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3 Août 1988 ou 10 ans après…

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Notre première expérience en 1978, fut une telle réussite que nous rêvions depuis, de participer à nouveau à une de ces concentrations des 100 Cols. Le goût de tout ce que nous avions trouvé au Col du Cherel nous était resté au bord des lèvres comme une savoureuse gourmandise.

Chaque année nous voulions revenir, chaque année un obstacle s'y opposait : dix ans se sont écoulés...

Enfin en 1988 la rencontre pouvait s'effectuer : Plus de contrainte de travail, pas d'obligations familiales, la santé qui s'améliore, bref, tous les ingrédients sont réunis pour une bonne réussite. Ce matin donc, ayant sorti pour l'évènement les beaux maillots de notre club d'Antibes afin de faire honneur aux amis belges et à ceux des 100 Cols, nous étions très tôt à pied d'œuvre. Avec l'émotion d'une jeune mariée, nous attendions le "fameux" rassemblement de 10 heures.

Le haut-parleur annonça : les 100 cols, rendez-vous dans cinq minutes devant la plaque du Col de la Croix Jubaru.

Dans l'ambiance et la marée des cyclos, et au rythme de l'accordéoniste de service, notre cœur battait en rejoignant le lieu du rassemblement, alors que le haut-parleur renouvelait son message une deuxième fois, puis une troisième fois, puis je ne sais plus combien de fois...

Le temps passait, les cyclos aussi. Bousculés mais stoïques, notre sourire commençait à sentir le figé. C'est sûr, cela n'a rien à voir avec le col de Cherel, avec son grand calme et ses petits oiseaux, mais il faut savoir vivre avec son temps. A cette époque nous devions être 300, aujourd'hui nous sommes dix fois plus, nous sommes même sur ordinateur comme à la sécurité sociale !

Le haut-parleur annonçait encore le rassemblement comme le drelin drelin du clocher qui essaie de réunir les fidèles...

Des cyclos qui essayaient d'arriver, d'autres qui essayaient de repartir, ceux qui s'accrochaient à leur vélo comme à une bouée de sauvetage, et le temps qui passait et nous qui attendions le rassemblement.

Je m'empresse auprès d'un cyclo qui a l'air d'attendre:
"Vous êtes là pour les 100 cols ?
- Les sans quoi ?"

Un autre s'approche de moi :
"C'est où le café gratuit s.v.p."

Enfin quelqu'un s'approche :
"Les participants à la randonnée des 100 cols, mettez-vous devant le panneau pour la photo."

Je m'installe, lui disparaît. Des cyclos, participants à la semaine fédérale, mais n'ayant rien à voir avec les 100 Cols se faisaient photographier et ont dû, sur leurs clichés, me découvrir en fond de toile, se demandant ce que je fiche là...

Tout à coup, me voilà accosté par quelqu'un de décidé :

"Vous êtes là pour les 100 Cols ?
- Oui !
- Allez, on y va pour le circuit de 20 km.
- OK. par où passe-t-on ?
- Suivez-moi, on va par là,.. (me désignant l'étroit boyau par où les cyclos continuaient à arriver à pied tellement c'était bouché).
- On va à contre sens de ça ?
- Il le faut bien, pour se dégager, mais après ça ira mieux. Hum... bon, on va essayer..."
Monter un col un jour de grêle et avec un vent force 8, c'est presque de la rigolade à côté de cette marée (in)humaine. Chaussure accrochée par une pédale, bras coincé entre un sac et son guidon, assaut de selle dans l'estomac, mots d'excuse, mots d'insulte, l'aventure était vraiment au coin de la rue. Les anciens se croyaient revenus en mai 68, les pavés n'étant d'ailleurs pas bien loin. Enfin un dégagement, un trou d'air, on peut respirer. Respirer, oui, mais ou sont passés les quelques héros qui avaient, comme moi tenté leur chance dans cette inégale bataille ?

Ah, en voilà un :
"Ou sont-ils passés ?
- ma foi...
Et un autre :
Vous êtes sûr que c'est par-là ?
- ma foi..."

Sur ces paroles nous voici dans la horde des V.T.T. et de leurs moniteurs qui, nous devinant embarrassés :
"Vous cherchez quelque chose ?
- Le circuit des 100 cols
- Pas vu, mais je sais qu'ils ont fléché leur parcours."

Merci cher monsieur, nous avons chassé les flèches, et, outre celles, bien connues de la S.F., je puis vous affirmer que nous en avons trouvé de toutes les couleurs, allant dans toutes les directions, ce qui ne nous a pas servi à grand'chose.

J'ai même posé, à une habitante, la question la plus idiote du jour :
Auriez-vous vu passer un groupe de cycliste ?
- Mon cher monsieur, depuis ce matin on ne voit que ça, de ma vie jamais je n'avais vu ça !"

Nous avons encore cherché un moment. Les quelques "paumés" qui étaient avec nous sont repartis, déçus, vers d'autres horizons, ce que nous avons fait nous aussi.

Nous étions venus pleins d'illusions, je dirai même que si nous avons fait le trajet Antibes-Roubaix pour la Semaine Fédérale, c'était en grande partie pour retrouver le rassemblement du Club des 100 Cols. Heureusement, l'ambiance et l'organisation de la S.F. ne nous ont pas fait regretter notre venue.

Pour le reste, je me sentais presque humilié. Moi qui avais choisi ce col pour être mon 400eme et en garder un bon souvenir, me voilà servi.

En remontant sur mon vélo, j'ai repensé au col du Cherel 1978, un très grand cru !.. Que le reblochon avait le goût du rire et de l'amitié comme je l'avais écrit avec enthousiasme (bulletin des 100 Cols N° 7).

Depuis nous avons évolué. Sans doute les organisateurs ont voulu trop bien faire... peut-être, mais en tout cas, moi, dans un club devenu trop grand pour le rêveur que je suis, je me sens de plus en plus devenir un code chiffré pour ordinateur.

Signé: N° 281, cols 400, 2000 = 21.

Pour les rescapés de la vieille école :

Robert BELLONI


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