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Un col à plus de 2000 avec un ringard

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Faire de la bicyclette c'est donné à tout le monde. Rien d'exceptionnel que d'emprunter un engin datant de Mathusalem ou la dernière promotion de chez Décathlon pour aller chercher le pain ou poster quelques lettres.

Glissez au cours d'une conversation de salon que vous faites du vélo pour votre plaisir et que vos parcours dépassent régulièrement la centaine de kilomètres et observez votre entourage. Le regard se fait d'abord interrogatif puis inquisiteur. Ensuite vous serez toisés de la tête aux pieds et jugé immédiatement au mieux comme un original voire un marginal.

Rajoutez que vous appréciez particulièrement les parcours qui dépassent les deux cents kilomètres et que vous collectionnez les cols gravis à vélo comme d'autres les timbres-poste et votre auditoire va discrètement prendre de la distance à votre égard ayant de plus en plus de mal à vous imaginer, légèrement bedonnant, sur une fringante bicyclette de course dépouillée et arborant de vives couleurs.

Acte I : Juillet 2001. Une invitation à passer la journée à coté d'Aix-les-Bains et l'idée saugrenue de rejoindre mon épouse à vélo par le col du Chat me passe par la tête. Après tout, nos hôtes sont amateurs de vélo. Ne vont-ils pas régulièrement sur les routes du Tour de France lorsque celui-ci traverse la Savoie ?

Petit à petit, l'idée fait son chemin, le parcours est tracé par de toutes petites routes en direction du lac du Bourget et je ne peux plus reculer.

Jour J. Il fait beau, pas trop chaud, température idéale pour moi. La première partie du parcours se fait sans difficulté. A l'approche de la Montagne du Chat, les petites routes sont de plus en plus accidentées. A cela s'ajoute une estimation optimiste du parcours. J'accuse à l'approche du col du Chat un retard sur mon programme de route. L'ascension du col accentue ce retard et lamine mes dernières forces. Enfin ! Plongeon vers le Lac du Bourget avant une dernière côte.

Avec deux heures de retard sur l'horaire prévu, elle est peu glorieuse l'arrivée du routier noir à garde-boue et sacoche surmonté par un cavalier bien éprouvé par la randonnée.
Où est l'image du coureur cycliste élancé qui accepte une interview dans la minute qui suit son passage de la ligne ?

Acte II : Juillet 2002. Sous la pergola en ce dimanche ensoleillé, la journée se poursuit autour d'un repas de fête dans une ambiance conviviale et décontractée.

Aidé par un petit « Saint Véran » (bien agréable ma foi !), les conversations se font de plus en plus nombreuses et passionnées. Difficile de suivre tous les débats. Tout à coup, relayé tel l'écho du tonnerre en montagne, mes oreilles captent différents sons « Ringard », « Vélo », « Vélo ringard ». L'effet de surprise passé, mon regard change de direction. Oui, c'est bien de « Ma Bicyclette », compagne de dizaines de milliers de kilomètres dont on parle. Ringarde sa couleur, ringarde sa sacoche de toile grise, ringards ses garde-boue en alu.

Le Tour de France n'a pas encore rejoint Paris et les Jalabert, Virenque et autres (dopés ?) avec leur monture de rêve présentent une autre image devant les caméras et les spectateurs avides d'exploits.

Acte III : Août 2002. Ces pensées hantent encore mon esprit quant au détour d'un virage, en sortant d'un bosquet de mélèze, j'aperçois le col. Ça y est, il est à ma portée.

Col de la Gardette – 2125 mètres. Quelques marcheurs assis face à la vallée du Champsaur. Je pose ma bicyclette contre un talus, sors la carte IGN et cherche la possibilité de rejoindre le col des Fourches. Un rapide coup d'œil sur la montre, il est 11h00 passé, il ne faut pas que je m'attarde. Tant pis pour le col.

Contre le talus de pierre ocre, je regarde mon vélo de couleur noire qui m'a accompagné dans l'ascension de presque 500 cols différents. « Ringard », ici à plus de 2000 mètres sous ce ciel bleu ! Un dernier coup d'œil circulaire et j'entame la descente.

Quelques centaines de mètres plus bas, dans une vieille bergerie, un méchoui nous attend mon « ringard » et moi.

Patrick Babeau

CC n°1976


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