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A mes plus de trois mille mètres inconnus

Revue N° 30 Page 36

Dans l'avion qui nous mène à Arica (dernière ville au nord du Chili à l'entrée du désert d'Atacama), une publicité montre un homme à vélo accompagné de la légende : " Parza algunos, esta es la mejor forma de recorrer le Chile " ( pour certains, ceci est la meilleure façon de découvrir le Chili ). Bien que cette publicité ne vantait pas les mérites du voyage à bicyclette, je me mis à rêver. C'est sûr que pour découvrir un pays, rien ne vaut le vélo qui vous mène de manière lente, là ou la voiture et le bus ne pourraient aller, et là où le marcheur mettrait bien trop de temps, pour parcourir la distance qu'on peut faire pour véritablement découvrir un pays, tant soit peu plus vaste. Alors, quand on parle du Chili et qu'on a envie de pousser une pointe jusqu'en Bolivie...Enfin, juste faire un petit tour...

Départ donc d'Arica avec deux compagnons : Pierre Schillewaert de Stavelot et Bernard Gillain de Buzet près de Floreffe. Deux cyclistes expérimentés dans ce genre de voyage et moi, petit novice, découvrant les pistes et les routes du Chili, ne connaissant que les "beaux chemins de France" de Belgique et de Navarre.

Et tout d'abord le désert... Une grande leçon d'humilité et de patience comme dit Théodore Monod. De la poussière qui vous rentre partout, de la sécheresse, des pierres et des collines à perte de vue. "Sur l'île déserte, il faut tout emporter", dans le désert d'Atacama aussi, car, nous ne rencontrerons aucun village pendant trois jours, mais nous goûterons aux attentions des rares automobilistes de passage, qui nous proposent à chaque fois quelques fruits, un peu d'eau, et toujours nous demanderont si tout va bien, si nous ne manquons de rien. Ah, solidarité des gens du désert !

Putre, puis la longue montée vers Parinacota, superbe petit village accueillant à 4200 mètres d'altitude, des rencontres, des repas partagés, une pointe jusqu'au lac Chungala, tout petit, entouré par des montagnes et des volcans de plus de 6000 mètres ; superbe...à vous couper le souffle !

Mais je me pose une question : "Si nous sommes partis de la mer, on a dû franchir des cols ?". Pourtant, aucun n'est mentionné sur la carte ! Le Chili, pays de démesure, ne va quand même pas indiquer un col à peine élevé de trois ou quatre mille mètres. En plus, quand on lève les yeux au ciel, on voit encore des nuages plus hauts que les volcans. Va-t-il aussi falloir les escalader ?

Transfert à San-Pedro d'Atacama ; dix heures d'autobus pour traverser le désert, mille kilomètres de route. C'est comme si on avait traversé la France ! De là, départ vers la Laguna Verde, la Laguna Colorada, passage près du Licancabourg, les geysers de "Sol de Mañana". Des pistes pas faciles, mais des paysages somptueux. On se trouve là, comme au début, où il n'y avait que des rochers et la lumière qui les sculpte au gré des heures de la journée. Il y a le vent en continu qui souffle aux oreilles la plus belle des chansons de " Kéña " ; il y a cette lumière éblouissante et le froid de la nuit sous la tente et sous les milliers d'étoiles. Un voyage qui vous mène au tréfonds de vous-même, certes dur, mais tellement riche.
Tiens, là au fond, nous sommes passés à un col à 4800 mètres, près de Sol de Mañana et aucune mention sur la carte... (il faut dire que ce n'était pas le premier et comme le dit un proverbe andin : après chaque col, il y a un autre col...). Et puis, il y a Potosi, Sucre, Cocha­bamba, la rencontre de deux jeunes Autrichiens, Nina et Peter, et ce petit bout de route ensemble. Des montées infinies, des villages qui n'arrivent pas en fin de journée, des rencontres avec les villageois, des nuits passées dans des écoles, si gentiment ouvertes par des instituteurs si accueillants, des orages et des bergeries toutes simples, mais qui nous ont abritées pour la nuit, des moments passés avec des personnes qui accueillent des enfants orphelins de Potosi. Paysages grandioses, espaces quasi infinis, rencontres profondes ou rapides, mais toujours sous le signe de l'hospitalité.

Et toujours des cols franchis, des cols sans noms, des cols à plus de deux milles mètres, des cols où on s'arrête quelques instants, le souffle court. On voudrait que le temps s'arrête, alors on prend une photo avec l'illusion de sauver cet instant...

Et puis, le retour à Arica (en bus depuis Cochabamba) ; d'un œil fatigué, on regarde ces paysages qu'on laisse à regret. Content du périple accompli. On voudrait bien reprendre son vélo qui doit bien s'ennuyer dans les soutes du car. Mais les pistes ensablées, la tôle ondulée des chemins, les cailloux ont eu raison de nous. Heureusement, Jean-Charles Dekeyser et son épouse nous attendent à Arica. Ce sont eux qui furent nos anges gardiens et nos interlocuteurs au Chili. Ils possèdent une auberge et une petite agence de voyage susceptible d'aider des gens comme nous, qui ont eu un jour l'idée de prendre d'assaut, à vélo, la Cordillère des Andes.

Il reste dans nos têtes plein d'images, de souvenirs, de voix et de visages. Il reste l'envie de repartir parce que l'Amérique du Sud est un continent qui offre tant de richesses culturelles, tant de beautés, de paysages, et tant d'hospitalité.

On repartira ; c'est comme dit Goethe : "si quelque homme se lève et touche les étoiles, nulle part ne s'attachent désormais ses pieds incertains, et le vent et les nuages joueront avec lui".

Oui, c'est ça, nous avons touché les étoiles...

Christian MERVEILLE N°3861

de BRAINE (Belgique)


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