Page 48 Sommaire de la revue N° 30 Page 52a

DOSSIER

Revue N° 30 Page 49

Cyclisme et Montagne
(L'exemple français à la Belle Epoque)

L'enthousiasme populaire que suscitent les étapes alpestres ou pyrénéennes du Tour de France, les participations massives enregistrées aux randonnées montagnardes, l'affluence, en période estivale, de pédaleurs chevronnés ou occasionnels sur les routes d'altitude, désignent clairement la montagne comme étant, de nos jours, un espace privilégié de la pratique cycliste.

Milieu naturel à la fois séduisant et contraignant - les deux termes de l'ambivalence se conjuguent pour expliquer l'attrait induit - la montagne fascine le monde du cycle. Le constat de cette rencontre, de ce fait de société contemporain, s'établit aisément, mais en même temps il interroge et invite à se pencher sur ses origines et ses facteurs déclencheurs, recherche que nous limiterons ici à sa dimension historique.

A l'évidence tout se joue, à la fin du XIX ème siècle et au début du suivant, au temps de la Belle Epoque, à partir du moment où les adeptes du deux roues disposent de bicyclettes, c'est à dire de machines plus aptes à affronter les fortes déclivités. Auparavant, en effet, les cyclistes se contentent des routes de vallées et se risquent peu en altitude. Toutefois, si à partir des années 1890 ils prennent de la hauteur, ce n'est qu'une décennie plus tard qu'éclot une pratique montagnarde telle qu'on la conçoit maintenant. À partir de cette trame chronologique tripartite, nous rechercherons à quel rythme, touristes, d'une part, coureurs, d'autre part, s'approprient la montagne - l'effort gratuit précède-t-il l'exploit sportif ou inversement -, pour quelles raisons ? et avec quelles incidences ?

Les cyclistes peu présents avant la Belle Époque.

Lorsqu'à la fin du Second Empire naît la vélocipédie, la montagne n'est déjà plus décrite sous les traits d'une nature menaçante, comme se plaisaient à le faire les auteurs jusqu'au XIX ème siècle commençant. Le regard porté sur le domaine montagnard s'apaise. Ne reste plus que l'émerveillement devant la beauté des sites. Ainsi quand J. Michelet publie, en 1868, La Montagne, quatrième volet de sa tétralogie consacrée à la nature, rompt-il "avec les invocations pompeuses, avec les objurgations, avec le faux tragique" et s'exprime-t-il "de simple façon, en une langue facile". Finies les descriptions grandiloquentes sur fond dramatique, oubliée la terreur que les précipices vertigineux, les gorges profondes, les sommets impressionnants, les tempêtes de neige voire les habitants de ces contrées sauvages étaient censés inspirer aux citadins. La montagne devient accueillante et s'intègre à l'univers de l'homme - du bourgeois - des années 1860-1870.

Cette profonde mutation, favorisée par de meilleures conditions d'accès liées à l'extension du réseau ferroviaire, encouragée par les séjours pyrénéens du couple impérial, tient aussi pour beaucoup à l'action des hardis pionniers que sont alors ascensionnistes et excursionnistes pédestres. En effet la vogue de l'alpinisme, débutée en Suisse, se propage en France à l'initiative des Anglais qui fréquentent d'abord la Savoie - l'entrée de Chamonix dans l'ère du tourisme date de 1865 - avant de découvrir le Dauphiné. Les Français ne tardent pas à se joindre au mouvement, individuellement en premier lieu, puis collectivement, dans les années 1870, en créant le Club Alpin Français (1874) et la Société des Touristes Dauphinois (1875). S'ouvre alors une phase d'engouement pour la montagne qu'illustre la forte progression des effectifs du C.A.F. - essentiellement des bourgeois - dans ses sections disséminées sur l'ensemble du territoire.

Pour autant ce processus de démystification et de domestication des massifs français est d'un faible effet sur les cyclistes. Sont-ils tentés de participer à cette entrée dans un environnement devenu plus familier ? Ils se heurtent aux insuffisances des engins mis successivement à leur disposition. Le fruste vélocipède, l'acrobatique bicycle, le lourd et peu maniable tricycle s'accommodent difficilement des reliefs tourmentés et des revêtements parfois très défectueux. En conséquence, même si La Vie au grand air retient, à côté de Bordeaux et d'Angers, Grenoble et Pau, parmi les "quatre capitales ancestrales de la vélocipédie d'antan", les membres de leur véloce-club respectif ne se hasardent pas hors des routes peu accidentées de leurs environs. Cycler sur les flancs des massifs tient de l'exploit. C'est ainsi que sont présentés le passage du col du Mont Sion par des vélocipédistes d'Annecy ou l'excursion dominicale de cinq adhérents du Bicycle-club de Lyon qui "bien qu'effectuant 150 km et faisant une excursion de trois heures à pied, se sont élevés à l'altitude de 1250 mètres sans marcher à pied, en gravissant une rampe de 17 kilomètres".

Les cyclistes éloignés, tels les Parisiens de la Société Vélocipédique Métropolitaine, rare association se vouant au tourisme, n'imitent pas leurs homologues pédestres. Leurs grandes excursions annuelles ne les éloignent pas des espaces francilien, ligérien et normand.
Ainsi, pendant vingt ans, l'exemple des alpinistes ne suffit pas. Les cyclistes, et seulement ceux du lieu et des villes proches, ne s'approprient que les parties basses de l'espace montagnard, handicapés qu'ils sont par les limites techniques des machines. Mais, à la fin des années 1880, la mise au point de la bicyclette, ouvre de nouvelles perspectives et, en 1888, le secrétaire de la Société des Touristes Dauphinois déplore que le nouvel engin "autre genre de sport, toujours plus en faveur, fait à l'alpinisme une sérieuse concurrence".

Les touristes, les premiers à l'assaut des pentes.

L'entrée en scène de la "petite reine" accroît notablement le parc vélocipédique français. De quelques milliers dans les années 1880, les effectifs bondissent à 50 000 unités en 1890, 250 000 en 1893, 500 000 en 1896 et 860 000 en 1899. La part des régions de montagne dans cet essor est réduite. Les statistiques fiscales révèlent que, pris globalement, les seize départements les plus marqués par l'altitude présentent un taux d'équipement plus de deux fois inférieur à celui du reste de l'hexagone. Conséquence logique, ces départements retenus ne renferment que 6 % des associations cyclistes françaises. La montagne, là où "les kilomètres sont plutôt de 1200 mètres, sinon davantage par rapport au terrain moyen", fait figure de pôle de résistance. Mais, à l'évident déterminisme topographique doit être adjoint, comme élément d'explication, la pauvreté de certaines zones. En effet, les massifs du Jura et des Vosges, mieux intégrés à l'économie d'échanges, présentent des taux proches de la moyenne nationale. Quoiqu'il en soit l'impact de la vélocipédie reste faible dans le milieu montagnard, d'où l'étonnement des populations du Massif Central lorsqu'elles voient "un cycliste un peu entraîné oser s'aventurer dans ces régions si accidentées". Rien d'étonnant à cela : le calendrier des promenades du Vélo-Club d'Annecy ne prévoit, en 1895, que quatre sorties de courte distance et aux profils très doux. Et si à la suite d'une dynamisation voulue en 1897, une partie des excursions de 1898 et 1899 comportent des routes plus pentues, elles n'abordent pas les hauts cols et drainent peu de participants.

La compétition sur route, jusqu'alors peu pratiquée, se développe mais, privilégiant la vitesse, elle se cantonne aux axes faiblement ondulés. C'est ainsi que les championnats de la Fédération du Haut-Rhône se déroulent dans la haute vallée du Rhône (région de St-Genix et Yenne) puis dans celle de l'Isère entre Chambéry et Albertville. De même, les grandes épreuves, celles du Lyon Républicain (557 km), de L'Avenir d'Aix-les-Bains (175 km), en 1892, ou du Progrès de Lyon (428 km), en 1896, ne s'éloignent pas des grandes voies. Dans les autres massifs aussi, l'heure n'est pas encore au franchissement des lignes de crêtes.

En fait, l'impulsion décisive vient des touristes des plaines, à la suite de la création du Touring-Club de France en 1890 et de la publication de guides vélocipédiques consacrés aux régions montagneuses. Les récits de voyages, les itinéraires, les programmes d'excursions parus dans la revue ou l'annuaire du T.C.F. lèvent les réticences. Les guides concourent au même but. Un premier, consacré aux Pyrénées et œuvre de M. Jacquot, date de 1890. Mais le véritable élan est plus tardif. Il correspond aux sorties des Guides du cycliste en France de J. Bertot (1895-1896) et des Guides vélocipédiques régionaux d'A. de Baroncelli (1895-1900) qui, délaissant "le détail historique et descriptif des villes et des contrées", se centrent sur "la description de la route au point de vue purement vélocipédique". Les cyclistes n'ont donc plus besoin de recourir aux clubs du cru, comme le font, en 1892, deux membres du Véloce-Club Havrais qui, attirés par le parcours d'Annecy à Sallanches, via les gorges de l'Arly et Megève, dont "le guide Joanne vante le pittoresque", s'enquièrent auprès du V.C.Annecy si la route "est praticable à la vélocipédie".

Les Alpes, s'il faut en croire le nombre de relations de voyages parues dans la presse spécialisée, attirent, et de loin, le plus de randonneurs. Le massif de la Chartreuse et son abbaye, déjà visités à la Renaissance, ainsi que la vallée de Chamonix, cols des Montets et de la Forclaz compris, ressortent du lot devant le Vercors (Grands Goulets et col du Rousset) et la Haute-Tarentaise avec son débouché vers le Val d'Aoste par le Petit Saint-Bernard. Sinon, les touristes retiennent, des Vosges, le Ballon d'Alsace et le col de la Schlucht, du Jura, celui de la Faucille, du Massif Central, l'Auvergne et les Cévennes et des Pyrénées le Tourmalet, l'Aubisque et l'Aspin. Les récits déroulent méthodiquement le parcours, avec ses difficultés, ses parties aisées, les panoramas qu'il procure, le tout présenté sobrement et avec la volonté de rendre service. Ce que résume un auteur par la formule : "Ce n'est pas du lyrisme que je fais, mais du tourisme. Je tiens plus à être utile que poétique".
Cependant "les adeptes de l'alpinisme à bicyclette ne sont pas légion" signale L. Hottot qui, en vingt jours au travers de la Savoie et du Dauphiné, n'a pas "croisé ou dépassé plus d'une demi-douzaine de cyclistes au long cours". En 1894, les protagonistes d'un voyage d'Albens à Turin par le Mont-Cenis sont, aux dires des douaniers "les premiers bicyclettistes qui pénètrent en Italie par cette route".

Le perfectionnement encore insuffisant de la bicyclette explique cette timidité. Le deux roues bien que devenu plus performant et plus sûr n'offre pas encore de solutions appropriées et unanimement reconnues face aux forts pourcentages. Pour les montées, les petites multiplications variant de trois à quatre mètres, préconisées par le capitaine Perrache, alias "l'homme de la montagne", rencontrent l'hostilité des partisans du cinq mètres cinquante. Dans la rubrique technique de la Revue du T.C.F. s'opposent également, au sujet des descentes, les inconditionnels du contre-pédalage à ceux de la roue libre couplée au frein sur jante ou à tambour. Au final, la pratique majoritaire est simpliste. Elle consiste, afin d'aborder sans danger les déclivités rapides à remorquer une bûche ou un fagot de branches et dans les montées soit à pousser sa bicyclette, soit à la placer sur le dos d'un mulet ou à utiliser cet animal comme bête de trait. "Un cheval ou un bon mulet peut facilement traîner cinq cyclistes sur leurs machines". Certains suivent même les conseils d'A. de Baroncelli qui préconise, par exemple pour l'ascension du col du Tourmalet, de louer à Barèges une voiture particulière .

A ce manque fréquent d'autonomie, le tourisme vélocipédique ajoute une seconde caractéristique, celle d'une spécificité encore peu affirmée puisque, assez fréquemment, le cycliste intercale dans son voyage des journées de marche. Il faut attendre le début du XXème siècle pour que le cyclisme impose sa singularité en montagne.

Touristes et coureurs au coude à coude.
L'arrivée d'une nouvelle période, à partir de 1905-1910, doit beaucoup au T.C.F., à Paul de Vivie alias Vélocio et à Henri Desgrange. Tous trois contribuent à lier étroitement et durablement cyclisme et montagne, sur fond d'expansion du phénomène vélocipédique. En effet, en 1914, 3 500 000 bicyclettes roulent en France et les pays de montagne ont rattrapé une part de leur retard. Des véloce-clubs s'infiltrent dans les hautes vallées, comme celles de l'Arve (Cluses en 1900, Magland en 1904, Sallanches et Saint-Gervais en 1910) ou de la Tarentaise (Moûtiers en 1901, Bourg-saint-Maurice en 1909).

L'action du T.C.F. s'inscrit dans un vaste projet de promotion du patrimoine naturel. La puissante association, elle, fête son cent millième membre au début de l'été 1906, engage de multiples initiatives, qui vont de la pose de poteaux avertisseurs de danger ou de direction, à l'amélioration du réseau routier. Elle contribue financièrement à la réalisation de la corniche de l'Esterel inaugurée en 1903, au projet de route des Alpes (1909) ou des Pyrénées (1911). Elle subventionne la route de la Bérarde en Oisans ou celle du col d'Eze, avec le but avoué par son président, Abel Ballif, de concurrencer, pour la fréquentation touristique, "la Suisse et ses décors d'opéra-comique".

Plus directement encore, les cyclistes bénéficient des enseignements que livrent les concours instaurés par le T.C.F entre les constructeurs. Un premier, uniquement consacré aux freins, se déroule en Chartreuse en 1901, deux autres, portant sur l'ensemble de l'engin, ont pour cadre les Pyrénées (1902) et à nouveau la Chartreuse (1905). Il s'agit de substituer à "la bicyclette éreintante", "la bicyclette rationnelle" équipée d'une roue libre, d'efficaces freins à patins et de plusieurs vitesses, à savoir un engin propre à se déplacer en montagne.

Vélocio va dans le même sens et s'attache surtout à vulgariser la polymultiplication. Sa revue, Le Cycliste, foisonne d'articles techniques faisant part de ses essais personnels et de ceux des lecteurs. L'idée de doter le cycle de plusieurs développements remonte à 1869 mais, après un long oubli, les expériences ne reprennent qu'à la fin du siècle et aboutissent en 1908 à la mise au point de dérailleurs performants qui facilitent grandement l'abord de la montagne. En liaison avec ce travail de recherche sur la mécanique, Paul de Vivie soude l'École Stéphanoise, groupement informel de fervents touristes du Forez et de la région lyonnaise qui théorise le déplacement touristique, lui fixe des normes et l'adapte plus particulièrement à la montagne : "distribuer sagement son effort [...] marcher non seulement avec les jambes mais surtout avec la tête, sagement proportionner l'effort, c'est à dire le développement à la résistance".

Économe de ses forces, l'adepte de l'E.S. n'hésite pas à employer de très petits développements. Suivons l'un d'eux dans les forts pourcentages (14 %) du Pas de Peyrol, dans le Massif Central. "Je me mis à l'attaquer très posément, prenant de suite une cadence très régulière, très pondérée, tournant sur 2,88m. Je montai ainsi le tiers environ, mais la roue se mettant à patiner, je fis jouer un déclic et incontinent, je continuai sur 2,55m, toujours à la même cadence. Au tournant, le pourcentage plus accentué et le patinage dans le sable réclamèrent un coup de manette pour mes 2,16m qui continuèrent à me porter au sommet du col où j'arrivai sans à-coups, sans heurts, sans essoufflement. En somme, l'ascension n'avait pas été pénible ; j'avais à loisir, tout en grimpant, contemplé le magnifique panorama de la vallée de Falgoux".

Les faibles démultiplications aident donc au contrôle de soi, à la régularité de l'effort et à la découverte sereine de la nature. A ces montées prudentes - "la vitesse ne dépasse guère dans les côtes 4 à 6 kilomètres à l'heure" -, succède dans les descentes, grâce à la roue libre et aux freins, le "déboulé de l'avalanche". Cette nouvelle approche, souvent appuyée dans les Alpes sur l'utilisation du guide Dolin, confère à la randonnée montagnarde ses caractéristiques fondamentales. Pourtant une minorité, soit continue comme par le passé, soit préfère une attaque plus sportive. Au total, sans qu'il faille parler d'invasion, la fréquentation des routes d'altitude croît. Des clubs éloignés programment des excursions dans les divers massifs.

Pendant que les cyclotouristes apprivoisent la haute montagne, Henri Desgrange l'ouvre à la compétition en lançant les coureurs du Tour de France sur les routes des cols. Le pari est risqué, aussi la conquête est-elle graduelle. Elle débute en 1903 par le col de la République cher à Velocio, se poursuit par le Ballon d'Alsace et le col Bayard (1905), puis le col de Porte en Chartreuse (1907), la grande étape des cols pyrénéens (1910) et enfin les cols du Galibier et d'Allos (1911). Que cette innovation comporte des arrière-plans pédagogiques - découverte par les Français de régions inconnues - et nationalistes - marquage des frontières naturelles -, ne doit pas occulter l'essentiel : "obliger les rois de la route à donner le maximum de ce qu'ils peuvent fournir" et renouveler l'intérêt de l'épreuve. Ce double but, sportif et médiatique, conduit L'Auto à retrouver des accents surannés : Les massifs redeviennent ces "sommets de granit coiffés de leurs neiges éternelles nous [menaçant] d'écrasement au creux des vallées", "l'enfer [où] quelque avalanche [peut] rejeter tous ces mécréants". Face à ce milieu redoutable, les cyclistes sont "des fourmis [...] occupées à grignoter le monstre des dents de leurs pédales", fourmis que la réussite mue en héros : "Honneur à Georget, le héros du Galibier [...]. Honneur à cet homme de fer qui vient, une fois de plus, de faire triompher la reine Bicyclette [...], après avoir mis son pied vainqueur sur la tête du monstre".

Le lien établi avec la nature se situe aux antipodes de celui qu'entretient le touriste. Le contact devient conflictuel, la montagne est l'ennemie qu'il faut vaincre, terrasser. Lors de ce combat, le compétiteur va jusqu'au bout de ses possibilités. Il compte sur sa force physique : "du heurt puissant de leurs cuisses, nos hommes se sont élevés et les vallées retentissaient des "han" formidables qu'ils poussaient". Le règlement de l'épreuve leur imposant d'utiliser une seule et même machine sur l'ensemble du parcours - seuls les pneumatiques peuvent être changés - les innovations techniques dues aux touristes les concernent peu. Ils s'équipent de freins sur bandage et non sur jante, délaissent les changements de vitesse jugés trop fragiles et auxquels Henri Desgrange est hostile. Tout juste tolère-t-il la double multiplication par retournement de roue qu'adoptent les coureurs à partir de 1911, ce qui n'empêche pas certains de devoir effectuer une partie des montées à pied. La situation est identique dans les quelques courses qui se risquent en moyenne montagne, le Tour de France étant la seule à aborder les grands cols.

Ainsi, en 1914, touristes et coureurs tutoient les hautes altitudes et s'approchent des cimes de ce milieu naturel "extrême" que constitue la montagne. Les randonneurs, les premiers en action, ont, dans la discrétion, privilégié une méthode raisonnée, assise sur l'emploi d'innovations techniques, dont surtout la polymultiplication. Les compétiteurs, à l'initiative d'Henri Desgrange, plus tard venus, ont accompli une conquête médiatisée et basée sur la force physique. En découle un rapport cycliste-nature opposé : celui du touriste qui est plaisir fusionnel et celui du coureur qui est souffrance dominatrice. La phrase due à un cyclotouriste : "Exclure la montagne, c'est se priver de spectacles incomparables et d'émotions captivantes" ne vaut donc au niveau des compétitions que pour...le public et les suiveurs. La montagne, son cadre grandiose, ses routes exigeantes soulignent ainsi la dualité de la pratique du deux roues entre d'une part un spectacle que l'on s'offre et d'autre part un spectacle que l'on offre, lesquels, sont tous deux séduisants. Le cyclisme y acquiert ses lettres de noblesse.

Alex POYER N°862

du MANS (Sarthe)


Page 48 Sommaire de la revue N° 30 Page 52a