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L'aventure turque.

Revue N° 31 Page 54

Nous sommes treize cyclos (de 17 à 63 ans) à enfourcher notre vélo à Trabzon, au bord de la mer noire, le mercredi 7 août 2002.

Un léger vent nous aide à supporter les 35°. Pour les 4 cyclos partis d'Ankara, une semaine plus tôt, l'acclimatation s'est déjà faite, leur bronzage atteste la violence du soleil à cette époque. En 20 étapes, d'une moyenne de 170 km, nous rallierons Trabzon à Ankara en longeant l'Arménie, l'Iran, l'Irak et la Syrie. Après avoir longé la mer noire durant 50 km, nous entrons dans la chaîne de montagnes du Dogu Karadeniz Daglari.

Le contact avec la montagne fut terrible. Un col d'une quarantaine de kilomètres se présente à nous : l’Ovitdagi Gecidi qui culmine à 2640 mètres.

Quel calvaire pour les 13 cyclos, en plus de la température, les rampes droites à pourcentage assez fort ne vous accordent aucun moment de récupération. Cinq cyclos arriveront au sommet du col au prix d'un effort démentiel… rien de comparable avec les cols français, d'Islande ou du Pérou que nous avions gravis les années précédentes. Les jours suivants, chacun aura pris ses repères, les sommets des cols deviennent un peu moins difficiles à passer.

Les paysages sont magnifiques et, alors que les cartes nous renseignent des sommets de cols non asphaltés, nous avons la bonne surprise de trouver partout un revêtement en tarmac en bon état. La culture n'est pas oubliée, nous visitons sur notre route des vestiges : Ishan, la plus ancienne des églises géorgiennes (7ème siècle) proche des vallées de l'Afghanistan, Ardehan, la plus majestueuse des citadelles de Turquie (14 tours et 750 m de murailles), Ani (Kars) ville fantôme aux mille et une églises.

Le mardi 13 août nous arrivons à Dogubayazit. Après 50 km, au départ de Tuzluca, nous escaladons le Pamuk Gecidi (1650 m). Comme dans tous les cols, chacun y prend son rythme et un regroupement se fait au sommet. M’y voilà pratiquement, je découvre, au détour d'un virage, le colossal mont Ararat.

Il est si grand, si large, si puissant, qu'il semble tout droit sortir des profondeurs de la terre. On comprend mieux le choc quand on sait que le Mont Ararat est la plus haute montagne du monde, mesure prise non pas au niveau de la mer mais au-dessus de la plaine qu'il domine. Près de 3400 m de dénivelé du côté de Dogubayazit, du côté arménien, le dénivelé est de 4400 m (l'Everest ne domine les vallées environnantes que de 4000 m). Son sommet recouvert de neige éternelle est couronné de nuages : une merveille.

Des bandes de gosses accourant à notre passage me font revenir sur terre. En signe d'encouragement, ils me jettent des pierres, je m'en sors avec une blessure au genou et une bosse dans le cadre. Par contre, un cyclo derrière moi n'a pu éviter une pierre qui lui casse sa roue arrière ainsi que son dérailleur, l'aventure Turque s'achèvera pour Gégé face à la montagne sacrée. Ce furent les seules marques d'hostilité durant tout notre voyage.

Après le Mont Ararat, une autre surprise nous attendait à Dogubayazit, le palais d'Isakpacha, une des merveilles islamiques de Turquie, palais des mille et une nuits, sculpté dans un décor lunaire (17 et 18ème siècle).
Van, ville étape pour- notre huitième jour. Son lac, ses chats aux yeux de couleurs différente… Le lendemain, nous devions avoir une petite étape jusqu'à Gevas. On nous oriente sur un mauvais chemin au départ de Van et nous voilà en pleine campagne kurde. Des routes d'un autre âge me rappellent douloureusement les routes des Andes péruviennes.

En attendant un regroupement des cyclos dans un petit village kurde, toute la population : hommes, femmes et enfant, se masse autour de nous. Impossible de communiquer, personne ne peut nous renseigner sur le chemin à prendre… Un moment d'inattention et je me retrouve avec mon altimètre arraché du guidon de mon vélo.

Après 50 kilomètres de ces routes interminables, nous retrouvons, non sans regrets, le tarmac et la route nationale.
Fin d'après-midi : nous irons en bateau sur l'île d'Akdamar, visiter une des plus anciennes églises arméniennes de Turquie. A quelques 100 kilomètres de Gevas, se situe le col Karabet (2985 m), le plus haut de Turquie, malheureusement, le temps et surtout le courage manquaient pour gravir les pentes de ce col.

Biltis –Diyarbakir, étape longue de 220 kilomètres par une température de plus de 40°, 9 heures 30 sur notre vélo, la nuit est tombée (20 heures) lorsque nous entrons dans cette grande ville. Demain, nous logerons à Karadut, au pied du Nemrod Dagi (2100m). Après avoir passé une branche du barrage Ataturk en bac, nous escaladerons une route sans fin pour aboutir au petit village de Karadut, situé à 1500 m d'altitude.

Demain matin, à l'aube les plus courageux iront admirer le lever du soleil sur la montagne du Nemrod Dagi. 4 heures du matin, il fait froid à plus de 2100 m. Plusieurs centaines de personnes sont là, attendent appareil photos, caméra aux poings pour immortaliser l'instant où le soleil percera et où… le sanctuaire d'Antiochos 1er sortira des ténèbres de la nuit.

Le Roi Antiochos 1er, Dieu légendaire du Royaume de Commagène; petit royaume fondé dans une partie des territoires de la région d'Anatolie du sud-est, fit construire un temple sur la montagne du Nemrut. Cette montagne est surmontée d'un tumulus (empilement de morceaux de pierres de la taille d'un poing restant de la sculpture des statues) d'une hauteur de 75 mètres et de trois terrasses. Ce temple est un des monuments somptueux de l'âge antique qui constitue la synthèse des cultures anatoliennes, perses et grecques. Cette merveille est une œuvre d'Antiochos 1er datant de 69 avant Jésus-Christ.

La journée se poursuivra par la visite d'autres lieux sacrés: Karakus Tumulus, la forteresse Yeni Kale, Arsameia (palais d'été édifié en 80 av. J.C.). Nous emprunterons le même chemin que l'ancienne voie processionnelle jusqu'à Eski Kale, là se dresse un bas-relief de 4,4 m de hauteur représentant Mithras-Hélios, le dieu des Perses et des Grecs. Tous ces sites sont inscrits sur la liste du patrimoine culturel de l'humanité de l’UNESCO depuis 1987, sous la protection de la République de Turquie.

Puis nous descendrons sur Adiyaman où nous verrons à nouveaux des retenues d'eau du barrage Ataturk.

Cette 13ème étape fut la dernière. Nous reprendrons l’avion à Sanli pour rejoindre Istambul le lendemain.

Philippe Tibesar

CC 2565


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