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Ma Bonette !

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En ce jeudi 11 août, il est exactement 6 heures quand je passe devant le panneau indicateur qui annonce : Col de la Bonette : 26 km. En effet, cette année, j'avais comme but d'écumer tous les plus de 2000 de la région des Alpes de Haute-Provence. Pour réaliser ce projet, j'ai réussi à convaincre mon épouse de venir passer une semaine de vacances à Jausiers. Mon fils Patrice et sa fiancée se sont joints à nous. Notre camp de base est établi à l'Hôtel des Neiges dans un petit bungalow, ce qui est l'idéal pour nous autres cyclos car la liberté y est plus grande que dans une chambre d'hôtel, et chose appréciable, nous avons nos montures à portée des yeux dans la véranda.

Je dois dire que nous étions venus avec un peu d'inquiétude, car après un début de saison assez chargé (14000 bornes à la fin juin), au début juillet, j'avais souffert d'ennuis articulaires à la cuisse gauche. Quant à Patrice, il reprenait le vélo après une interruption de plusieurs années, et je le retrouvais ici avec un vélo neuf équipé en 52 - 42 à l'avant, et une 26 à l'arrière. Et pour rôder le tout, 30 kilomètres d'entraînement. Ce n'est guère l'idéal pour monter des cols à plus de 2000.

Hier, mercredi, dans la matinée nous avions grimpé sans problème le col de la Cayolle, et l'après-midi, nous avions prévu de reconnaître en voiture le col de la Bonette. Nous avons pique-niqué au pied du col, et pendant le repas je regardais les cyclistes se lancer à l'assaut du géant, en pensant qu'il fallait être courageux ou inconscient pour s'attaquer à un pareil morceau à 13 heures, sous un soleil de plomb. Dans une randonnée ou un brevet, d'accord, mais quand on a le choix, autant partir à la fraîche. La reconnaissance en voiture s'est limitée à monter jusqu'au chalet de la halte 2000, car devant l'étroitesse et les passages difficiles de la route, les femmes avaient demandé de faire demi-tour. Nous avions accédé à leur demande surtout à cause du manque de punch de notre Golf C. Mais ces onze kilomètres de montée avaient fait comprendre à Patrice que c'était un trop gros morceau pour lui.

C'est pourquoi, ce matin, j'étais seul pour me lancer dans l'ascension de ce col qui était pour moi un rêve souvent caressé. Le jour se levait à peine, et la nature était encore assoupie, comme complice de mon escalade. La machine et les jambes tournaient bien, et l'équipage s'élevait régulièrement. Première difficulté : les lacets situés avant la cote 2000, ainsi que la portion de route défectueuse qui nous avaient fait peur hier sont passés facilement. En vélo, la route est moins impressionnante qu'en voiture, mais les beautés du paysage sont mille fois plus perceptibles, et la communion avec la nature est entière. La halte 2000 est dépassée, et une nouvelle série de lacets se présente. Puis c'est un lac où l'aube naissante dépose des reflets de feu. Sur une pente, se trouve un important troupeau de moutons, et l'ensemble est d'une beauté saisissante, l'appareil photos ne chôme pas.
Après une nouvelle série de lacets, j'arrive à hauteur d'un fortin et de plusieurs bâtiments délabrés. J'entends quelques cris stridents de marmottes, mais impossible d'en apercevoir une. Le développement à outrance du tourisme et son cortège les a rendues plus méfiantes. Je me souviens avec nostalgie d'un passage de la Furka, où, curieuses comme des concierges, elles venaient voir l'intrus qui envahissait leur domaine. Le progrès, hélas, est là ! Il n'y a qu'à voir dans quel état se trouve le Lautaret : la route y est ravagée par les travaux : pour monter au col, il va bientôt y avoir une avenue avec des feux rouges. Au nom de la rentabilité, notre société détruit toute beauté.

Enfin, aujourd'hui, je peux profiter encore de la sauvage nature de la haute montagne, et mes yeux font provision de souvenirs. D'habitude, dans un col, en roulant, je cherche à deviner où se trouve le sommet. Mais ici, je profite entièrement du moment d'intense joie que je vis ; comme si, inconsciemment, j'avais peur d'en voir la fin. Pourtant, après une courbe, au bout d'une longue ligne droite, voici le sommet de la Bonette : un immense dôme noir entouré par une route qui a l'air d'avoir un bon pourcentage. Me voici au panneau qui indique le circuit de 1,500 km de la cime de la Bonette. D'ici, la pente de la route est impressionnante. Arrivé en haut, je prends une photo du mausolée, et retourne au panneau où je me rends compte que pris par la beauté du site, j'ai oublié de monter au sommet, à la table d'orientation. Je retourne donc au mausolée, et, le vélo à la main, j'emprunte le petit sentier qui s'élève jusqu'à la table d'orientation. Je dépose mon vélo contre la table, comme si je voulais que lui aussi profite de la fête.

Je suis seul, et profite en toute quiétude du moment intense que je vis. Quel calme ! Et partout où je pose mon regard, je suis saisi par la majesté de ce site. En bas, j'aperçois la route du col de la Moutière que je vais bientôt prendre. Mais ceci sera un autre récit. Cette ascension du col de la Bonette sera et restera un des plus intenses moments de ma vie.

J'avais tiré environ 36 photos, car je comptais en faire un montage pour la réunion de fin d'année du club, car notre président et ami B. Borrier a la fâcheuse habitude de nous passer toujours les mêmes diapos. Hélas, en retirant le film, je me suis rendu compte qu'il était coincé à son début et que je n'aurais aucune photo. J'ai toujours fait un piètre photographe.

Roland POIVRE

AUDAX - DIJON


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