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MES DEBOIRES AU PARPAILLON

Revue N° 10 Page 32

Si le Parpaillon figure bien parmi les cols à mon actif, je n'en garde cependant aucun souvenir agréable. Je ne peux imaginer son décor qu'au travers des récits publiés ça et là de ceux qui, plus favorisés que moi par les conditions atmosphériques, ont pu admirer son caractère grandiose, sauvage et autres termes laudatifs.

Mon passage remonte à 1929, à l'issue d'un voyage cyclotouriste décidé inopinément à la journée Vélocio avec un ami lyonnais retrouvé et libre comme moi pour la semaine. Sans but défini, au hasard de nos inspirations journalières, nous avons vagabondé du Vercors au Dévoluy, de la Bérarde au Briançonnais. Au soir de l'étape qui précédait le retour à Lyon, nous trouvant dans la vallée de l'Ubaye, vers Jausiers, la proximité du Parpaillon nous suggère l'idée de mettre la traversée du col au programme du lendemain pour prendre ensuite le dernier train du soir à Embrun et finir ainsi en beauté avent de reprendre nos occupations respectives.

Hélas, le lendemain matin le temps était complètement bouché, il pleuvait même un peu. Seul l'hôtelier affichait un optimisme sans faille, affirmant que le ciel allait se dégager sous peu et qu'une bonne journée pouvait être assurée. La pluie, légère au départ, s'intensifia, après Sainte Anne, devint déluge avec mélange de neige à mesure que nous progressions. Nous aurions dû abandonner mais, une fois embarqués dans notre aventure, il aurait été tout aussi pénible et aussi long de revenir en arrière. Aussi, poussant plus souvent le vélo que le chevauchant, sous la pèlerine devenue inefficace et les pieds dans l'eau, mouillés, transis... et affamés (nous n'avions qu'un trop léger casse croûte), nous sommes passés devant Crévoux en fin d'après-midi sans prendre le temps de nous arrêter à l'auberge Faure, torturés par le souci de notre train, sans avoir eu d'autres visions que des sommets noyés de nuages derrière un rideau de pluie et du terrain où nous posions nos pieds. Dans notre wagon, nous nous disions avec philosophie que la beauté inoubliable (?) du Parpaillon serait pour une autre fois.

Celle ci aurait pu se présenter pour moi, en 1931, mais de façon toute différente et il n'était pas question de cyclotourisme. Convoqué comme réserviste au 14ème train auto pour une période de 21 jours, j'appris à mon arrivée à la caserne que la compagnie auto participait, réservistes compris, aux manoeuvres alpines du 14ème corps. Camions, camionnettes, hommes et chevaux furent pris en charge par le P.L.M. et débarqués le lendemain matin dans une petite gare de la vallée de la Durance pour prendre la route jusqu'à Embrun. C'est à cet arrêt que le lieutenant du groupe auquel j'appartenais me demanda de prendre le volant d'une camionnette et de monter une dizaine de réservistes .... au col du Parpaillon, qu'il crut devoir me montrer sur sa carte. Plutôt interloqué par cet ordre saugrenu, je lui demandais si c'était sérieux car le chemin du col n'étant, à ma connaissance et pour y être passé, qu'un sentier seulement accessible aux mulets des chasseurs alpins, je ne pensais pas qu'une camionnette ou même une voiture ordinaire puisse aller très loin au delà de Crévoux. C'était cependant le col qui était prévu sur les instructions qu'il possédait. Je ne pouvais que lui dire que je me sentais pas capable d'une telle mission, n'ayant pas l'habitude dé la conduite d'une camionnette sur un tel terrain, je ne voulais pas risquer l'accident grave pour mes camarades ... et pour moi. C'était un officier réserviste aussi et compréhensif, il n'insista pas : «Bon, je vais trouver un autre conducteur et en ce qui vous concerne, vous vous occuperez d'assurer la circulation au col de Vars avec quelques autres réservistes que je vais désigner, pendant et jusqu'à la fin des manoeuvres. Comme je n'ai pas de véhicule disponible, à partir de Guillestre où la camionnette va vous conduire, vous monterez à pied jusqu'à Ste Marie de Vars, logement en grange qui sera désigné. Le ravitaillement vous sera monté tous les jours.
Et voilà comment ayant décliné la tentative du Parpaillon en camionnette ! J'ai eu le privilège avec 5 ou 6 compagnons, d'une villégiature en montagne qui, si elle n'avait pas le confort d'un 2 ou 3 étoiles, nous a fait passer quelques jours de bons moments, sans corvée ni marche militaire, les occupations de notre commission régulatrice de la route au col de Vars étant peu astreignantes et limitées lors du passage de quelques convois militaires. A cette époque, on ne connaissait pas les jeeps, half tracks et autres véhicules tout terrain. A la fin des manoeuvres, j'appris qu'aucune camionnette ou voiture n'était montée.

Plusieurs années passèrent sans l'occasion d'une nouvelle approche avec le Parpaillon. Mes vacances cyclistes se passaient ailleurs que dans les Alpes : Tyrol, Dolomites, Suisse, Corse, Pyrénées, Espagne, etc... puis vinrent les années 39/45 peu propices pour s'aventurer sur une route stratégique. D'autres années, d'autres voyages et c'est seulement en 1970, à l'occasion de la Semaine Fédérale de Gap qui comportait la randonnée du Parpaillon que j'ai pu penser à régler mon compte arriéré avec lui. Sans qu'il soit question de me lancer dans cette épreuve que j'estimais trop dure pour moi, j'envisageais d'utiliser la voiture pour me faciliter l'approche jusqu'à Savines ou Embrun et, après avoir fait la traversée, de retrouver la Condamine ou à Jausiers, la voiture d'un ami qui m'accompagnerait ou, à défaut, de fréter un taxi ou autre véhicule à Barcelonnette pour rejoindre mon véhicule à son point de parking.

L'homme propose... mais mon projet ne devait pas se réaliser. Le lundi 3 Août, en montant au Giobernay dans le Valgaudemar avec quelques amis, un infarctus m'a stoppé à la hauteur de Rif du Sap. Déjà un «avis sans frais» m'avait forcé à mettre pied à terre lors de la journée Vélocio quelques semaines auparavant et la veille, le 2, dans le col de la Sentinelle, j'avais éprouvé des difficultés inhabituelles. J'aurais dû m'inquiéter de ces premiers avertissements.

Passons... j'ai échappé à l'accident grave mais le vélo me fut strictement interdit pendant plusieurs mois et ensuite autorisé, mais avec de telles réserves que, maintenant, ayant onze fois l'âge de raison, j'ai en plus, une raison de penser que je n'irai pas refaire le Parpaillon...

Francisque FERLAY

CHARBONNIERES (69), Sociétaire au CT LYON depuis 1925 (57 ans au même club, qui dit mieux!)


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