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Comment j’ai raté le Ventoux de 500 mètres !

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Je tournais autour de cette montagne depuis déjà de longues années. J’avais toujours une bonne excuse pour ne pas y grimper.
Une année, j’étais en week-end en mai et je n’avais pas encore les jambes pour m’y frotter, une autre c’était en été et il faisait trop chaud pour tenter l’aventure…

Finalement, cette année, fin septembre, je me retrouvais en gîte vers Bénivay avec la ferme intention de «me faire» ce Ventoux annoncé comme tellement redoutable et ô combien mythique !

On parle souvent de l’été indien en cette période et le sud de la France a une telle réputation concernant le beau temps que la tenue cycliste d’été me parut la mieux à même de m’accompagner vers le Géant de Provence. Mon optimisme vestimentaire du moment allait connaître de sévères désillusions !

Reprenons depuis le début.
Lundi matin, pendant que ma femme part bosser, je me prépare et je teste le vent (façon de parler) qui s’est levé depuis la veille. Je me fais le col de Propiac et je descends vers Malaucène par le Pas du Voltigeur et du Loup. Ensuite, col de la Chaîne et de Suzette. Je poursuis vers Bédoin avec déjà quelques doutes car de bonnes rafales viennent ponctuer mon cheminement. Ce doute, présent dès le matin, se fait de plus en plus sentir : vais-je pouvoir grimper là-haut ? A Bédoin, je demande à un ancêtre ce qu'il pense de la météo. Réponse laconique : "Jusqu'au Chalet Reynard, pas de problème, vous êtes protégé, mais après…". Bon, me voilà quittant Bédoin avec 50 km et 800 m de dénivelée dans les jambes. Rien d'extraordinaire jusqu’aux Bruns. Après, tout à gauche et vogue la galère.

Bien sûr, le Ventoux, c’est difficile et les km à 9, 10 et 11 % se succèdent. Je me fais doubler par plusieurs cyclistes dont une féminine, qui pigmentent un peu mon allure trop régulière.

Le vent, bien que toujours présent et tourbillonnant, reste supportable en me faisant finalement un peu oublier la raideur de la pente. Tout va bien jusqu'au Chalet Reynard. Il reste 6 km et l'optimisme reprend le dessus. En plus, physiquement, je suis surpris de grimper comme ça, moi qui passe mal les pentes de plus de 9 à 10 %. Je n’ai toujours que mon cuissard et maillot court avec juste un petit T-shirt en dessous et je commence à ne pas avoir chaud car le vent est de plus en plus présent. Il reste 5, 4, 3, 2 km et c'est comme si j'étais en haut. Erreur, grave erreur : à 1 km du sommet, je débouche à droite sous le Col des Tempêtes et d'un seul coup, je suis plaqué sur mon vélo.
Je vois tout le monde, plus haut, à côté du vélo et je me dis : "ils sont tellement cuits qu'ils finissent tous à pied !" La ligne droite avant le col fait 300 mètres et je manque d'être balayé par le vent une première fois. Je décroche mes cales des pédales automatiques et je pédale pratiquement avec le talon pour pouvoir poser le pied par terre en cas de nouvelle attaque d'Éole.

Mon buste est à l'horizontale sur la barre du cadre. Il me reste 50 mètre pour atteindre le col. Une ultime rafale me décide à le finir à pied, comme je peux. Dans le sens de la descente, un VTTiste est soufflé comme un fétu de paille et se retrouve étalé dans les cailloux. Ma décision est prise, je ne vais pas plus loin. Je réussis à sortir mon coupe vent du sac et à l'enfiler en me disant que si je le lâche, je ne le retrouverais jamais. Je ne vous décris pas la descente… Un calvaire : doigts gelés, lombaires en compote à force de me crisper, peur de la chute, des voitures qui me frôlent… J'arrive à Bédoin et je tremble comme une feuille. Je reste une demi-heure au soleil pour me réchauffer et me restaurer (il est 15h00).

Je retrouve peu à peu mes esprits et je rentre par la Madeleine et trois petits cols de derrière les fagots. Résultat : 120 km, 3000 m de dénivellation, 10 nouveaux cols et… pas de Ventoux ! Ça ne me dérange que moyennement car en temps que centcoliste pure race, j'ai fait les Tempêtes et puis, dans mon esprit, j'étais pratiquement en haut. D'après un hollandais rencontré sur le parcours de retour, la température au sommet n'était guère au-dessus de zéro !

Il y a parfois des sommets qui se refusent à vous et même l’acharnement ne suffit pas à les vaincre. Le vélo, c’est souvent pour moi un acte d’humilité devant la douleur et la souffrance… Le Ventoux en septembre 2002 restera un acte manqué !

Daniel Cudet

CC 3309


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