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Le bréviaire du cyclo-muletier

Revue N° 14 Page 11

Fais du Cyclo-Muletier par amour de la nature grandiose, de la solitude, de l'effort physique et non pas parce que c'est la mode : la montagne se vengerait. Mais moque-toi du grincheux qui te prouve par a plus b qu'une bécane sur l'Alpe est une hérésie et que tu dois t'arrêter au terminus de la route goudronnée : la montagne te récompensera.

Ne fais pas "n'importe quoi" pour corser ta "collection". Dédaigne les cols où, sur l'ensemble du parcours, ton vélo est plus encombrant qu'utile. Tu te rends ridicule et tu discrédites notre mouvement. Montre-toi toujours digne de l'avantage que tu possèdes sur l'automobiliste et le piéton qui sont esclaves de leur véhicule ou des services de cars.

Mais surtout éloigne-toi du col glaciaire ou rocheux. C'est aussi stupide que dangereux. Ou tu ne t'équipes pas spécialement et ta tentative de suicide ou tu t'équipes convenablement et ta corde, ton piolet, tes crampons et son sac tyrolien genre "armoire à glace" te gêneront sur la route aussi terriblement que ton vélo te gênera sur le glacier. Contente-toi des superbes passages sans nombre qui te conduisent par ta seule endurance et sans acrobatie ni danger de la vallée du Giffre dans celle de l'Arve, des Beauges dans le Beaufortain, de la Tarentaise en Maurienne et dans l'Oisans.

Avant de partir, prépare-toi minutieusement au triple point de vue itinéraire-horaire, de matériel et d'entraînement. Sache que la montagne peut te réserver de terribles surprises si tu l'abordes en galopin.

Pour aborder un col inconnu, il est indispensable de posséder, d'amener en course et de savoir lire la carte au 50.000e en couleurs ou les plans directeurs au 20.000e. Les cartes routières ne valent rien pour les cols muletiers, les cartes en hachures pas grand-chose. Pour cent sous de cotisation annuelle, les Cyclo-Muletiers Savoyards te procurent sur simple demande itinéraire et horaire standard et tous les tuyaux désirables des principaux cols des deux Savoies. Indispensables sont également des vêtements de prévision du mauvais temps blouson imperméable ou veste-tempête à cagoule, un chandail en grosse laine pouvant servir, entortillé autour du tube horizontal, de coussinet pour protéger l'épaule au portage, gants chauds ou moufles, visières pour les binoclards. Une boussole peut rendre de fiers services en cas de brouillard. Le reste de l'équipement varie avec les "écoles", la force physique, les bourses, les appétits. Le vélo lourd n'est pas d'office désavantagé ; il reprendra du poil de la bête en roulant là où le "Tout Dural" portera sa monture. Les souliers "uniques", c'est-à-dire des souliers bas légèrement ferrés ont leurs adeptes ; nous leur préférons néanmoins la solution plus lourde, godasses de montagne pour les cols. N'oublie pas l'appareil photo, car si tu veux obtenir l'insigne des Cyclo-Muletiers Savoyards ou Dauphinois, il te faut des documents. Mais le meilleur appareil du monde ne sert à rien s'il n'y a pas de pellicule dedans !
Au point de vue d'entraînement, nous attirons ton attention sur le fait qu'une défaillance en montagne est beaucoup plus désagréable que partout ailleurs ; elle y peut être dangereuse.

En toute saison, même au mois d'août, tu peux rencontrer au-dessus de 2.000 mètres de la neige fraîche tombée de la nuit. Ce n'est pas une raison pour rebrousser chemin, à moins que tu n-y enfonces jusqu'aux genoux; l'essentiel est de ne pas perdre la direction et de ne pas te tromper de "col". Mais méfie-toi comme de la peste des "névés" au début de saison ; si tu ne peux pas les éviter, prends au moins toutes les précautions : traverse vite sans piétiner et sans t'arrêter, au besoin d'abord sans vélo pour faire la trace. Un simple petit "glissement de neige" peut affreusement t'empoisonner.

L'expérience a montré que plus encore que sur la route, le vélo du cyclo-muletier doit être chargé à l'avant. Plus l'arrière est déchargé, plus il est facile de conduire la machine dans un sentier rocailleux ou sur les éboulis et de réduire ainsi le portage à son strict minimum. Car qu'on veuille l'avouer ou non : le portage est bien la plaie du Cyclo Muletier ; heureusement qu'une savante "technique" et une certaine expérience permettent de l'éviter dans la plupart des cas et des cols.

Et, pour finir, un tuyau de bon copain qui t'évitera mainte amère déception : n'essaye pas de questionner les montagnards : "Combien de temps jusqu'au col ?", car ils te donneront de bonne foi les indications les plus différentes ; mais surtout, si tu ne veux pas ébranler ton moral, abstiens-toi de demander si ça passe. D'après eux, tu ne passeras "jamais" !

Eh bien, nous y avons tous passé !

LEBOUQUE-TAIN





Ces conseils de bon aloi sont extraits de la revue "Le Cycliste d'avril 1939, et prouvent, s-il en était besoin, que le cyclo muletier a une longue tradition. Voilà donc au minimum quatre générations que des cyclos randonnent au coeur des montagnes, et que leurs détracteurs les accusent de "porter des pianos". Polémique sans fin !

Quant à l'auteur de cet article, derrière le pseudonyme de "Lebouque Tain" se dissimule Hans KONIG, photographe suisse fondateur des cyclotouristes Albertvillois en 1937, et premier cyclomontagnard à obtenir la médaille des Cyclo Muletiers Savoyards en septembre 1938, ex aequo avec Pierre GUERIN, son grand ami annécien.









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