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Mes 2000 pour l'an 2000

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Depuis les années 70, le cyclotourisme dans les régions montagneuses a toujours été ma passion. Après quelques périples dans les Rocheuses canadiennes (pas beaucoup de cols ou de côtes dignes de ce nom dans l'Est du pays, où j'ai toujours vécu !), je me suis dirigé vers les Alpes, les Pyrénées et la Sierra Nevada. En 1992, j'avais grimpé environ 95 % de tous les cols goudronnés en Europe.

En 1993, bien avant que soit né le 'bogue' de l'an 2000, je me suis promis de re-grimper tous ces cols goudronnés de plus de 2000 mètres, plus ceux que je n'avais pas encore escaladés, en trajet continu en 2000, pour célébrer le nouveau millénaire. À cause des distances 'stériles' - sans cols de plus de 2000 mètres - entres les grandes chaînes montagneuses, et parce que je ne voulais utiliser que mes pédales une fois arrivé sur le continent, je me suis limité aux Alpes. Ceci veut donc dire 71 cols reconnus, plus 4 autres marginaux, dans quatre pays : la France, l'Italie, la Suisse et l'Autriche.

Pour choisir la liste, j'ai suivi les critères personnels suivants :
• L'altitude au sommet doit être de 2000 mètres ou plus, selon un panneau ou une carte reconnue. Si une des altitudes est de 2000 mètres ou plus, et une autre à moins de 2000 mètres, le col est sur la liste (exemple : Col de la Madeleine)
• L'endroit doit être appelé "Col" (ou Pas, Passo, Pass, Colle, Forcola, Sattel, Tor, Joch,ou tout autre nom semblable en français, italien, allemand ou autre dialecte alpin). Donc pas de sommets ou de boucles (le col de la Bonette, oui, le pied de la Cîme de la Bonette, non).
• Le col doit être 100 % goudronné sur au moins un des deux versants.
• Les maximas locaux ne sont pas comptés dans la liste ; par exemple, le Col de Raspaillon, sur la route de la Bonette, n'est pas compté.

Mon vélo, rien de très avancé - étant un informaticien de carrière, j'ai une âme minimaliste et conservatrice : un vélo Myata 215, vieux de 13 ans, 18 vitesses, dont un braquet 28x32 grimpeur de murs.

Complètement autonome, je porte tout sur le vélo, dans deux sacoches avant et deux arrières, plus une petite sur le guidon. Le poids est environ 12 kg pour le vélo et aussi 12 kg pour le bagage, plus deux bidons d'eau de 75 cl et nourriture. Une grande partie du poids est l'appareil photo, les outils et de nombreuses pièces de rechange. Pour éliminer du poids, j'ai décidé de ne pas camper et de passer ma nuit dans des gîtes, chambres d'hôtes ou petits hôtels.

Mon itinéraire a suivi, grosso modo, la crête des Alpes, débutant à Nice et continuant vers le Nord, puis le nord-est et enfin l'est avant de se terminer au Tirol en Autriche. Mon souvenir est celui d'une progression et d'une succession de régions très différentes l'une de l'autre : Flore, histoire, coûtumes, langues, et bien sûr la personnalité unique de chaque col. Mais il y avait aussi des thèmes communs, comme bien sûr les marmottes !

Après m'être assuré que la liste de cols était complète (tâche à laquelle plusieurs centcolistes m'ont aidé), je me suis donc retrouvé, le 20 juin dernier, à l'aéroport de Nice, soulagé de voir mon vélo sortir intact de la soute à bagages (l'avion, pour un vélo, c'est comme la naissance pour un être humain : l'épreuve la plus difficile de sa vie !).

Deux jours plus tard, avec le col des Champs, le voyage avait officiellement débuté. Ce premier groupe de 7 cols (Champs, Cayolle, Allos, Vars, Bonette, Moutière, Lombarde) m'a gâté avec son ciel bleu, son soleil éclatant et son charme très méridional. J'ai été très encouragé de voir que des associations historiques locales rénovent le fort de Tournoux et les casernes de Restefond, qui tombaient en ruines. C'est au milieu de ces cols que j'ai rencontré Wout deWreede, un néerlandais qui, lui aussi, faisait un grand nombre de cols, mais sur un vélo couché.

Par la Lombarde, ma première entrée en Italie ; à la fin du voyage, j'aurai franchi la frontière italienne 15 fois (Tous les cols goudronnés limitrophes de plus de 2000 mètres dans les Alpes, sont limitrophes avec l'Italie). Les quatre prochains cols (Morti, Esischie, Sampeyre, Agnello), sont situés dans la province de Cuneo, et, à la fin juin, portaient les cicatrices d'orages violents survenus au début du mois : trous profonds, voies effondrées, garde-fous emportés dans les ravins. Le Colle dei Morti (précédé sans descente du Colle Valcavera) m'a laissé un souvenir d'un des cols les plus magnifiques, sauvages et isolés du voyage.

De retour en France par la descente vertigineuse du col Agnel suivie du "pèlerinage" de l'Izoard, il était temps de prendre mon premier jour de repos à Briançon. Le lendemain, c'est la foudre, faute de cannonnades, qui m'a accueilli au col des Gondrans, officiellement interdit aux non-militaires. Avec le Granon, puis le Sestriere en Italie, suivis du Lautaret et du Galibier, j'ai finalement, avec un peu de tristesse, quitté les Alpes méridionales pour attaquer l'Isère et la Savoie.

Dans le dernier groupe de cols en France (Sarenne + Poutran, Sabot, Croix-de-Fer, Madeleine, Mont-Cenis, Iseran, Petit-St.Bernard) la végétation était nettement plus touffue et verte ; moi aussi, j'étais devenu plus touffu - avec mes vêtements de pluie, les chaussettes de laine, etc... Au col de l'Iseran, le plus haut des Alpes, la neige avait débuté, et allait continuer toute la journée et toute la nuit. Le lendemain le col était fermé, mais j'y étais passé sans encombres la veille. Mon dernier souvenir d'un 2000+ français, le Petit St.Bernard, c'est celui d'un paysage de Noël, au soleil levant, un paysage féerique qui est d'autant plus surprenant le 11 juillet !

Le Colle del Nivolet, à la frontière du Valle d'Aosta et de la province de Torino en Italie, est très isolé du reste de l'itinéraire, malgré qu'il soit à peine à 10 km de l'Iseran à vol d'oiseau. Depuis Aosta, c'est un détour de 160 km jusqu'au col, et 160 km pour retourner. Mais le détour en valait la peine : le Nivolet, avec ses vues sur les glaciers de la Levanna est à mon avis le col le plus majestueux du voyage - impression aidée par le fait que ma première ascension en 1997 était dans le brouillard et la pluie. Après le Nivolet, un petit retour en France par le Grand-St.Bernard (sous la neige) et la Forclaz, pour rencontrer Henri Dusseau au col des Aravis au moment du passage du Tour de France. Puis, ce fut le départ final de France, le premier pays à être rayé de ma liste des quatre pays "cols".

Les trois premiers cols suisses - Sanetsch, Moosalp et Simplon - débutent dans le climat ensoleillé de la vallée du Rhône dans le Valais ; le Sanetsch compte le pire tunnel de tout le voyage : 800 mètres, courbe, plancher boueux, plafond qui pisse sans arrêt, une voie unique, et bien sûr sans aucun éclairage.

Les six cols de Suisse centrale sont situés autour du massif du St.Gothard (Nufenen, St.Gothard, Furka, Grimsel, Susten et Oberalp). Des quatre premiers je n'ai qu'un souvenir assez flou : brouillard et pluie. Le long de la route de la Furka, le petit train à vapeur du DFB, assure depuis l'été 2000 la liaison touristique complète Andermatt-Gletsch sur l'ancienne voie ferrée abandonnée par le FO en 1982 lors de l'ouverture du Furka Basistunnel.
Par contre, le Susten est sans doute l'un des plus grandioses de Suisse, avec ses séries de tunnels, ses glaciers et la hardiesse du tracé de sa route - et le soleil !

Par le col de l'Oberalp, j'ai pénétré dans les Grisons, le canton suisse le mieux pourvu en cols groudronnés de plus de 2000 mètres. Dans un premier temps, ce sont ceux du San Bernardino, Splügen, Julier, Albula, Flüela et Ofen. Le San Bernardino (dont j'avais grimpé le versant nord, court et facile en 1984 et 1994), est très long et sans intérêt du côté sud ; mais c'était un point important pour moi : j'avais plus de la moitié des cols goudronnés de plus de 2000 mètres dans les Alpes.

Le versand sud (italien) du col de Splügen emporte la palme pour la route la plus truffée d'ouvrages d'art : entre Pianazzo et Campodolcino, la route s'enchevêtre sur elle-même, va de ponts en tunnels, et comporte d'innombrables lacets, y compris un lacet à l'intérieur d'un tunnel. - une descente magnifique en vélo, surtout après avoir doublé l'énorme camping car belge qui s'y était aventuré. De retour dans les Grisons après une nuit en Italie, la pluie m'a rattrapé, et les trois cols suivants, dans l'Engadine, ont été les plus mouillés du voyage, surtout le Flüela. Il est intéressant de noter que la Suisse essaie, depuis peu, de promouvoir le cyclotourisme de montagne ; de nombreux itinéraires nommés et fléchés (route et VTT), appuyés sur des cartes et guides spécialisés, sont très visibles dans toutes les régions suisses où je suis passé ; il y a trois ans, il n'y en avait aucun. Et la publicité semble fonctionner à merveille : j'ai vu plus de cyclos avec bagages dans les Grisons que partout ailleurs.

Après l'Ofenpass, mon troisième "jour de congés", le 1er août, à Landeck, en Autriche. Dans une librairie locale j'ai découvert deux autres cols goudronnés de plus de 2000 mètres, qui n'étaient pas sur l'itinéraire malgré mes recherches : Le Passo di Oclini en Italie (1989 m. ou 2000 m. selon les sources) et l'Arbis-kopfjoch en Autriche (2018 m.), qui sera le dernier 2000 du voyage.

Le lendemain, sous un soleil radieux, c'était le premier col d'Autriche, Bielerhöhe, avec ses vues grandioses sur le massif frontalier austro-suisse du Silvretta. Avant la rentrée en Italie, un petite pointe sur le Kühtai Sattel, avec son sommet très commercialisé.

Le 3 août l'automne, puis l'hiver sont réapparus. Le premier col à l'ordre du jour, c'était le Timmelsjoch (Passo Rombo) qui fait passer d'Autriche en Italie par l'Oetztal. C'était ma première montée depuis le nord, et c'est avec une certaine appréhension que j'ai atteint le col - car en 1986 et en 1990 le versant italien comptait de nombreux panneaux 'interdit aux vélos'. Mais, grâce à Schengen ou a Maastricht le poste frontière avait disparu, et de toute façon un brouillard très épais s'était mis de la partie ; en fait je n'ai pas vu un seul de ces panneaux d'interdiction durant la descente, même quand le brouillard a fait place à une pluie drue et froide, qui n'a pas cessé pendant quatre jours.

En août les Italiens sont en vacances... Et les Alpes sont sans doute une de leurs destinations favorites. Sous une pluie continue, j'ai dépassé un bouchon de véhicules de 14 km, créé par l'unique feu dans le village de Naturno dans le Haut-Adige. Le 5 août, la température était suffisamment basse et il neigeait à 1200 mètres sur la route du Stelvio. J'ai pris refuge à l'hôtel de Franzenshöhe, 2189 m. C'était le jour où le Stelvio célébrait officiellement son 175 ème anniversaire. À Franzenshöhe, on donnait un banquet où étaient invités les dignitaires politiques et militaires italiens et autrichiens. En fin d'après-midi, un cycliste de Sirmione, sans aucune protection contre les éléments, est arrivé du Stelvio complètement frigorifié - ses mains étaient si gelées qu'il ne pouvait pas enlever ses gants ou son casque lui-même ; après plusieurs chocolats chauds, sa femme est venu le chercher en voiture... Vraiment pas un temps pour faire le Stelvio. Le lendemain matin, j'étais prisonnier à Franzenshöhe. La neige était tombée toute la nuit, la route était fermée et le chasse-neige n'était pas encore passé. Mon moral était au plus bas, si près du Stelvio, mais sans pouvoir y accéder.

Le 7 août, le soleil était de retour, et allait briller presque sans interruption pour trois semaines. Le lendemain et 7 cols plus tard (Stelvio, Umbrail, Gavia, Foscagno, Eira, Livigno, Bernina), le deuxième pays "cols", la Suisse, était rayé de la liste. Il faudra trois jours et 400 km. pour faire le prochain col, Dosso dei Galli, et revenir vers le nord. Situé dans la province de Brescia, c'est le point groudronné le plus haut sur la route de crête des "Tre Valli", dans un cadre magnifique et presque sans circulation automobile.

La saison des vacances battant son plein, il devenait de plus en plus difficile de trouver où s'héberger ; les routes étaient encombrées, polluées et résonnantes du tintamarre des milliers de motos, surtout allemandes, faisant et refaisant les mêmes cols 5 ou 10 fois dans la même journée... Les bouchons se multipliaient, chaque village ayant le sien, et même les sommets des cols devenaient de gigantesques parkings. C'est dans ces conditions que j'ai attaqué les Dolomites, la dernière grande concentration de cols en Italie. Heureusement, les paysages grandioses et dramatiques de cette chaîne ont pu pallier à la cohue sur les routes.

15 cols étaient à l'agenda pour les Dolomites, la plupart situés dans la province de Bolzano, germanophone, et ses voisines, celles de Trento et Belluno. Dans l'ordre chronologique : Monte Giovo, Pennes, Oclini, Manghen, Valles, Fedaia, Giau, Longeres (Rifugio Auronzo), Falzarego, Valparola, Pordoi, Sella, Gardena, Erbe et Stalle. Ce dernier, et la rentrée en Autriche, mettaient fin au chapître le plus important du voyage : l'Italie, qui compte 35 des 71 cols goudronnés de plus de 2000 mètres dans les Alpes.

Les deux cols suivants, Schiestelscharte et Eisentalm, forment la limite Est des cols de + de 2000 et sont situés en Carinthie (Kärnten) dans le parc naturel de Nockalm. À la frontière Carinthie-Salzburg se trouve Hochtor, point le plus haut de la célèbre route du Grossglockner.

Et finalement, le 27 août à 15h 35 sous une petite bruine, j'étais au sommet d'Arbiskopfjoch, dans le Zillertal. Le but était atteint, 60 jours, 6 heures et 20 minutes après mon arrivée au Col des Champs. C'était un moment d'émotion indescriptible, la joie d'avoir atteint mon but mais aussi la tristesse qui accompagne la fin d'un rêve de longue date.

800 kilomètres plus tard, après avoir visité des amis en Allemagne, j'étais à l'aéroport de Munich pour le retour au Canada. Au total, 5793 kilomètres, plus de 107 000 mètres d'ascension et 1700 photos ! Et miraculeusement, aucune crevaison...

Pour ceux qui sont intéressés, mon itinéraire résumé est sur le Web, à http://www.cyclotouring.org/misc/passbagger
- et un site photo suivra dès que j'aurai le temps de le mettre en place.

Mario LABELLE N°4889

d'OAKVILLE (Canada)


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