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Ca fait deux fois que c'est la première fois...

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Ne vous arrive-t-il pas qu'un nom de col, à consonance plus originale que les autres, vous trotte dans la tête, parfois même, pendant des années, avant qu'un jour, enfin, vienne l'occasion "d'y aller voir " ?

Pour moi, Bergevine est un de ceux-là, un nom qui chante comme un prénom de femme, comme un prénom tellement trituré par les médias, il n'y a pas si longtemps !!

Après tout, une gorge de femme aussi est "une dépression entre deux mamelons" et vous remarquerez que là, si on n'est pas tout à fait au col on n'en est quand même pas loin !

Cessons de rêver et ce ne sont que mes pneus que je vais déposer sur la "dépression entre deux mamelons" en cette belle matinée de mai 96.

Sospel, 7 heures du matin.... au bout du chemin qui longe la voie de chemin de fer s'embranche le sentier du vallon de Saint-Julien. Les hautes herbes chargées de rosée ont vite fait de me faire nager dans mes godasses. Ce n'est qu'un peu plus haut, en forêt, que le terrain devient enfin à peu près sec. Poussage et portage se partagent les hectomètres après que j'ai laissé partir sur ma droite le balisage qui monte directement au deuxième col.

Le temps de longer une modeste barre rocheuse, de la contourner et me voilà aux 722 mètres du col de Basse Bergevine. Comme j'aurais dû bien sûr m'y attendre, il n'y a, ici, comme pour tant de cols dont on se demande pourquoi on les aime tant, que taillis, herbes hautes et rochers.

"Ma" Bergevine n'était qu'imagination et les mamelons qui encadrent le col ne provoquent finalement en moi aucun frémissement particulier. Au-delà du col, le sentier se divise en deux si vous passez par là, prenez à droite le plus raide des deux, faute de quoi vous galèrerez comme je l'ai fait pour atteindre le col de Haute Bergevine en rampant misérablement dans un entremêlement de branches au ras du sol. Et avec un vélo j'vous dis pas !!

La récompense est un joli coup d'oeil sur les crêtes encore enneigées du Mercantour tout proche. Le balisage retrouvé m'emmène maintenant droit vers la pente, sur une croupe bien raide (en mai, superbes gentianes bleues) jusqu'à émerger enfin au Cuoré et "ramasser" en même temps le col du même nom.

Une borne de pierre de belle taille montre fièrement son "I" côté Est et son "F" côté opposé.
"Qui parla italiano ?" même pas, il n'y a ici, cette fois encore, que du maquis et des cailloux. De la forêt toute proche me vient la seule réponse (en français !!) à ma question: Cou-Cou, cou-cou, cou-cou...

Ce n'est pas tout ça mais j'ai une sacrée soif, conséquence de la coupable négligence de n'avoir pas rempli mon bidon au départ de Sospel. Je tire sérieusement la langue et c'est sans eau "dans le radiateur" que, vélo sur l'épaule, je m'élève vers le pas de Mulacié, petite rallonge un peu pénible qui me permet d'engranger un col de plus : 1305 m, ouf ! de là-haut, descente dans un goulet herbeux archi pentu et c'est en retrouvant le sentier menant au col de Razet que, oh miracle, le sol devient boueux et que quelques flaques apparaissent. L'une d'elles, négligée par les coucous et autres oiseaux à gorge sèche, est immobile comme un miroir.
Une bonne épaisseur de boue bien propre tapisse le fond sans chercher à chicaner la clarté de la surface de l'eau. Alors, voyez-vous, je n'ai pas hésité: ce n'est pas la première fois que je me retrouve à quatre pattes mais c'est bien la première fois que ça me sert à mettre le museau dans une vulgaire flaque pour en aspirer le précieux et salvateur liquide. Ce n'est donc pas là que j'ai "bu la lie" mais un peu plus loin, quand la nature s'est outrageusement payée ma tête en me faisant tomber sur une bonne source au découlant généreux... de l'eau claire comme on n'en trouve qu'en montagne... quand on a fini d'avoir soif !!

C'est dans les hauteurs de Grasse que se situe ma seconde "première fois", de loin la plus farfelue des deux.
Et là, il va me falloir l'indulgence de nos homologueurs de listes de cols pour qu'on ne me sabre pas une "dépression entre deux montagnes" à laquelle je tiens tout particulièrement.

Objectif: la Baisse de Viériou (1356m). Parking théorique, Grasse, pour éviter la zone entre les fabriques de parfums et la mer, où les malheureux cyclistes sont en danger de mort permanent. Donc à Grasse je sors le vélo, la roue arrière, la sacoche de guidon mais, "hénaurme" surprise il manque une bricole: la roue avant. Quel con, ce Voirin !! le coup à l'estomac passé, je me dis qu'il est quand même trop rageant de rater aussi bêtement mon 80ème col de l'année et une idée qui me semble lumineuse me traverse l'esprit : y aller quand même, le vélo me servirait de sac à dos... à la montée comme à la descente !

Certes il n'est plus question de partir de Grasse mais il faut aller stationner la voiture au pied du joli village de Coursegoules. Mon curieux équipage n'attire aucune attention: à cette heure matinale le village est silencieux. Le sentier est facile, la montée régulière... 450 mètres de dénivellation, ce n'est pas le bout du monde, et sur les coups de 9 heures me voilà sur "mon" col. Photo pour immortaliser cet instant baroque et délicieux, casse-graine tiré du sac. Au bas de la descente, aux premières maisons du village un gamin s'inquiète: "bonjour M'sieu, vous avez crevé ?" drapé dans la dignité d'un cyclo emmerdé par sa mécanique je m'entends répondre: "non, mon gamin, j'ai cassé ma roue" en pressant le pas pour éviter la probable deuxième question: "elle est où ta roue ?".

Ce doit être Courteline qui a dit: "je ne crois pas à la pesanteur... la preuve : il est plus facile de lever une femme que de la laisser tomber". Moi, je suis assez de son avis sur le même sujet mais par contre, le portage d'un vélo "unijambiste" sur une épaule fatiguée moi je vous le dis: i l y a quand même bien là un problème de pesanteur !


P.S. : je ne résiste pas au plaisir de faire deux ou trois jeux de mots, peut-être pas pour le meilleur mais au moins pour le rire :
"Que le "Père Doux" , gourou fondateur de notre secte grimpante mais non violente, s'armant au besoin "Du Sceau" de notre Grand Maître actuel, fasse en sorte que me soit reconnu cet épisode farfelu. Puisque l'article 1 de notre règlement ne dit pas dans quel état doit être la bicyclette (heureusement il ne dit pas non plus dans quel état doit être le cycliste). Je ne sollicite là qu'une bien "Potyte" faveur !!!

André VOIRIN N°104

de GERARMER (Vosges)


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