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Quand l'effort physique est lié à la joie du mouvement...

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On pourrait même inverser l'affirmation... lorsque, titillés par ces excitations parfois secrètes émanant du milieu extérieur, nous marchons, courons, cyclons, skions ou faisons tout sport pour nous sentir bien dans le corps et surtout en harmonie avec la nature qui nous entoure. Ce qui est évident, c'est que, dans nos pays développés où les technologies dites modernes comme le moteur, le téléphone mobile, l'Internet, l'image vidéo..., n'imposent plus vraiment à l'homme de « bouger », il devient presque vital de tenir en éveil une certaine volonté de mobilité..., pour ne pas permettre à l'embonpoint de devenir un bon point, pour éviter d'être conditionné par des habitudes sécurisantes ou aveuglé par les désagréments du quotidien, pour cultiver aussi, sans relâche ni état d'âme, un attrait pour les paysages encore ignorés par l'avancée impitoyable de l'urbanisme !

Pour ces quelques raisons, un voyage, souvent riche en découvertes et en imprévus, s'il est agrémenté d'une vie volontairement ascétique, pourra nous éloigner d'une existence trop souvent sédentaire, nous remettre au contact des valeurs essentielles mais surtout nous générer de l'énergie et une force morale souvent oubliées; dès lors, c'est dans le mouvement que nous retrouverons un semblant d'équilibre... L'été dernier, à l'approche des beaux jours, je pus ainsi convaincre quelques amis pour une partance au-delà de leurs espérances et leur proposer un voyage cyclotouristique en autonomie complète, à la découverte de paysages singuliers et pourtant si humains, des paysages se mirant dans l'eau.

Nous quittâmes Rosheim un matin de juillet, les sacoches et les remorques remplies d'endroits fabuleux et légendaires à découvrir, d'aspirations communes à vivre, d'émotions à partager, de moments intenses à connaître... Lourdement chargés mais l'esprit léger, c'est au rythme des tours de manivelle de nos vélos et à une vitesse que l'on maîtrise encore, tout en ayant le temps d'admirer le paysage et d'être attentif à toute la sensualité qui émane de la vie des campagnes, que nous partîmes sur des routes qui allaient multiplier les situations insolites et les rencontres inattendues parfois pleines de poésie.

La bicyclette qui est sans aucun doute le moyen universel, convivial et sportif permettant de voyager loin avec des bagages tout en nous liant de façon permanente aux éléments naturels, reste le mode de déplacement que je choisis souvent pour capter le monde qui nous entoure de près ou de loin et que nous ne connaissons pas toujours ou si peu ; et puis il correspond bien à mon goût de l'errance, à cette impression de n'avoir jamais assez fait, à ce besoin aussi de relever des défis échafaudés dans mes rêves, à ce plaisir surtout de partager avec d'autres et de s'émerveiller.
Je vous laisse imaginer nos dix jours de pédalage au rythme du clapotis des vaguelettes contre les berges..., les 900 kilomètres parcourus sur des pistes cyclables au fil de l'eau..., les nuits passées à l'abri d'une toile de tente, bercés par le teuf-teuf régulier des péniches descendant ou remontant le courant..., mais surtout ces gigantesques masses d'eau s'écoulant d'un point haut vers un point bas, régies par les lois de la nature, et que nous suivîmes au milieu d'une géographie et d'une biologie extraordinaires ; si elles sont depuis toujours de grandes rivières, remarquables par le nombre de leurs affluents et la longueur de leurs itinéraires, importantes par leurs débits et leurs crues périodiques dont les plus récentes sont bien mémorisées sur les murs des maisons riveraines, elles se sont surtout révélées être un fil d'Ariane idéal pour répondre à cette soif de liberté, loin du flot rapide et bruyant des véhicules à moteur que nous subissons tous les jours.

Le Rhin, la Moselle et la Sarre furent certes nos guides physiques, Strasbourg, Mayence, Coblence, Trèves et Sarre-Union quelques points de chute appréciés, mais c'est l'esprit de solidarité glané depuis plus de 30 ans dans mes différents clubs d'appartenance qui joua le rôle du guide spirituel ; sans eux et les gens que j'ai pu y rencontrer, je n'aurais peut-être jamais compris combien il était facile de partir pour des voyages initiatiques à la seule force de ses mollets et de se mettre en émoi devant tant et tant de choses, si simples soient-elles. Il suffit souvent de décider du premier pas ou du premier tour de pédales, et tout le reste s’enchaîne alors, éveillant nos fibres personnelles pour nous orienter, nous rassurer ou nous donner du courage tout simplement ; parfois on peut même laisser faire les circonstances du moment ; quel délice alors !

Ma route a ainsi été tracée de nombreux départs et retours, par des retours qui préparaient déjà des départs puisqu’ils ouvraient des portes vers d'autres visions de la vie, par des départs qui annonçaient des retours sur soi puisqu'ils révélaient les forces et les faiblesses de ma personne, sa diversité surtout ; si cette route n’a pas toujours été « un long fleuve tranquille », « ô combien d’étoiles sont pourtant tombées dans ma soupe ! »

Michel Helmbacher

CC n°1486


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