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Les déboires du cyclotouriste prétentieux

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Nous adorons, n'est-ce-pas, parler de nos périples à travers monts et vallées où nous avons bravé le vent, la pluie, la pente et la fatigue. Moi aussi, soyez-en sûr. Vous comprenez donc ce qu'il m'en coûte de vous confier ici mes plus grandes hontes de cyclotourisme.

La première dont je me souvienne remonte à l'été de mes 17 ans. Nous avions organisé, mes copains et moi-même, un voyage d'étude au Pays-Bas pour y visiter les réalisations de ce pays en matière de polders et de barrages et ceci à vélo. Malheureusement pour moi, je circulais déjà en mobylette à cette époque. Mes amis, non. Très sûr de mes possibilités je ne pris pas la peine non plus de m'entraîner un peu avant le jour du départ. Donc, ce jour de juillet, nous voilà partis sur nos bons vieux "routiers" chargés pour la première étape entre Belfort et Epinal par le col du Ballon d'Alsace. Col que j'atteignis d'ailleurs deux heures après mes copains, dans un état de décomposition avancée, des crampes dans chaque jambe et cuisse. Il n'y eut pas un mot de reproche de leur part. Dès le surlendemain, plus un d'entre eux n'a réussi à me lâcher dans une bosse. L'orgueil blessé est un puissant moteur!

La suivante remonte à l'époque de mon appartenance au "Rayon Saintongeais". Nous étions environ au centième kilomètre d'un brevet de 200 km quand j'aperçus quelqu'un s'échapper à l'avant. M'ennuyant un peu dans ce peloton trop lent à mon goût, je décidais de rattraper le fuyard. Pendant une cinquantaine de kilomètres nous nous entendîmes comme larrons en foire pour creuser notre avance sur un groupe qui se moquait d'ailleurs bien de notre échappée. Puis soudainement, en traversant un village, mon compère m'annonça que lui, s'arrêtait ici pour déjeuner dans sa famille et que s'il roulait si vite, c'est parce qu'il était en retard pour le repas. Il restait cinquante kilomètres à faire, seul, dans la venteuse campagne charentaise d'hiver, déjà bien fatigué par cette "bourre". A quinze kilomètres de Saintes, le peloton que je trouvais lent quatre heures plus tôt me rattrapa et je fus bien incapable de suivre le "train". La honte n'apporte aucune énergie.

L'année suivante je décidais en même temps de m'inscrire pour le brevet cyclo-montagnard des Pyrénées et paradoxalement de faire quelques rénovations dans ma maison. Cette dernière activité me coûta quelques week-end de bricolage. Je me présentais donc au départ à Pau avec à peine cinq cents kilomètres de plaine dans les jambes. J'étais bien persuadé que cela suffirait. Effectivement cela me suffit pour passer à l'aise l'Hourquette d'Ancizan, laborieusement le col d'Aspin mais la montée du Tourmalet fut l'enfer. Pensant que j'étais victime d'une petite fringale je mangeais quelques aliments et comme cela ne suffisait pas, je me mis à avaler tout ce que je trouvais à manger et à boire le long de la route à tel point que je finis par ressembler à une femme enceinte de six mois tellement mon ventre se dilata sous l'action des boissons gazeuses. A Argelès-Gazost je pris honteusement la direction de Lourdes, non pas pour y brûler un cierge, mais simplement pour faire l'impasse sur les cols de Soulor et de l'Aubisque encore inscrits au programme. Dans la plaine je m'arrêtais à toutes les cabines téléphoniques pour joindre ma famille à Pau afin qu'ils viennent me chercher sur la route. En vain, j'arrivais comme une loque à Pau. Pour un coup d'essai ce ne fut pas un coup de maître !
Quelques brevets plus tard où la sagesse l'emporta sur la prétention, je me croyais définitivement à l'abri de ce genre d'incident. Soudainement le vice ressurgit dans le Brevet Velay-Vivarais. Nous étions dans le groupe de tête, mon cousin et moi quand ma roue avant creva. La réparation ne me prit que quelques minutes et je décidai de rejoindre les premiers. Je me bagarrais sur ma machine une ou deux heures tandis que mon cousin restait sagement à l'abri dans ma roue. Lui avait encore en mémoire sa défaillance dans le brevet du Gapençais, 15 jours plus tôt. Je ne rattrapais évidemment pas la tête, mais fus victime d'une défaillance dans la montée du plus haut col à mi-journée. Poursuivre tant bien que mal vers le Puy-en-Velay fut dès lors mon seul objectif en dehors de toute considération de vitesse. Chasser le naturel, il revient au galop.

Et la dernière en date fut d'un genre nouveau. Donc, un dimanche matin de mai, un peloton disparate constitué de vététistes, de cyclistes occasionnels et de moi-même (cyclotouriste glorieux de plus de 100 cols) circulait sur la route des Sanguinaires à Ajaccio. Nous avions prévu au retour de faire l'ascension de la Bocca Canereccia (123m, 1,7 km de montée à 7,3 %), histoire de pimenter la sauce.

J'arrivais le premier en haut et en attendant mes petits copains je me fis intérieurement cette réflexion : en descendant, ne fais pas l'andouille, ne suis pas ce casse-cou de Jean Michel, ne va pas te casser la binette...Tu descends dou..ce..ment ... Jean-Michel s'engage le premier dans la descente et se met à pédaler. Je le suis illico, oubliant instantanément mes propres recommandations. Je le double dans une ligne droite et lui fais un grand sourire. Sourire qui s'efface instantanément car je réalise que j'arrive trop vite dans le virage. Je freine, je dérape et je m'envole tout droit dans le maquis. Quelques jours plus tard, mes copains me ramènent mon vélo de chez le vélociste où il était en réparation. Je le découvre au beau milieu de la cour devant chez moi, se tenant debout tout seul avec deux roulettes à l'arrière et un texte fixé au cadre ainsi libellé "tu les avais enlevées trop tôt ! Quand on brûle les étapes on se retrouve par terre". Généreuse camaraderie.

Ayant bien l'espoir de faire du vélo encore longtemps et ayant encore quelques projets insensés en tête je ne désespère pas de pouvoir rajouter plusieurs paragraphes à ce texte d'ici quelques années.

Bernard GIRAUDEAU N°3872

d'AJACCIO (Corse)


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