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Ah ! Les Alpes

Revue N° 31 Page 34

Après une nuit dans le train, je suis à Briançon et j’ai déjà cassé la croûte ! Je récupère ma randonneuse et fixe ma sacoche de guidon. Le temps est splendide ! Contrairement aux lois établies, dans la mesure du possible, j’aime bien attaquer directement les montées plutôt que de perdre du temps à une éventuelle mise en jambes. L’appareil photo est déjà de sortie sur l’esplanade de la citadelle. Les choses sérieuses commencent sur la route du Montgenèvre et à la frontière. Tout le bénéfice acquis de la montée se perd jusqu’à Cesana Torinese d’où part la route conduisant aux 2033m de Sestrières. Altitude mythique à répéter cinq fois pour entrer au Club des Cent Cols. A la sortie de ce haut lieu touristico-sportif, je prends la fameuse route menant à Suza, véritable balcon au-dessus de 2000m.

Une attention de tous les instants est nécessaire pour déjouer les obstacles au sol; je n’ai d’ailleurs aucun besoin de mettre pieds à terre, ma randonneuse 650 remplissant très bien sa fonction avec ses pneus de 32. Mon cheminement solitaire n’est tenu par aucune contrainte. Là, me reviennent en mémoire les cyclos ne pouvant se déplacer que munis de transistors, portables, altimètres, cardios et je ne sais quoi encore… mais qui se référent souvent à leur aïeul Vélocio qui n’en demandait pas tant ! Aujourd’hui, mon bien-être est proche de l’extase cyclotouriste. Le temps est toujours merveilleux, le silence impérial.

De la journée, de Sestrières à Suza précisément, je ne croiserais à mi-parcours qu’une demi-douzaine de moto-crossmen allemands mais moteurs arrêtés ainsi qu’un nombre de marmottes pas plus élevé. La spiritualité de ma démarche, même sans lieu de culte, se déroule vraiment entre ciel et terre tout en plongeant dans des panoramas de rêve. Je ne donnerai pas les cols franchis : prenez la carte !

Mon seul regret est de ne pouvoir rester plus longtemps. A mon passage, manquent un minimum de panneaux localisateurs. N’ayant aucun but précis, je traverse Suza en fin de journée et fais halte dans un hangar agricole sur la route du Mont-Cenis, aux abords des premiers lacets. Les ressorts cimentés de ma couche remettent ma colonne vertébrale dans le droit chemin. Je n’adopterai jamais le sac à dos à vélo ! Je le considère comme une entrave à l’aisance des mouvements et surtout servant de couverture chauffante pour le dos.

Je ne sais ce qui m’a tiré par les pieds mais me voici, après un café froid, à l’attaque de la longue montée vers le barrage et le col du Mont-Cenis. Premier abreuvoir : toilette rafraîchissante ! Jusqu’à l’arrêt à l’auberge qui domine cette splendide retenue d’eau, aucun véhicule ne me croise ou me dépasse. Le bonheur cyclo parfait accompagné de panoramas et de ciel bleu ! Après le petit-déjeuner, c’est à nouveau à 2000 m que je m’éloigne de ce court séjour italien. Le col franchi, voila l’envolée vers la vallée de l’Arc. Lanslevillard et son église musée, me mettent sur la voie de la Petite Madeleine et… du déjeuner de Bonneval. Rien n’a changé depuis mon dernier passage en direction de Menton avec cinq acolytes.
C’est un vrai pèlerinage que j’effectue, dans ce sens c’était à la veille de mon service militaire. Je suis presque stoppé dans mon entreprise, la chance ça existe, par une pelleteuse qui achève de dégager un éboulement. Ouf ! Merci la DDE; juste un passage pour ne point mettre pied à terre. L’Iseran : les souvenirs surgissent et j’ai une pensée pour mon compagnon d’alors qui ne pratique plus. Nous nous étions sauvés de la belle bleue et de son cyclotourisme de farniente. Visite de la chapelle qu’un ami m’a dit ne pas avoir aperçue, sans doute avait-il dû forcer sur le bidon contenant allez savoir quoi ? Puis, c’est la descente.

Arrêt pour embrasser du regard ce fameux val et l’Isère naissante. Dernière épingle au Pont St-Charles et étape au Club Alpin en fin d’après-midi. Cet arrêt, je l’avais programmé bien avant que Monsieur Killy n’y pose ses spatules. Mon vœu est exaucé et cela n’est possible que seul. Je me balade dans le pays et rejoins le gîte.

Après l’intermède de la haute Isère, j’enfile les fameux tunnels et m’arrête au barrage de Tignes et sa fresque que j’avais vu en construction. Aujourd’hui, je change de tactique : la descente au réveil ! Sainte-Foy et casse croûte à Bourg. Je m’engage dans la vallée des Chapieux en remontant le courant des glaciers. A mesure que la pente se redresse, le ciel s’assombrit et la température baisse rapidement. Aucune circulation et au Cormet de Roselend, je claque des dents. Toute ma garde robe est utilisée; ma cape sur le «Gore-Tex», pas pratique mais efficace, le bonnet, les gants. Je devine la retenue d’eau du barrage au col du Méraillet. Dans un virage, sortant des nuages, la fumée de la cheminée du Club Alpin m’indique l’ouverture du refuge. Entre les deux côtés de la porte, il y a au moins 25° d’écart ! J’arrive à peine à me dévêtir ! Le responsable, nullement surpris, me présente une assiette de soupe de légumes salvatrice. Charcuterie et fromage s’ajouteront à mon menu.

Malheureusement ce havre de bien être doit être quitté. Ré-encapuchonné, me voilà dans la descente sur Beaufort. Pas un regard, si ce n’est aux pancartes, pas de visites de fromageries ! Depuis un certain temps, il pleut et il pleut, alors direction Albertville. Au lieu d’interrompre ici mon périple, je longe l’Isère jusqu’à Montmélian et file sur Chambéry.

Voila trois journées bien remplies commencées sous de bons augures et terminées sous des trombes ! Au moment d’entrer au terminus gare, la pluie cesse comme pour un dernier pied de nez.

Confortablement installé dans le train qui longe le lac du Bourget, le soleil, à travers de blancs nuages parsemés de violets noirâtres et suspendus à quelques mètres du sol, me gratifie du dernier splendide spectacle.

Jean-Marie Bourdelas

CC 1999


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