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LES 24 HEURES CYCLO-PEDESTRES DE TENDE

Revue N° 19 Page 36

Saint Dalmas de Tende, altitude 696m.

Le ciel est clair à 6 heures du matin ce 13 juin 1990. Sans hésiter, Huguette et moi enfourchons nos "alezans" pour une balade en altitude.

Route sans problème dans le vallon de la Minière que nous remontons jusqu'à Casterino. Malgré la fraîcheur matinale, la Baisse de Peyrefique (2030m) est passée sous un ciel bleu après un peu de marche car nos cycles n'apprécient pas les cailloux... Heureusement, sur la piste de la crête, la terre battue nous permet de rouler jusqu'au col de Pernante. Le col de Tende (1870m) est passé bien avant midi ; une courte descente et nous voilà au San Lorenzo, arrivée de la route goudronnée venant de Cuneo.

A présent, l'Italie nous accueille avec ses pistes bien défoncées. C'est le début d'une longue marche à travers un univers minéral à 2.000m d'altitude. Pas même un chouca à l'horizon et le ciel bleu pastel du matin est à présent gris-cendre. Quelle ambiance pour franchir cette succession de cols, le plus souvent en poussant nos vélos. Après le Campanino (2187m), le Perle (2086m), Boira (2102m, poteau indicateur), voilà le Marghareis (2085m). Au col des Trois Seigneurs (2111m, panneau), pas un de ces messieurs pour nous accueillir, mais pluie, vent, neige nous souhaitent la bienvenue. La piste détrempée, la visibilité presque nulle, nous progressons lentement dans la bourrasque, passons au Flamalga (2179m), à la Celle Vieille (2098m). En perdant un peu d'altitude, nous retrouvons les mélèzes, un sentier plus roulant et laissons l'orage derrière nous.

Depuis le col des Trois Seigneurs, pas un panneau... Inquiets, nous suivons le chemin (nous n'avons pas le choix) mais notre progression est lente. Bientôt, oh joie ! Une bergerie. Un brave italien nous rassure ; nous ne sommes pas perdus mais la Brigue et Saint Dalmas sont encore très loin. Le col de Porta (1819m) au pied du Mont Saccarel (2200m) est passé, mais il est tard. La statue de la Vierge au sommet semble m'indiquer la bonne direction, soit le Pas du Tanarel (2042m). Erreur ! sur l'arête, pas de sentier ; sur l'autre versant, rien ; pas de vue ; il fait nuit, seules quelques lumières brillent au loin dans la vallée.

Nous redescendons vers la chapelle située en contre-bas de la statue et suivons, à gauche, une trace. Nous passons devant le refuge de San Remo et nous retrouvons, après plusieurs cols, au passo di Garlenda (2021m).

Cette fois, je réussis à lire le panneau au clair de lune (car nous n'avons pas de lampe électrique... j'avais prévu de parcourir cet itinéraire de jour et au soleil !). Me souvenant du topo passé dans la Revue des Cent Cols, je réalise : nous avons fait la variante depuis le Saccarel ; il faut rebrousser chemin. Il fait nuit ; le refuge de San Remo est fermé. Nous portons nos vélos et atteignons à nouveau la chapelle. Redescendant en-dessous de la statue, nous trouvons enfin la piste du pas de Tanarel. Au col (2042m), déception : pensant trouver une voie cyclable, c'est toujours le même chemin caillouteux, en corniche, avec, en plus, quelques flaques d'eau où se reflètent les rayons de lune. Dans ces conditions, le bain de pieds est fréquent.
La balade nocturne continue. Nous n'osons pas nous arrêter par crainte du froid. Le clair de lune rend la forêt que nous traversons fantastique. Au sol, les aiguilles de mélèze se collent sous nos roues boueuses... tout se bloque dans les garde-boue. Enlever une roue, la nettoyer, la remonter, cela à tâtons, relève presque de l'exploit. Un sanglier, surpris de notre présence sur son domaine à cette heure de la nuit (il est entre minuit et deux heures) nous encourage en grognant. Il disparaît bientôt au grand soulagement d'Huguette, plus morte que vive. Les ombres des branches des arbres sur le chemin, les rochers, rendent le décor lugubre.

Bientôt, au bord du chemin, bien éclairé par la lune, un panneau. Nous suivons, confiants, l'indication et faisons un tour d'honneur, en forêt, dans la boue, et ce pour revenir à notre point de départ une heure auparavant. Fatigués, cette variante est peu appréciée. Nous décidons de bivouaquer dans une cabane sous ma vieille couverture et attendons le jour. Nous ne dormons que d'un œil ; le moindre bruit nous fait sursauter. A l'aube, je retrouve dans mon maillot le topo de cette randonnée, passé dans le Revue des Cent Cols, où P. Chatel précisait : "Contrairement au panneau, ne pas aller à droite, mais à gauche."

Avec le jour, tout va mieux. En dix minutes nous rejoignons la route de l'Amitié à la Baisse de Sanson et c'est la descente sur La Brigue par le col Linaire. Pouvoir enfourcher nos vélos nous fait retrouver le sourire. Le moral, qui en avait pris un coup, est revenu.

Après cette nuit à la belle étoile, le soleil nous accompagne dès la sortie de la forêt et c'est formidable. Nous traversons La Brigue et arrivons à huit heures du matin à l'hôtel à Saint Dalmas. Notre bonne forme retrouvée rassure la patronne, très inquiète de notre absence.

"Mais vous, les Savoyards, vous avez l'habitude de la montagne" dit-elle. Nous n'avions pas prévu un chemin aussi peu roulant et le manque d'indications en route. De plus, impossible de trouver la carte IGN, en rupture de stock, qui nous aurait rendu de grands services. Comparativement à Suse-Sestrières, parcouru il y a quelques années, j'ai trouvé cet itinéraire, qui est beaucoup plus long, peu roulant. Au-dessus de Sestrières, sur une piste en terre battue, nous n'avions pratiquement pas mis pied à terre. Les années passant, c'est peut-être l’œuvre des 4x4 et des motos...

Michel BOUCHE

N°191, Saint-Jorioz


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