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Pour un B.C.M.F.

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Je suis un petit cyclotouriste : 2000 km par an, cela ne vaut pas une majuscule. Mais, quand votre entourage, loin de partager votre passion, la tolère tout juste, quand on veut malgré tout préserver sa vie familiale, quand on sacrifie également, selon les saisons, au cross ou au ski de fond, il faut bien limiter ses ambitions cyclotouristiques.

D'autant que si, à l'époque de mes vingt ans (j’ignorais alors l'existence de la FFCT), j'ai fait de longs périples en cyclo-camping - avec sur le porte-bagages la tente et tout le matériel nécessaire pour faire la cuisine sur un feu de bois entre deux pierres - je n’ai recommencé véritablement à pédaler après une longue interruption que depuis une dizaine d'années. Et petit à petit j'ai repris goût aux grands cols et apprécié les brevets cyclomontagnards : de Circuit des Aravis en BRA, de RVV en Circuit des Vosges, pourquoi ne pas aller jusqu'au bout du B.C.M.F. ? Francilien durant l'année, Drômois pendant les vacances, le Massif pyrénéen, qui me manquait, était bien loin de mes bases et le brevet à y effectuer me posait quelques problèmes ; mais la nécessité aidant, je jetais mon dévolu en 1988 sur la toute nouvelle "Randonnée des Trois Comtés Pyrénéens".

Arrivé à Salies-du-Salat, et replongé aussitôt dans l'ambiance caractéristique de ces brevets, la journée du lendemain redevint ma préoccupation principale, et la météo également ; il faut dire que, la canicule, je n'apprécie guère, et j'aime mieux que le goudron reste sagement sur la route plutôt que de le voir se liquéfier et coller à mes pneus ! mais là, cela ne s'annonçait pas au mieux.

Trois heures du matin : l'habituelle théorie de petites lumières rouges s'ébranle et s'effiloche bientôt vers Saint-Girons, et après 35 km de mise en jambes, le Col de la Crouzette s'offre à nos mollets . De nuit, on sent bien que ça monte (et comment!), mais la pente interminable est masquée à nos yeux et ne nous sape pas le moral ; le petit jour permet d'apprécier la ligne de crête - col du Pradel, col du Portel, col de la Péguère - et surtout de plonger sans risques vers Massat ! les paysages magnifiques de l'étang de Lers et du col d’Agnès aidant à affronter les pentes du deuxième « géant » de la journée; le soleil nous y rejoint et nous le subissons « en vrai grandeur » dans le col de Latrape qui, pour être court, n'en est pas pour autant négligeable. L’arrêt et le casse-croûte à Seix, très animés, sont bienvenus ; mais je commence à penser que le col de la Core pourrait bien me poser des problèmes ; il est midi, pas un nuage à l'horizon, aucun espoir de jouer à cache-cache avec le soleil. Allons-y !

Et si, tout « à gauche », les premiers kilomètres de la petite route étroite défilent lentement, je n'en suis pas à la moitié qu'un coup de pompe formidable me laisse sans forces couché dans l'herbe, incapable d’appuyer sur les pédales ; de sombres idées me passent par la tête, je vois défiler des dizaines de cyclistes que je n'ai même pas envie d'essayer de suivre et je pense à la voiture-balai.
Un petit sursaut d'énergie me permet de réagir et, tantôt sur le vélo, tantôt à pied, tantôt assis au bord de la route (mais là, ça n'avance pas vite!) je progresse vers le col lointain dont j'aperçois par moments l'échancrure ; la voiture-balai m'a rattrapé et, tout en me proposant son asile, le conducteur me prodigue des paroles d'encouragement : du courage! allez-y doucement ! vous avez le temps ! cela va marcher ! qu'il en soit remercié… et comme je n'ai pas fait plus de 500 km en voiture pour n'en faire que 120 en vélo et abandonner, j'essaie de durer. Et avec une stupéfaction incrédule, je vois tout à coup le ciel se couvrir, des éclairs briller, le tonnerre gronder et, ô joie, une averse torrentielle s'abattre sur le secteur : qu'importe qu'elle soit mêlée de quelques grêlons, je m'y baigne avec délectation et ce n'est qu'à regret que j'enfile mon K-way, pour ne pas risquer un refroidissement ; le miracle se produit, je me sens ressusciter, et s'il serait excessif de dire que je m'envole, j'appuie de nouveau sur les pédales et j'avance : qu'importe que la pluie cesse (le ciel restera couvert), qu'elle ait été accompagnée d'un vent d'ouest défavorable, lentement mais sûrement le col se rapproche et je peux basculer vers Bethmale, saluer au passage la voiture-balai et renoncer définitivement à ses services et même, à Castillon, retrouver quelques compagnons de route ; je ne serai plus seul et le dernier pendant le reste de la randonnée.

Certes le col de Portet d' Aspet est respectable et même celui de Larrieu, pour n'être pas comparable à ceux qui l'ont précédé, justifie bien le petit plateau : mais quelle jubilation de les surmonter successivement et de plonger sur Aspet, puis vers Mane, et de me retrouver enfin à 20 heures devant l'établissement thermal de Salies-du-Salat !

Qu'elle est belle la médaille de la Randonnée, et quels souvenirs me laissera ce B.C.M.F. enfin complet ! La pluie dans les Aravis en 82 et dans les Vosges en 86, la canicule de la RVV 87, les Géants du Galibier et du Grand-Colombier et tous ces paysages si divers. La façade de la collégiale de Monestier-sur-Gazeille illuminée dans la nuit, ce village du Jura encore endormi au petit jour, ce troupeau de vaches sur la route de l'étang de Lers, les contrôles et les points de ravitaillement où tout le monde sourit malgré la bousculade, sans parler de surprise comme ce petit poste portatif offert par Radio-43 au dernier arrivant de la RVV 87 : récompense des efforts faits pour terminer malgré la fatigue !

Que soient remerciés tous ceux qui oeuvrent pour l'organisation de ces Brevets, toujours impeccable et souriante, et rendez-vous à d'autres brevets montagnards à découvrir et à affronter, et pourquoi pas une Diagonale ou Paris-Brest-Paris ? on peut toujours rêver !

Bernard MARTY

CC n°2981



P.S. : Ce texte a 17 ans, je n'ai fait ni Diagonale ni P.B.P.; hélas ! mais tout de même quelques autres brevets de diverses sortes.

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