqu'îles sans lesquelles il n'est point de Bretagne mais comme je ne pourrais pas ajouter grand'chose à tout ce qui s'est écrit sur la Bretagne, je m'en tiendrai aux sommets avec une petite exception pour la presqu'île de Crozon.

A l'école, quand nos enseignants nous faisaient dessiner la carte de France, on traçait consciencieusement un superbe crucifix entre les pointes du Raz et de St Mathieu. Même à l'école publique, cette entorse à la laïcité était admise. C'est seulement arrivé sur place que j'ai réalisé que le sommet de ce crucifix si petit sur un atlas scolaire faisait 80 km. de tour en passant par ses quatre pointes : Espagnols, Toulinguet, Pen Hir et... Chèvre. C'est au milieu des deux bras de ce crucifix que se trouve le village de Crozon où est né il y a un siècle l'un de nos plus prestigieux comédiens : Louis Jouvet En retournant à l'intérieur des terres, à une douzaine de kilomètres avant Châteaulin, une petite route mène au sommet du Menez Hom (330 m) seulement et c'est regrettable qu'il n'en fasse pas le double car on pourrait contempler d'un seul coup d'œil toute la presqu'île de Crozon. Par temps clair on peut quand même en distinguer les quatre pointes.

Bon, voilà un sommet "vaincu" et passons aux autres. A tout seigneur, tout honneur : les Monts d'Arrée, points culminants de la Bretagne (au pluriel car ils sont trois à se disputer la vedette entre 384 et 385 m d'altitude) mais procédons par ordre. On peut y accéder par cinq routes différentes venant des quatre points cardinaux ; le nord par Morlaix, l'est par Huelgoat, le sud par Châteaulin et l'ouest par Landernau ou St Thegonnec, ces deux dernières se rejoignant à Commana pour être passé sous l'allée couverte de Commana qui est le plus long dolmen connu, laisser le vélo dehors car c'est un peu bas de plafond. En haut de la montée c'est le Roc Trèdudon où se trouve la gigantesque antenne de 208 m prenant en direct le relais Télé des Buttes Chaumont à Paris. Quelques jours après mon passage, des inconnus la firent sauter au plastic privant toute la Bretagne de Télévision et, le plus tragique, poussant au suicide le directeur de la station.

De là commence une belle route en corniche qui longe sur 17 km la crête des Monts d'Arrée avec ses trois sommets rivaux. D'abord le Roc Trevezel presque au niveau de la route puis le Signal des Toussaines (Tuchen Gador en celte) ; assez inquiétant ce sommet, une arête de roches pointues et acérées de quelques mètres de haut On dirait une maquette des Aiguilles de Chamonix. Pour les atteindre il faut faire un court portage en se lacérant les mollets dans je ne sais trop quels épineux. Ensuite c'est le Mont St Michel, aucun rapport avec son homologue Normand ; une modeste chapelle reliée à la grande route par un bout de chemin carrossable où presque et là, pas de discussion possible, c'est bien le plus haut point routier de Bretagne. On continue la route en corniche jusqu'à Braspart d'où l'on peut gagner Huelgoat et son énorme rocher de cent tonnes, qu'un galopin astucieux réussit à ébranler d'une poussée pour la plus grande joie des touristes... et n'oubliez pas le guide.

Curieux pays plein de contrastes que la Bretagne. Au pied des Monts d'Arrée coté Est se trouvent les marais de Yeu Elez en partie disparus aujourd'hui sous le lac artificiel de St. Michel. Région pleine de légendes où abondent diables, korrigans, magie noire et chiens de même couleur, sorcellerie, charrette fantôme, etc... et comme si toutes ces diableries des âges révolus ne suffisaient pas, le 20eme siècle y a apporté la sienne ; la centrale nucléaire des Monts d'Arrée, pacifique celle-là, elle appartient à EDF. C'est comme à Pleumeur Bodou où l'on peut admirer les radars des communications télé spatiales adossé à un dolmen ou assis sur un menhir (pardon c'est le contraire, un menhir c'est un peu trop pointu pour s'asseoir). Le futur y côtoie la nuit des temps.

Les Montagnes noires est un chaînon qui s'étire d'Est en Ouest sur une trentaine de kilomètres entre les cantons de Carhaix et de Chateauneuf du Faou dans le Finistère et Gourin dans le Morbihan et dont le point culminant est le Roc Toulaéron (326 m).

Pas de route de crête comme dans les Monts d'Arrée mais plusieurs routes souvent vicinales en franchissent la crête ; j'ai caché le vélo dans les fougères et je suis parti à la recherche du Roc Toulaéron situé un peu à l'Ouest Après m'être copieusement égratigné les mollets dans les ronces, j'ai fini par découvrir cet agreste sommet : un ridicule tas de cailloux dans un champ de betteraves. Pas très prestigieuses ces Montagnes Noires.

Il ne me restait plus qu'à descendre à Gourin que je traversais le nez sur le guidon et filer sur Langonnet où j'espérais voir mon vieil ami Ernest que j'avais quitté vingt quatre ans plus tôt sur les bords du Fleuve Rouge alors que je prenais le bateau qui me ramenait en France ; lui restait sur place pour quelques mois encore. J'appris qu'il s'était sorti indemne de je ne sais combien de batailles et était revenu au pays... à Gourin. J'étais passé devant sa porte. Trop tard pour faire demi-tour, les Murs de Bretagne m'attendaient et aussi les vacances qui touchaient à la fin. Si un ami "Cent Cols" Breton connaît Ernest, qu'il lui donne le bonjour de ma part. Merci...

Les Murs de Bretagne s'étendent sur 6 km. entre le bourg du même nom au Sud et St Mayeux au Nord. Il y a trois montées dans le sens nord-sud et deux dans l'autre sens. Leur altitude varie entre 280 et 294 m. La route est à peu près rectiligne, c'est à dire que ce ne sont pas des murs que l'on a devant soi mais de véritables falaises. La plus terrible est celle de Bel Air qui vous élève de 150 m. en 1200 m ; Elle figure dans l'histoire des drames du Tour de France. C'est là qu'en 1947 René Vietto y perdit son maillot jaune et le Tour. Un bon conseil : laissez assez de distance entre vous et le motorisé qui vous précède, le temps de plonger dans le pré voisin pour le cas où la voiture partirait dans une marche arrière indépendante de la volonté de son conducteur.

Continuons la route des sommets bretons. Le Menez Bel Air (encore un Bel Air) côté 349 m est le point le plus élevé des côtes du Nord. Situé entre Collinée et Moncontour, la route passe au sommet ; ce fut d'abord un lieu de pèlerinage avec sa chapelle dédiée à un petit saint régional ; par la suite l'endroit fut tout indiqué pour y installer une tour-relais du télégraphe optique, et enfin de nos jours l'indispensable relais télé. On prétend que du sommet on peut voir la mer ; elle n'est qu'à une vingtaine de kilomètres mais je n'ai rien vu du tout. Peut-être que du haut du relais-télé ?

J'ai gardé le meilleur pour la fin, le Menez Bré. A 12 km. de Guingamp, sur la fameuse RN 12 en direction de Morlaix, un petit chemin carrossable conduit au Menez Bré (309 m). Alors là, mettez tout à gauche et cramponnez aux cocottes de freins, ce n'est pas long, à peine un kilomètre, mais c'est du 18 %. J'avoue qu'au bout d'un hectomètre j'ai sagement, au bord de l'asphyxie, décidé de terminer à pieds ; alors que je contemplais la chapelle St. Hervé, patron de ce haut lieu, je vis soudain un supposé "individu" accourir vers moi en faisant de grands gestes. Ce n'était pas un quelconque individu mais l'Honorable Monsieur Quignoux, délégué de la FFCT pour les Côtes du Nord. Nous avons fait connaissance. Je regrette de l'avoir pris au premier abord pour un "individu" ; cela ne se serait pas produit si je l'avais vu avec un vélo mais comme il sortait d'une grosse voiture on pouvait s'y tromper. A signaler que du Menez Bré on peut voir au nord les baies de Lannion et de Perros-Guirec et vers le sud-ouest les Monts d'Arrée situés à 50 km, par temps clair évidement.

A signaler également à 25 km au sud de St-Brieuc sur une petite route vicinale, le hameau de Porpair, quelques fermes seulement, mais à 325 m d'altitude, il est à mon avis le plus haut village de toute la Bretagne.

Tous ces sommets s'intégraient dans ma grande randonnée de vacances de 1973 qui comportait dix huit étapes pour un peu plus de 2400 km. Voir la Bretagne, c'était le cadeau que je voulais m'offrir pour mon cinquantième anniversaire. Cela ne signifie pas que j'y suis arrivé comme dans un pays inconnu. J'ai eu, outre l'ami Ernest cité plus haut, de nombreux amis bretons qui m'avaient appris bien des choses sur leur pays, son histoire, ses grands hommes, un pays auquel ils restaient très attachés et qui avait fourni 20 % des morts de la guerre 14-18, ce qu'ailleurs on ne sait pas toujours. Parmi ces amis je me souviens de Louis, un camarade d'école. C'était en 1936, sa famille s'était fixée à Villeurbanne ; le père, qui était militaire de carrière, avait été affecté dans une unité locale et le dimanche, sa mère et sa jeune sœur allaient à l'Office en costume du pays d'Auray. Il nous parla un jour d'un cousin qui venait d'être sélectionné pour courir le Tour de France. C'était assez courant à l'époque ; bien rares étaient les galopins d'âge scolaire qui ne se découvraient pas une quelconque parenté avec un géant de la route et tant qu'à faire, le plus grand possible. Louis avait plus modestement choisi le sien au bas du tableau, un parfait inconnu mais dont le nom fit la une des journaux quelques jours plus tard lorsqu'il remporta l'étape Grenoble-Briançon... Jean Marie Goasmat ; comme profil, c'était autre chose que tous les Menez de son pays. Cette année il termina 28eme. L'ami Louis pouvait être fier car... ils étaient vraiment cousins.

Je terminerai par un coup d'épingle où de pied aux fesses à certains de nos grands littérateurs du XlXeme siècle, ceux dont les œuvres sont dans toutes les bibliothèques, ceux auxquels se réfèrent tous les manuels scolaires, ceux dont les noms ornent les plaques de rues, que toute ville qui se respecte, se doit de rendre hommage, ceux que l'on appelle "nos grands classiques" et pour lesquels il n'est bon bec que de Paris, châtelains que de Touraine, gros propriétaires que de Normandie et Patriotes que d'Alsace et Lorraine mais domestiques, souillons, valets d'écurie, analphabètes quand ce n'est pas prostituées et délinquants que de Bretagne. Ces Maîtres de porte plume qui ont fait plus de tort à la Bretagne que les histoires un peu naïves mais pleines de sagesse et de bon sens de Bécassine.

Notre modeste revue sera-t-elle la première, bien que ce ne soit pas là sa vocation, à remettre les choses au point ?

René LORIMEY


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