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LA REVANCHE DU MOTEUR

Revue N° 10 Page 33

La grimpée avait été longue et assez rude.

Peu de voitures cependant étaient venues déranger la tranquille solitude des lieux. Vers le sommet seulement, quelques touristes sortaient leur appareil photo de part et d'autre du tunnel.

Une trouvaille ce tunnel ! Malgré le beau temps stable qui régnait depuis plusieurs jours, son sol bosselé était recouvert d'une boue glissante dont la traîtrise était encore renforcée par l'obscurité complète.

Il avait fallu écarter les jambes et serrer les fesses tout ensemble pas si facile en priant que tout aille bien. Mais de l'autre côté, le beau maillot rouge était toujours immaculé.

Le temps de photographier quelques pierres en premier plan sur fond de cailloux, de rêver d'un lac à proximité qui eût permis une infinité de ricochets et la descente avait commencé.

D'abord fort acceptable, la route s'était faite paradoxalement plus rugueuse à mesure que l'herbe augmentait sur les bas côtés.

Plus bas, la rencontre d'un cyclotouriste haut savoyard sur une lourde bécane avait été l'occasion d'une longue pause et d'une discussion sympathique.

Puis les bergeries et les premiers arbres étaient venus à la rencontre de la bicyclette, tempérant quelque peu la rigueur d'un paysage très pur.

C'est alors que la course avait commencé.

Dans un grand bruit de bois remué et de pot d'échappement, le tracteur dépassa la bicyclette en tirant un tombereau qui, dans les cahots de la route, faisait comme des hoquets au vacarme du moteur.

Sur le siège du conducteur et dans le tombereau deux faces hilares et des grands bras qui s'agitaient saluaient le cycliste et semblaient en même temps le défier.
Vexé, malgré l'air sympathique de ses rivaux, le cycliste accéléra soudain, les mains en bas du guidon et la manette du dérailleur entièrement repoussée vers le cadre, puis redépassa bientôt le bruyant attelage.

Il emmena quelque temps cet étrange convoi, talonné par le tracteur qui lui semblait rire dans son dos, puis ses adversaires abandonnèrent apparemment la lutte et il se retrouva seul avec sa bicyclette.

Arrivé à Ste Anne, il se désaltéra à la fontaine et s'en fut sur le détestable goudron de la route de la Condamine.

Soudain un sifflement caractéristique retenti en provenance de sa roue arrière. Il stoppa précipitamment et ne put que constater les dégâts.

Pour la première fois depuis qu'il possédait cette monture, il avait crevé. Le pneu, pourtant de bonne famille, n'avait pas résisté aux efforts précédents. Et la pompe, oubliée à Lyon ! C'est beau la confiance mais tout de même...

Il s'apprêtait à continuer son chemin à pied, espérant trouver un vélociste à Jausiers, lorsque le tracteur se manifesta à nouveau.

Un pouce levé, une moue significative, deux puis trois éclats de rire et le tour fut joué.

En cet après midi de fin de mois d'août, les nombreuses demoiselles qui, sac au dos, descendaient la route vers la Condamine et Jausiers eurent droit à un spectacle insolite : un tracteur tirant un tombereau de bois avec dans ce tombereau un berger, trois brebis, deux jeunes agneaux de la veille, une bicyclette de randonnée et, dans un magnifique maillot rouge, son habituel cavalier.

Loïc DUPRÉ LA TOUR

St GENIS LAVAL (69)


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