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Une discipline trop souvent controversée : Le cyclomuletier

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Si une discipline, au sein du mouvement cyclo, est souvent controversée, il s'agit bien du cyclomuletier. L'intolérance coutumière de l'individu allant jusqu'à traiter d'hérétique le pratiquant d'un loisir fort agréable et non dénué d'intérêt.

"Le vélo, c'est fait pour rouler sur le bitume !" Je me souviens avoir entendu cette réflexion plus que de raison. Et pourquoi diable voulez-vous que la bicyclette se borne au bitume ? N'existe-t-il pas plusieurs sections de pneus allant du 20 au 28 mm ? Ne suffit-il pas d'être convenablement équipé et d'être un peu fou dans sa tête ?

Fabien et moi, sommes des adeptes de cette pratique qui consiste à mettre un vélo là où l'on attend plutôt un marcheur. Ridicule, me rétorqueront certains, ceux qui n'ont jamais osé cycler hors des sentiers battus. Formidable, me lanceront ceux qui, comme Fabien et moi, ont la chance de pratiquer cette discipline hors du commun.

Afin de convaincre les inconditionnels du goudron, je vais vous conter notre dernière journée en cyclomuletier, la plus belle des journées, c'était le 20 juillet lors de nos vacances d'été, les sixièmes regroupant le même tandem.

Imaginez les Alpes, un paysage magnifique, du soleil, une route. Oui, une route. Car le cyclomuletier débute toujours par le bitume. Aujourd'hui, il nous conduit au col du Mont Cenis, un col que nous avions déjà gravi en 1981. Nous savourons cette ascension comme un souvenir commun. En nous dirigeant sur le versant italien du col, nous découvrons son lac, d'un bleu profond et magnifique.

Notre objectif, en ce début d'après-midi se nomme col du Petit Mont Cenis. Son sentier s'élance sur notre droite, le long du lac. Notre progression est lente. Lente, parce que la beauté est au rendez-vous, que nous fixons sur la pellicule des paysages incomparables en pensant à Toi, cher lecteur ; lente aussi parce que le sentier est rude, que les cailloux repoussent nos roues, que la pente s'élève. Les muscles, tendus par l'effort, se durcissent, la chute nous guette à chaque tour de pédale. Parfois, la roue avant se lève devant la difficulté. Alors, nous ne sommes plus tout à fait maîtres de nos bicyclettes.
Le col nous attend, récompense de notre sueur, éparpillée au fil des kilomètres. Nos regards se rejoignent, pas de paroles inutiles, la joie se lit sur nos visages sans que les lèvres ne remuent.

La descente, dans le pâturage, nous transcende. Nous ne sommes pas pressés par le temps. Un rapide coup d'œil sur la carte porte notre choix sur le col de Bellecombe à 2475 mètres. Des cailloux, nous passons à l'herbe, glissante et sauvage. La pente, toujours plus rude, la roche déposée ça et là favorise les chutes. La roue avant alors se dérobe, le contrôle de la bicyclette m'échappe totalement, je me retrouve à terre, le corps meurtri par le tranchant de la rocaille. Toujours, je me relève et repart, tantôt sur ma machine, tantôt à pied.

Bientôt, il n'y a plus d'autre solution. Et le cyclotouriste poursuit son chemin vers le sommet. L'air est pur et le calme reposant. Sans le savoir, nous sommes entrés sur le territoire de ce charmant et sympathique rongeur qu'est la marmotte. Seuls leurs cris déchirent le silence de la montagne. Nous assistons alors au jeu de ces petites boules de fourrure. Spectateurs privilégiés de la nature, nous observons ce petit être sans soucis, naturellement craintif. Devant, derrière, elles sont partout. Détectant nos humaines présences, elles se jettent dans le terrier le plus proche. La montagne est leur domaine et leur demeure. Au plus profond de notre cœur, nous les jalousons et nous envions leur liberté.

Nous atteignons le col de Bellecombe, gagnés par la félicité et une incomparable tranquillité d'esprit. Le paysage est splendide et récompense une après-midi d'efforts. Fabien, modèle plus obéissant que les marmottes se laisse photographier au sommet, puis dans la descente qu'il nous faut bien entamer.

Ainsi, presque à regret, nous regagnons le sentier du col du Petit Mont Cenis, retrouvant notre camping quelques instants plus tard. Le soleil se couche, déjà !

Le rideau est tombé...

Si la pratique du cyclomuletier ne vous a toujours pas convaincu, il ne me reste plus qu'à manger mon stylo !!

J. SCHULTHEISS


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