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Sans rancune

Revue N° 13 Page 27

C'est par un samedi, premier jour de septembre, que je décide de partir taire, pour la dernière fois, le col de la Croix de Fer. Il est plus de 9 heures quand je quitte le camping de Bourg d'Oisans car j'attendais depuis 2 heures que les timides rayons du soleil me réchauffent, le fond de l'air est frais...

Après Allemond, je longe allègrement la première retenue d'eau de Grand-Maison, je constate que le niveau de l'eau a monté depuis le mois de juillet (à l'occasion de la Marmotte). Je passe un grand bâtiment blanc d'EDF et je m'arrête au feu, il est rouge et je rappelle que je suis un cyclotouriste. Sur ma droite il y a une route, toute caillouteuse, qui part du Vaujany et sans hésitation je l'emprunte en changeant mon programme (aujourd'hui : tourisme). La route, après un début difficile, verre et cailloux, présente maintenant un aspect plus accueillant. Le goudron est roulant et la pente non négligeable, j'ai appris plus tard que la dénivelée entre le premier barrage et Vaujany respecte le 10% sur environ 6 kilomètres. L'ascension est fort agréable, je pédale tout en admirant le paysage, avec ces torrents, ces cascades et ces hameaux typiques, flambants neufs. Après Vaujany j'aperçois, sur ma droite, un remonte pente et la route continue toujours à monter, l'effort commence à se faire ressentir et je m'obstine à rouler jusqu'au bout du bitume. Maintenant l'asphalte a disparu et j'arrive à un dépôt d'EDF, de camions et de pierres. Un chemin semble flâner à travers la montagne, tout en gardant une direction ascensionnelle. Y aurait-il un col dans les parages ? Un nom nouveau à rajouter au palmarès ? Mes yeux pétillent de joie, mes oreilles sont dressées et aux aguets, mon vélo piaffe d'impatience à l'idée d'une découverte non programmée. Bref le pied...

Mes mains agissent automatiquement, je mets le petit plateau, un 30 dents, je grignote, bois un coup (tout en pédalant) et me voilà parti sur ce chemin hostile et interdit aux véhicules étrangers au chantier (il y a un joli panneau). Telle une aventure du Far West, ma monture cherche plusieurs fois à me désarçonner. Le passage des voitures, dédaigneuses ou admiratives, complique mon odyssée mais le moral, comme le temps, est au beau fixe. Le chemin se transforme en boulevard, boulevard de verre, de cailloux et de pierres. Les virages sont plus relevés, la trajectoire plus hésitante, les voitures plus rares et les marmottes plus bruyantes.
Tout à coup une corde élastique me barre le passage. Y aurait-il un guet-apens ? Je mets pied à terre, renifle le vent pour déceler la présence d'un ennemi. Il n'y a qu'un troupeau de vaches et je continue mon chemin. Quelques hectomètres plus loin, à la suite d'un virage, j'aperçois une pelleteuse. Arrivé à la hauteur de cette sentinelle je suis obligé de continuer à pied, le chemin n'est plus tassé. Je m'obstine et persévère pour l'attribution d'un nouveau col. Oh désespoir ! Après quelques minutes de marche commando, je découvre le flanc de la montagne, tout en granit, et un peu plus loin un drapeau à portée de mains, flottant au vent, qui symbolise le terme de cette excursion. Malgré ma décision d'abandonner provisoirement la bicyclette, je ne peux passer car je ne suis pas équipé pour l'alpinisme. Le col du sabot ne sera pas vaincu cette année, et je repars en maugréant sur la montagne et cet effort gratuit. Je regarde la face nord du pic blanc, au-dessus de l'Alpe d'Huez, avec ses glaciers et cette roche qui transpire de tous ses pores, puis je redescends, bredouille.

Le coi du sabot sera peut-être une route goudronnée, en raison de la largeur de sa trace et de ses gués (des tuyaux de béton enterrés la traverse). Elle est parallèle à la vallée de l'Eau d'Olle et elle reliera les 2 retenues d'eau de Grand-Maison. Ainsi, avec ses 2100 mètres, le col dominera celui du Glandon et celui de la Croix de Fer, il faut lui laisser du temps pour se façonner. Je lui donne rendez-vous dans 2 ans, pour nous revoir.
A bientôt.

Raymond CHARRAS (69)


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