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Jandri

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12 Septembre :

Il est six heures du matin, Bourg d'Oisans, point de départ idéal, selon ma philosophie, pour tenter l'ascension du Col de Jandri. Cela me permettra d'effleurer le glacier du Mont de Lans. Cela constituera aussi un record d'altitude.

J'ai choisi la mi-septembre, pour cette tentative, afin d'éviter l'affluence des randonneurs pédestres. Cela m'est toujours désagréable de piétiner leurs plates-bandes à vélo.

Circulation nulle jusqu'à la Rampe des Commères à cause de travaux dans le secteur. La route de nuit est sympa dans ces conditions. Au lieu dit "la Rivoire", je bifurque à droite sur une voie très étroite mais parfaitement revêtue. Quand le jour se lève, je passe le 10000 ème kilomètre de la saison. Après le hameau des Fourches, la D 220 franchit une falaise, c'est vertigineux, très étroit, mais plat. On trouve comme cela plusieurs routes aériennes dans la combe de Bourg d'Oisans. Des feux tricolores régulent la circulation dans le passage. En saison, cet itinéraire doit être infernal. C'est un raccourci intéressant pour rejoindre les Deux-Alpes.

A Bons, je retrouve la grande route vers les Alpes Plurielles. Virage 4, 3, 2, 1. Me voilà à la station. Sur la gauche, je découvre la suite de l'itinéraire. Cela semble monter pas mal ! Je m'y attendais un peu. Ce qui me surprend, c'est la fréquentation automobile : de nombreux 4x4 empruntent la piste en soulevant un énorme nuage de poussière (il n'a pas plu depuis longtemps). Je ne savais pas que mon fan-club était aussi dynamique. Je suis inquiet cependant : je crains les débordements possibles des "tifosi" en délire.

Un coup d'oeil sur la "Top 25" me permet de dénicher un raccourci. Mais la route s'arrête bêtement au beau milieu des locaux du Club Med. Par un tunnel et quelques marches d'escalier, je viens à bout du problème. Ce sera le seul portage de la journée.

La fin de la partie goudronnée est très pentue. Je suis à 1800 mètres d'altitude. C'est du chemin, maintenant. La piste est confortable sous les roues : une épaisse couche de poudre de terre amortit les chocs ; un centimètre de poussière, peut-être. Mon passage, pourtant à vitesse réduite, soulève un petit nuage ! Rien de comparable cependant avec les voitures. Certains pilotes sont sympas et ralentissent quand ils me dépassent. D'autres par contre !!!

Je débouche au premier seuil : la Sea. Des câbles de remontées mécaniques partent dans toutes les directions. En face dans le Sud-Est, une combe en contre-jour. Des nuages de poussière, illuminés de la lumière matinale, me renseignent sur la suite du parcours. Je trouverais ce paysage presque beau si je ne devais y passer dans quelques instants. Je pressens le mauvais coup, le traquenard. "Kyber Pass". Voilà ce qui me vient à l'esprit. Et les brigands ne sont pas enturbannés. Ici ils ont un volant dans les doigts.

Quand je le peux, je m'éloigne au vent de la piste pour éviter d'avaler la poussière soulevée par les véhicules. Sur une largeur de 10 mètres de part et d'autre du chemin, tout est blanc. Premier lac. Dans un souci de rentabilité, la piste coupe un lacet. Dans le souci de ménager mes forces, je suis l'ancien tracé. Je progresse maintenant dans la combe poussiéreuse. C'est un immense chantier d'altitude. Des bulldozers, des pelles mécaniques modèlent la montagne pour le confort des skieurs.

De nouveau, la piste coupe les épingles. Mais là je n'ai pas le choix : je dois suivre la voie directe. C'est trop pentu. Je cale ! En dessus de moi, les bulldozers provoquent des avalanches de pierres. Dantesque ! Je ne m'attendais pas à ça ! Un chemin provisoire, en terre, m'éloigne un peu du chantier. Cela semble bien instable, ces tas de terre posés sur la roche. Un bon orage et tout dégringole.

Par un tunnel, j'accède à la plate-forme technique du chantier : des engins de terrassement, des silos à béton, des algecos, un parking 4x4. Au milieu de tout cela subsiste le "Chalet Hôtel des skieurs" couvert de poussière.

Un peu plus loin une petite citerne, dérisoire, attend un tracteur pour aller arroser la piste. Je cherche ma voie dans ce paysage démentiel et inattendu.
Je suis à 2700 mêtres d'altitude. Tout est ocre ; roche et poussière, cycliste et vélo. Quand un 4x4 me dépasse je dois m'arrêter et retenir ma respiration. Pendant quelques instants, c'est l'éruption volcanique. Un nuage épais masque tout.

Je dépasse un engin lunaire à chenilles. La piste est terriblement pentue. Le 26x28 me semble un braquet énorme. Bref, j'en chie ! Après une petite descente, j'arrive au lac de Serre Palas. Je suis enfin au dessus du chantier. Finie la poussière. Il est dix heures. Je dois être à 2900 mètres. Je décrête une pause casse-croûte. Le ciel est d'un bleu intense, sans nuage. Il n'y a pas de vent. Quelque chose, dans l'air, me dit que cela ne va pas durer. Profitons-en.

Dans le Sud, les sommets de l'Oisans, émergent du plateau sur lequel j'ai abouti. J'ai la flemme de chercher leur nom sur la carte. Leur présence anonyme me suffit.

Je me régale de deux pamplemousses. Un peu lourd comme aliment du cycliste, mais c'est très juteux. Bizarrement, il n'y a pas de torrent dans ce coin de montagne. L'eau du lac a un aspect peu engageant. Mes bidons sont bientôt vides. Alors, chouette idée, les pamplemousses.

Dans le Nord-Est, pylônes et câbles du Jandri Express conduisent mon regard et mon esprit vers le but.

Je repars doucement, très doucement. La pente est irrégulière. Elle varie de très pentue à hyper raide (souvent plus de 20 %). Je mets fréquemment pied à terre. "Y'a pas", le Jandri sera quelque chose de grand ! Un problème topographique se pose : au-dessus de moi, il y a deux échancrures dans la montagne. Je n'arrive pas à savoir avec la carte, laquelle est le col du Jandri. J'opte pour le point le plus haut. Ce choix me permettra en outre d'arriver sur la rive du glacier du Mont de Lans.

Dans les dernières longueurs, je dois emprunter une piste de ski fraîchement terrassée. Le sol y est encore meuble. Les roues s'enfoncent. Je termine l'ascension au pas lent du randonneur pédestre. Le col ! Le Mont Blanc ferme le panorama au Nord. Juste devant, tout en bas, le plateau d'Emparis parait tout petit. Les alpages ont déjà la couleur de l'automne. Au Nord-Ouest, les Grandes Rousses, le Col de Sarennes, l'Alpe d'Huez, Belledonne. Fabuleux ! Vers l'Ouest : le Vercors, le Veymont, le Mont Aiguille puis l'Obiou.

J'abandonne mon vélo pour aller jusqu'au glacier. Je savoure l'instant. Puis en roulant, je monte jusqu'à une station de remontées mécaniques. De là, je surplombe "l'autre col". Je décide d'y aller, à tout hasard. La descente directe, par une piste de ski, me parait un peu raide. Je fais le tour d'un petit sommet pour rejoindre l'itinéraire un peu plus bas. Je roule sur un immense champ de roches délitées. L'ambiance est à l'ocre et au bleu.

Me voilà au "col". Je m'installe à l'abri du vent, dans les cailloux et je tire le casse croûte de la sacoche. Il est onze heures et demie et j'ai du temps devant moi. Silence, chaleur, vide.

Je me réveille à 12h30 . C'est un peu tôt pour parler d'une sieste, mais quel "pied". J'entame la descente, les muscles raides et l'esprit embrumé. Prudemment, je négocie quelques passages délicats, à pied. Après le lac de Serre Palas, la couche de poussière rend la piste très confortable et amusante à descendre.

J'avais mis au programme du jour le Col d'Entre les Têtes mais la fatigue et surtout l'obligation de devoir traverser encore un chantier apocalyptique, me font renoncer aux deux cents mètres de dénivellation. Je me contenterais du facile mais peu agréable Col des Gourses.

Je plonge, à fond les manettes, sur la station des Deux Alpes. Un col s'y cache. Sans doute l'ai-je franchi au moment où la route s'est mise à redescendre. Difficile à deviner dans cet urbanisme effréné.

J'avais envisagé de descendre sur Venosc et rejoindre Bourg d'Oisans par la vallée du Vénéon. Mais l'itinéraire est interdit aux VTT. Je renonce à cette descente infernale, plus à cause du ciel qui se couvre que par respect du règlement. Mais de l'extérieur l'honneur est sauf. Retour à Bourg d'Oisans par la grande route.

André PEYRON N°317

de CHABEUIL (Drôme)


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