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Et mon petit vélo est remonté dans les étoiles

Revue N° 32 Page 49

Connaissez-vous la dépression ? C'est une traversée du désert, un grand vide où tous les sens s'émoussent, où on existe sans vivre, où l'on ne sait plus ce que veut dire énergie, passion, ou… Cent Cols !

J'ai traversé ce tunnel entre janvier en novembre 2002, quinze jours avant le raid pédestre Saint-Etienne-Lyon. Il s'agit de joindre de nuit les deux métropoles sur un parcours de 64 km, moitié chemin et moitié route. Un beau menu !

Malgré une forme physique très précaire (manque d'entraînement et prise de médicaments lourds), une pulsion incontrôlée et un réveil d'énergie me poussaient à tenter cette effort comme une « renaissance ».

Montées et descentes, nuit et jour, plaisir et souffrance, la succession de ces opposés tout au long du raid ont ainsi résonné en moi au même rythme que les secousses d'énergie que j'ai subies dans ma dépression 2002. Et au fur et à mesure de cette folle nuit où le mental a le temps de gamberger (!), j'ai revécu les affres de ma toute récente maladie. Sortir vainqueur de cette longue nuit m'a permis d'exorciser le mal et de retrouver définitivement la lumière. Voici donc en parallèle les grandes étapes de ce raid et l'année noire 2002 (une heure du raid équivalant à un mois de dépression).

8 décembre : 0 heure : départ du raid St-Etienne-Lyon dans le dédale de la grande banlieue stéphanoise où l'on profite des lumières de la ville, même si l'on sait que ces candélabres ne pourront nous accompagner que quelques kilomètres…

[janvier 2002 : je tiens encore debout mais pour combien de temps ? Je sens le sol céder sous mes pas…]

8 décembre : 2 heures : ça se complique : le bitume et les lampadaires ont laissé la place à la boue et à l'obscurité. C'est à la fois magique (tous les sens sont en éveil, le moindre mouvement ou bruit est perceptible) et assez difficile (on risque la chute à chaque pas) sans parler de l'orientation facilitée par le passage de 2500 coureurs devant moi…

[mars 2002 : je suis hospitalisé dans un lieu calme où je tente de reconstruire mes énergies]

8 décembre : 4 heures : égarés en pleine nature, à 900m d'altitude, entre St-Etienne et Lyon dont on aperçoit les lumières en fond de décors, nous avançons entourés de vrais marcheurs (la meute des coureurs nous a lâchés depuis longtemps) sur ce petit toit du monde (allez-y en VTT, vous verrez le panorama !).

La boue omniprésente n'est plus un obstacle, nous l'avons domestiquée ! Les heures passent, à la fois douces et dures, nous emportant dans un monde intemporel où souffrance et plaisir ne font plus qu'un (comme le dernier kilomètre du col du Galibier !).

[mai 2002 : je suis sorti de clinique mais mon équilibre nerveux n'est pas stabilisé et je joue la montre pour repousser au lendemain une rechute inévitable ].
8 décembre : 6 heures : le contrôle de Sainte-Catherine nous indiquant sensiblement la moitié du parcours, permet de reprendre contact avec des éléments matériels : un bâtiment chauffé et de la lumière. Surtout ne pas s'arrêter, ne pas sentir les premières douleurs, résister au chant des sirènes d'une voiture qui vous ouvre sa portière, repartir dans le froid et l'humidité à l'assaut de soi-même.

Longue et délicate descente (3 km à 10%) dans le Bois d'Arfeuille. La fatigue commence à se faire sentir. (km 40) Mais une sorte d'accoutumance (à la limite de l'anesthésie) permet de vivre au delà de la souffrance, des niveaux d'énergie que comprendrait tout cyclo amateur de grands raids.

[juillet 2002 : je continue à mener une vie normale, mais force est de constater que mon punch s'émousse. Une semaine de VTT dans les Alpes Maritimes ne suffira pas à me requinquer, et j'assiste, passif, à ma baisse de régime… ]

8 décembre : 8 heures : le jour se lève pour le contrôle de Soucieu-en-Jarez (je suis, quant à moi soucieux du jarret !). Il reste encore 17 km et, malgré l'abandon du jeune Martin (16 ans, beaucoup de courage) je repars sans hésiter à l'assaut de ce dernier quart mais qui en vaut bien le double.

Descente et remontée rapide de la vallée du Garon. Traversée de Chaponost où les premier passants que l'on croise se demande de quelle planète nous débarquons ! Dans le registre des monuments en péril quelques vestiges d'aqueduc romain nous font pacifiquement concurrence !

[septembre 2002 : je suis à nouveau hospitalisé et je commence à me demander si je sortirai de cette dépression. Quelques rencontres amicales me redonnent espoir…]

8 décembre : 10 heures : c'est la dernière difficulté: la montée de Francheville, 1 km à 12%, un peu raide après 60km ! Quelques échanges verbaux avec des survivants de la nuit, occupent l'esprit et effacent quelques mètres. Descente interminable sur la Saône où la traversée des rues est protégée (quel plaisir de passer devant les autos !). Le dernier kilomètre est parcouru dans une douce euphorie, celle bien connue des cyclos après une nuit d'effort ou un brevet cyclo-montagnard !

[novembre 2002 : j'ai retrouvé de belles énergies grâce à un médecin compétent et compatissant, et je sors de la clinique plein de projets dont celui de finir Saint-Etienne- Lyon]

8 décembre : 11h30 : ça y est ! J'ai vaincu la traversée des monts du Lyonnais et de la dépression. Convergence des deux récits précédents, l'année 2002 globalement déplorable se termine soudain par une belle remontée physique et psychique dans le monde des vivants. Contrairement aux autres participants, je remporte ce jour là deux victoires, l'une sur le raid et l'autre sur la vie !

François Pouêssel

CC n°573


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