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« Le pas de la Graille »… fermé ; on passe… quelle aventure

Revue N° 17 Page 09

Jusqu'à ce mercredi 27 avril 1988, la "graille", pour moi, c'était en argot, le synonyme de la... bouffe. Et lorsque, potassant la 81, je contemplais cet espèce de boyau blanc qui se tortillait sur le fond vert de la montagne de Lure, le tout agrémenté de "chevrons" noirs. Je me disais bien que le Pas de la Graille ne devait pas être un truc très digeste. Mais çà me démangeait sous la pédale...

Quelques jours avant, alors que nous revenions d'un safari-cols dans l'Esterel et le Verdon, nous avions meublé une partie de la route du retour (en camping-car) en une conversation avec Paul et Hervé ayant pour objet une prochaine "offensive" vers ce fameux pas.

Des paroles aux actes, il n'y eut pas long. C'est ainsi que le fidèle camping-car piloté par Hervé nous avait ramené, une semaine plus tard, sur les rives de la Durance, en ce 26 avril, après avoir essuyé moult averses alternant avec le soleil. Le camping-caravaning de Sisteron étant livré aux bulldozers, et l'office du tourisme de cette ville ayant porte close... nous poursuivions vers le sud en guettant, le long de la N 96, les panneaux qui pourraient nous renseigner sur un éventuel havre. Ce qui ne tardait pas puisque l'un d'eux nous dirigeait sur Volonne, où nous faisions escale dans un hôtel de plein air baptisé ""hippocampe"... En fait, le dit hôtel n'était pas encore en grande activité, et même en pleins travaux. Après une nuit bien calme, et un petit déjeuner copieux, arrivait l'heure du départ.

Copieux aussi, sont les nuages dans le ciel... La Haute Provence n'est pas en fête pour nous. Mais, un jour c'est long, et tout a le temps de s'arranger, même le temps...

Dès Volonne, nous filons sur l'Escale puis Malijai. Malijai doublé, tous les trois, nous passions en revue la horde des "pénitents" des Mées. Nous faisons quelques provisions, car nous n'avons aucun motif sur la conscience pour jeûner. Et nous traversons la Durance et le chantier de la future autoroute. Nous voici au pied de cette montagne de Lure que nous attaquons en passant devant la vieille chapelle de St Donat, accompagnés par une noria de camions- bennes qui charrient d'énormes pierres destinées à cette autoroute. Çà ronfle. Çà fume... Çà pue le gas-oil et ça nous frôle ! Mais la carrière est proche, et c'est dans le calme que nous arrivons à Malfougasse par le D 951 qui nous conduit maintenant sans trop forcer jusqu'à St Etienne les Orgues.
"- J'ai graillé là une fois, dit Paul.
- Il a bouffé partout celui-là" riposte Hervé.
Moi, je n'en suis pas aux souvenirs gastronomiques, car à la sortie de St Etienne les Orgues, c'est une autre musique. On vire à droite... et c'est la rampe sèche de suite. PAS question de passer le 30. Çà craque ! Demi-tour sur quelques mètres, et on re... attaque pour découvrir un beau panneau : "'Col du Pas de la Graille FERME". Nous voilà dans l'expectative... Pas longtemps. Je ne suis pas venue là pour qu'un vulgaire panneau me dicte sa volonté :
- On y va ?
- D'ac." répondent mes deux camarades.
Après un premier kilomètre sinuant entre les villas hermétiquement closes, la route s'harmonise quelque peu. Et nous grimpons en admirant le paysage qui s'étend en direction de Forcalquier, lorsque les sapins, magnifiquement soignés par l'ONF, nous permettent des échappées visuelles.

"-Midi !… "
Pas question de faire des heures supplémentaires. Les "prolos" du vélo s'arrêtent. Nous plongeons nos mains dans les sacs de guidon pour en retirer les provisions. Avec nos premières bouchées, s'expriment nos premières réflexions sur un temps de plus en plus incertain. Et, en apéritif, le ciel nous sert les premières gouttes de pluie.

"- Ca ne va pas durer...
- Tiens ! Des figues !" Les gouttes se transforment en fine pluie. On plie bagages et nous nous imperméabilisons . De fine, la pluie devient serrée et orageuse. Maintenant que nous sommes dans le bain... il faut continuer car il pleut partout où nos regards se dirigent. Alors monter ou descendre... Une chose est certaine : ce col "fermé" nous évite toute circulation automobile. Il flotte, mais nous sommes "chez nous", "peinards".

Dans ma tête, je fais les comptes et je "guigne" mon petit compteur. La Michelin a dit : de St Etienne au Refuge de Lure 13,5 km puis 7,5 pour atteindre le Pas de la Graille. Il pleut de plus en plus. Sur la droite une route. Un chemin plutôt. Et un panneau qui indique Notre Dame de Lure. Comme nous venons de passer devant l'oratoire St Joseph, nous convenons qu'il n'y a rien de surprenant si nos trois carcasses sont inondées d'eau... bénite !

Moi, j'aime les routes en lacets. Alors là, je suis servie! C'est pas les Landes! Il y a de quoi attraper le "tournis". J'espère ce Refuge de Lure... qui n'arrive pas vite. Par contre, arrive quelque chose que nous n'attendions pas : des flocons de neige. Ils sont mélangés à la pluie qui devient rare, pour faire place à une vraie tornade blanche. Car, maintenant, le vent souffle, et le brouillard s'en mêle. Enfin, l'ombre d'une grande bâtisse se profile : le Refuge de Lure ! (1572 m) .

Oh ! Déception... Tout est fermé : portes et volets. Nous tournons autour : silence. Seul le bruissement de la neige qui tombe sur nos impers.

"-Bah ! Cela ne va peut-être pas durer. C'est un mauvais nuage." Et puis, il y a même un replat et une courte descente qui nous incitent à poursuivre vers le pas. Voici de grandes congères. Elles ont été taillées par le chasse-neige à turbines. Çà passe. Mais la neige tombe de plus en plus serrée. Il fait froid... Le vent souffle. Arrive, de face, un marcheur tellement habillé qu'on ne distingue que ses yeux et sa barbe.
"Çà passe ?"
Je n'ai rien compris à ce qu'il a dit. Quoi qu'il en soit, il faudra bien... y passer ! Mais mes mains sont déjà de glace et je suis trempée. Mes deux amis sont dans le même état. J'entends Paul qui râle ferme, sans la fermer pour autant ! Hervé: lui, toujours calme.

On arrive tout de même au bout de ces 21 km de grimpée. Pas question de marquer le pas à ce pas de la Graille. On bascule... côté nord. Calamité ! sur cette face, les engins de l'équipement n'ont pas fait... un pas. Et nous voici devant un immense névé qui coupe la route sur une bonne vingtaine de mètres et qui plonge dans un vide que nous ne pouvons -heureusement- pas mesurer tant est épais le brouillard. Tout de même, nous plantons nos vélos dans la neige pour une photo. Flash ! Quel souvenir ce sera. Cette fois, je suis archi trempée. Mon petit K-Way n'est pas suffisant. Dans les profondeurs de son sac de guidon, Paul en a un deuxième. Je fais l'échange. Mais je suis comme à la sortie d'une douche glacée, cela n'arrange pas grand'chose. Il faut traverser le névé. On porte le vélo. On enfonce à mi-jambe. La neige s'infiltre dans les pompes... Pas drôle du tout. Et ce petit cirque va recommencer cinq, dix, quinze fois, même plus. Des névés, il y en a pendant des bornes et des bornes. Entre eux : une route caillouteuse, boueuse. On longe le précipice. . Çà frise le danger en permanence. J'ai de plus en plus froid. Je claque des dents et je me demande si nous arriverons au premier pays civilisé, les Escoffiers, qui se trouve à 20 km du pas de la Graille. Hervé et Paul sont, eux aussi, "glaglas". Hervé, ma1gré deux impers, n'en mène pas large. Paul est tout renfrogné. Il doit être vexé, car il nous avait parlé, en terme tellement chaleureux, de cette montagne de Lure ! Encore un névé. Mais celui-là est fait plus de boue que de neige. Ouf ! C'est le dernier. Hélas, les tribulations ne sont pas terminées pour autant. Et nous grelottons! Car dans le fond, nous avons passé : des bûcherons, l'un d'eux nous questionne: "D'où sortez-vous ? "

- de là-haut pardi.
- Eh bé, vous en avez du souffle"!
et puis une voiture. On l'arrête. C'est un gars du pays. Il nous "fortifie" en nous disant que la route sera meilleure dans quelques centaines de mètres, et qu'il y a un café dans le premier village. C'est vrai. Revoici du goudron bien lisse. Maintenant, on se marre tous les trois.

Les Escoffiers. Valbelle. Devant le bistro, quatre gaillards tapent une pétanque malgré le vent. A l'intérieur, c'est comme si nous entrions au Paradis. Et quatre dames, se tapent, elles.. des verres de vin... blanc. Pendant que nous faisons sécher (un peu) nos vêtements autour du poêle qui ronfle, nous demandons des chocolats bouillants. Ces dames n'en reviennent pas que nous ayons passé le Pas de la Graille. "Mais c'est fermé" dit l'une d'elle en sirotant son vin blanc. Eh oui, c'était fermé, mais nous...

Après... Toujours accompagnés par la pluie, nous rejoignons la vallée du Jabron pour nous retrouver par le D 946 aux Bons Enfants et sur la RN85. Une cabine téléphonique. J'en profite pour passer un coup de fil à Bellegarde...
"- Tu n'as tout de même pas dit que nous étions cuits par le soleil...
- Tout de même pas."

Nouvelle noria. Cette fois, celle des voitures sur cet axe conduisant à Manosque, Marseille... Route que nous quitterons avant Château-Arnoux pour retrouver Volonne et l'hôtel de... plein air.

Nous sommes d'un sale... Nos socquettes, qui étaient blanches, ont pris la couleur de nos souliers. Avant toute chose... La douche. Et après... la graille ! Je fais une bonne soupe. Les deux hommes me félicitent. Hervé a branché le chauffage. Il fait bon dans le camping-car. Avant de se rouler dans les plumes, on potasse la 81. Pour demain.

Demain... c'est déjà ce matin. Je mets le nez dehors. Très couvert. Vent. Il fait frisquet. Petit déjeuner. D'un commun accord nous modifions nos plans. Au lieu de nous diriger sur Sisteron, La Pierre Ecrite et le Col de Fontbelle, nous mettons le cap sur les Baronnies, terre de toujours, accueillante, d'autant plus qu'il y a nos amis Julot et Yvettes à Buis. Nous remontons le Jabron. Le soleil arrive. Et nous découvrons une montagne, le Lure, merveilleusement belle. Nous y sommes montés un jour trop tôt ! Dommage... On se console en laissant le camping- car aux Ommergues. Paul nous entraîne sur deux cols: celui de Pigière et celui du Négron. En grimpant ce dernier, la vue est magnifique sur cette vallée du Jabron qui plaisait tant à Jean Giono. Retour aux Ommergues. Re... camping-car par Macuègne que nous connaissons, et, à midi pile, arrêt sur la petite place où nous avons fait si souvent escale.

Après... Par les Ayres et Fontaube, c'est Buis les Baronnies où nous retrouvons pour une petite heure nos deux amis. Il fait très beau. Nous franchissons le col d'Ey. Mais cela n'a pas le même charme qu'en vélo. Nous traversons l'Ennuye à Ste Jalle. A Curnier, nous entrons dans la vallée de l'Eygues. Hervé reste au volant. Moi, je veux profiter de cette route pour me payer les cols du Collet, du Palluel et de la Saulce. Le vent du nord souffle très fort. Et, bien entendu, nous l'avons dans le nez. Paul roule avec moi. Au col de la Saulce, Hervé nous attend. Il y a sur la gauche, le col des Tourettes. Mais il est déjà une heure avancée, et Bellegarde n'est pas la porte à côté. A contre-cœur, je remonte dans le camping-car. Quand irai-je aux Tourettes ?

Enfin, il faut être patiente... ,

Le reste, c'est du banal. C'est le retour. Et le retour n'est jamais enthousiasmant. D'autant plus que le temps s'est carrément mis au beau... Il fera bon au pas de la Graille demain. Mais demain...

Jeanne HERNIOLE

Cyclotouristes Chambériens


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