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Il faisait chaud... il faisait froid... dans le Queyras.

Revue N° 24 Page 55

Il faisait un temps superbe en ce matin de juillet au camping de Guillestre. Dans le silence d'une fin de nuit, le Guil semblait plus bruyant, tant les échos matinaux se trouvent amplifiés quand la nature et ses occupants dorment encore. Quelques voisins sous tentes laissaient échapper à travers les parois de toile des ronflements bienheureux suite à une soirée "festive" comme pouvaient en témoigner les nombreuses canettes réparties tristement sur la zone de combat. La forêt de Risoul éclairée sur son sommet par les premiers rayons, laissait à penser qu'encore une fois la journée serait belle.

Dany, comme à son habitude, avait, dès la veille, préparé avec délicatesse et souci du détail, ce qui serait notre menu pour cette journée longtemps rêvée. Comme il est de mise en pareil cas, malgré nos sacoches, une profonde réflexion avait été conduite sur le volume, le poids, le pouvoir énergétique, la résistance à la chaleur des divers ingrédients choisis pour notre expédition. Le tout était bien rangé dans des boites plastiques avec comme toujours un profond et réfléchi calcul sur la répartition équitable des masses à l'intérieur du couple.

Nous en étions donc là dans cette situation mille fois répétée, prêts à affronter l'objectif de la journée : le col Agnel et ses 2744 m... quand Dany, le visage déjà marqué par je ne sais quel émoi matinal s'écria "le melon... le melon..." Et oui, il est des passions plus fortes que la diététique, plus fortes que la dynamique des masses... le melon devait être de notre sortie par son pouvoir rafraîchissant et ses qualités gustatives nécessaires au moral des chasseurs de cols.

Un rapide coup d'oeil sur la contenance de nos sacoches et je savais déjà que j'aurais la charge de cette "cucurbitacée, genre cucumis", comme il est dit dans les traités de botanique. Parée de cet ornement, la dite sacoche ventrue et rebondie à qui les intempéries et les nombreux usages ont depuis longtemps donné une forme informe, apportait à ma monture un semblant d'instabilité que je m'efforcerai de maîtriser toute la journée.

Un petit échauffement dans la rampe d'accès menant au carrefour du col de Vars et nous voilà dans le surplomb des gorges du Guil, point de passage obligé de cette autre conquête prestigieuse qu'est l'Izoard. Une brise de vallée nous taquine, sans pour autant nous contrarier, bientôt quelques cyclistes multifluorés nous rattrapent, nous dépassent.. leur roue arrière s'éloigne... impossible de suivre... le vent contraire... le melon... la contemplation du paysage alpin nous fournissent suffisamment d'alibi pour un amour propre à peine écorné !
Déjà, la silhouette de Château Queyras, son approche pentue et le melon, toujours le melon... Cavaillon... obsession... et encore 1500 m de dénivelée ! Le carrefour de Ville-Vieille est là, sa boulangère aussi... Si j'osais... le melon... pour le retour ! Mais non ! L'altitude ne pourra que le bonifier. Nous nous contentons donc des douces viennoiseries dégustées sur un banc près de cyclo-campeurs étrangers dont les quadruples sacoches semblent contenir la moitié du rayon bricolage du BHV... alors, vous pensez..., j'ai l'air de quoi avec mon melon d'une livre ?

Fort de cette réflexion comparative, je repars à l'assaut du seigneur du jour, le moral au plus haut, accompagné de ma fidèle compagne qui suivant une habitude bien établie, n'a pas oublié d'enduire toutes ses parties exposées de "crème solaire indice 15". La route s'élève régulièrement, nous laissons de côté la direction de Saint-Véran pour atteindre Molines et sa traversée tortueuse, au milieu de touristes faisant leurs courses matinales.

La montée se fait plus rude, les taons et mouches nous soutiennent dans notre avancée, la crème solaire semble les attirer davantage, le soleil frappe fort sur nos nuques rougies mais que la montagne est belle, l'odeur des foins mêlée au goudron chaud... une odeur prenante... inhabituelle... le melon... l'odeur du melon... le poids du melon !!

Sur le côté, un ruisselet, un petit torrent fera l'affaire je vais le déposer comme un présent... nous le retrouverons à la descente, frais, rafraîchissant... pourvu que je ne sois pas repéré par un promeneur, pire ! Par un garde forestier pensant à un poseur de piège interdit... Mais non, tout est calme dans le col Agnel en ce jour béni de juillet, le soleil brille toujours, les fleurs sentent bon, les marmottes nous appellent... Nous avons des ailes, l'air me semble plus léger, je suis plus léger... je vole, nous volons.

Le sommet approche, il est là, nous y sommes : les lacets du versant italien sont impressionnants dans la brume montante. Nous avons envie de plonger en terre étrangère, mais non nous devons retourner sur nos pas... Le melon est toujours là, plus frais, plus rafraîchissant que jamais... Il sera bon tout à l'heure... à l'ombre du mélèze.

Il faisait beau, très beau dans le Queyras en ce jour de juillet lorsque ma sacoche a repris forme...et son propriétaire aussi...

Michel SAVARIN N°2739

Castelmaurou (Haute-Garonne)


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