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Bocca di san Rocco ou Bocca di sans retour

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7 heures 30 : nous débarquons à Bastia. Les sacs arrimés sur les vélos, nous filons immédiatement, ma femme et moi, sur la D80 ; notre bible « 100 cols au nord de la Corse » bien en vue sur la sacoche de guidon.

Au début sur la D80, la circulation est assez dense, les Corses aussi vont travailler tôt. D32 vers Piétracorbara : on perçoit encore une odeur de brûlé. La végétation est noirâtre au bord de la petite route.

La D32 se rétrécit progressivement. Une habitante de Lapédina nous confirme que la Bocca di san Rocco, premier col de notre périple, n'est plus très éloignée. La petite route goudronnée va toutefois devenir piste. Un panneau "réservoir de san Rocco capacité 40 m3", mais pas de panneau de col. Il existe un embranchement à gauche mais la piste continue tout droit vers un sommet, un kilomètre plus haut, surmonté d'un pylône électrique.

Soit nous sommes au col, soit nous l'atteindrons près du pylône. De toute façon le guide écrit : après le col continuer tout droit. Disciplinés, nous continuons. Nous atteignons rapidement le pylône. Aucun panneau. Est-ce le col ? La piste descend doucement mais devient de plus en plus sablonneuse et caillouteuse. Il est écrit : intersection D32-D131 à 2,5 kilomètres après le San Rocco. Aucun carrefour. Nous continuons, obligés de pousser par moment les randonneuses.

Puis ça se corse si on peut dire, gros cailloux, pente à 15 %. Un panneau enfin : « voie sans issue ». La piste se poursuit toutefois par un méchant chemin presque à pic. Il semble descendre vers la mer. Nous la distinguons bien ainsi que la route côtière à environ un kilomètre à vol d'oiseau.

La bonne direction était sans doute à gauche après le réservoir San Rocco. Que faire ? Nous n'allons pas remonter pour rien. La paresse nous pousse à continuer par la voie sans issue, d'autant que nous distinguons en bas de la pente, à 400 mètres environ, une voiture. Elle n'a pu, à notre avis, que venir de la route côtière. Nous en déduisons qu'une fois la voiture atteinte, notre promenade pédestre sera terminée, et nous serons à nouveau sur une route cyclable.

La descente est difficile jusqu'à la voiture, pente glissante à plus de 20 %. Nous avons du mal à retenir les vélos lestés de plus de 10 kilos de sacoches surbaissées. Quant aux cales sous nos frêles chaussures, nous espérons qu'elles tiendront.
Nous atteignons péniblement la voiture, le pseudo sentier pourri a disparu. Ce petit 4x4 est immatriculé en Pologne. Personne à l'intérieur, personne à côté, aucune habitation aux alentours. La route côtière est à portée de main. La tour génoise que l'on distingue est sans doute, d'après la carte, celle de Losse. Le maquis très dense s'est comme refermé autour de nous. Nous tentons une approche à pied par le bas, vers la droite, vers la gauche, impossible de marcher plus de 2 mètres. Comment cette voiture est-elle arrivée là ? Qu'importe ! Nous n'avons plus rien à boire, mais heureusement, nous avons l'après midi entière pour revenir au col (et il ne comptera qu'une fois !).

C'est parti. Les sacoches balancées sur l'épaule par une sangle improvisée, nous nous hissons péniblement d'une cinquantaine de mètres. Nous redescendons en glissant chercher nos vélos. J'arrive à monter le mien en marchant en escalier. Ma femme n'y arrive pas. Il n'y a pas de spectateur mais la nécessité me force à jouer le gentleman : je retourne chercher le sien. Nous progressons ainsi de suite en plusieurs étapes de quelques mètres. Nous sommes à bout de souffle. J'ai débranché mon cardiofréquencemètre, de toute façon, il faut continuer.

Deux heures après nous rejoignons enfin le réservoir de San Rocco. Nous poursuivons cette fois par la bonne route. Il est trop tard pour emprunter le circuit du Cap Corse. Nous coupons : col de Laserra, Luri où, enfin, nous pourrons nous désaltérer. Nous racontons au cafetier notre mésaventure. Il est plié de rire : le 4 x 4 polonais, il a dû descendre là-bas on ne sait trop comment, et ça fait un an qu'il est dans ce cul-de-sac…

On peut déduire de cette mésaventure, trois préceptes pour cyclorandonneurs :

- Il faut savoir reconnaître un col sans tomber dans le panneau,
- Les voies des véhicules à quatre roues sont parfois impénétrables,
- Il ne faut pas suivre tête baissée une feuille de route, même quand elle est (très bien) concoctée par le club des cents cols.

Denis Ulmann

CC n° 5686



NdlR : Bernard Giraudeau modifiera le carnet de route en précisant que le secteur de Bocca di San Rocco est une piste en terre cyclable ( autrefois goudronnée) sur une distance d’environ 5 km de part et d’autre du col, et qu’arrivé au col il faut descendre en continuant la piste ( changement de direction) et non pas aller tout droit en direction du pylône.

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