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1975 - Dix années déjà... 1985

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Souvent, dans mon entourage, la même question revient : quand, comment et pourquoi ai-je commencé à faire de la bicyclette ? Toujours, je réponds de manière évasive, avançant l'impact du Tour de France sur l'enfant admiratif devant l'effort prodigué par les champions cyclistes, ou invoquant des sorties entre amis. En vérité, tout cela n'est que mensonge !

Aujourd'hui, dix années se sont écoulées. Je puis enfin parler et faire toute la lumière sur les origines d'une passion jusque là gardées secrètes.

Nous sommes le 27 Juillet 1975. Il est treize heures. Je viens d'enfourcher ma bicyclette, une lourde machine de dames", mon seul moyen d'évasion. Car, en l'occurrence, c'est bien de cela qu'il s'agît. Déjà, mes premiers coups de pédale m'éloignent de l'appartement familial.
De Lingolsheim, je rejoins Entzheim sans difficulté avant de traverser Duppigheim et Duttlenheim. L'itinéraire m'est familier. Je le connais comme ma poche. Depuis ma plus tendre enfance, je l'ai effectué de nombreuses fois en voiture, jamais à bicyclette. A Altorf, je m'arrête pour reprendre mon souffle et quelques forces sur un petit banc que la Providence a jugé bon de placer là. Je me revois encore en culotte courte et petit maillot. Le temps est magnifique. Dans ma tête, la côte d'arrivée qu'il me faudra gravir se profile déjà.

Je traverse Rosheim comme un bolide. Il ne me reste plus que trois kilomètres à accomplir. Ce seront aussi les plus difficiles. Avec les trois vitesses de ma bécane, dès que la pente s'élève, il ne me reste plus qu'à marcher et à pousser la récalcitrante. Pourtant j'ai du mal à retenir la joie qui m'étreint et j'ai envie de hurler de bonheur car j'ai atteint mon but. Je suis à Rosenwiller, patelin natal du père de mon père. Mais, je n'ai pas entrepris une telle expédition dans le seul but de m'offrir un pèlerinage bon marché. La raison de mon voyage est autre.
Elle a pour nom Christine. Ma cousine Pascale, de deux ans mon aînée, me l'avait présentée quelques jours auparavant et tous les trois, nous avions passé une semaine de vacances parfaitement inoubliable. Je venais d'avoir mes treize ans. La Vie me tendait les bras et j'adorais ceux de Christine. Après ces quelques jours dont le souvenir restera à jamais gravé en moi, je m'en retournai chez moi "à la ville", arraché par mes parents à ce havre de bonheur.

Mais, avant de partir, j'avais fait le serment de revenir à bicyclette. Devant l'incrédulité de l'une et de l'autre, je savais bien, tout au fond de moi, que j'en étais capable et le moment de franchir la frontière de mon quartier était venu. En me voyant arriver, l'expression de leur visage était des plus amusante, traduisant bien le manque de confiance qu'elles avaient placée en moi. Mais, j'étais trop heureux pour leur reprocher quoi que ce soit et l'après-midi était déjà bien entamée. Le premier moment de surprise passé, elles me félicitèrent de mon exploit. Je me rengorgeais, étouffant bien mal ma fierté. Pascale s'amusait de mon maillot qu'elle avait remarqué "jaune, comme celui du Tour de France". J'étais le héros de la journée et fêté comme tel. Malheureusement, même en juillet, les jours ont une fin. Il me fallait prendre congé de Pascale et de Christine. Je ne devais revoir cette dernière que cinq années plus tard.

Parfois, je me souviens de cette journée du 27 juillet 1975. Elle me rappelle ma première randonnée à bicyclette et mon plus bel amour de gosse.

J.S.


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