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Les collectionneurs de l'inutile

Revue N° 12 Page 09

Collectionner les objets a toujours été une des préoccupations de l'homme. Oeuvres d'art, objets insolites allant de la boîte de Camembert aux bagues de cigares en passant par les timbres-postes, les porte-clés, les armes anciennes, rien n'a échappé à l'esprit de collection

Les commerçants le savent bien, il suffit de voir les enfants récupérant dans des boîtes de fromages ou les tablettes de chocolats, images d'animaux, de footballeurs ou de vedettes du disque. On est parfois époustouflé par le montant qu'atteignent certaines enchères car la pièce rarissime n'a pas de prix pour un collectionneur.

Les cyclotouristes, gens en général paisibles et contemplatifs ont-il échappé à cette tendance ? ma foi non, disons même que la plupart sont d'impénitents collectionneurs qui sont même allés jusqu'à se grouper pour fonder une très illustre et très honorable confrérie qu'ils ont baptisée "Club des 100 cols". Voilà ma foi une bien originale idée. Après tout pourquoi pas, cela ne cause de préjudice à personne.

Malheureusement, les membres de cette société sont bien incapables de vous montrer le moindre élément de leur collection ; on pourra toujours vous exhiber un timbre rare, un livre précieux, une lettre écrite de la main d'un personnage illustre mais un col ? Bien difficile ! Tout au plus on pourra vous montrer un papier attestant que vous avez gravi 100 cols, aidé seulement d'un cycle et de la force de vos muscles. Ajoutons que ce document n'a pas la moindre valeur juridique du fait qu'il a été établi sur la simple déclaration du récipiendaire et que la confrérie l'a admis sans même le juger sur sa bonne mine vu qu'il a postulé par les bons offices des PTT, et d'ailleurs ladite confrérie aurait-elle voulu vérifier la déclaration qu'elle en eut été bien incapable. Alors, direz-vous, voilà une société fort peu sérieuse, qui dispense diplômes et médailles et accueille sans le moindre parrainage le premier guidon rencontré au détour d'une anonyme départementale. Cherchez bien ! et vous découvrirez que de telles sociétés dans notre monde contrôlé, codifié et informatisé sont plutôt rares.

Ainsi, le premier rigolo venu n'étant jamais monté sur une bicyclette, peut dresser une liste de cols, à l'aide des cartes Michelin ça lui prendra une heure ou deux, d'envoyer cette liste et recevoir par retour du courrier son admission dûment signée, et le tour est joué. Voilà en vérité une confrérie dirigée par des gens bien crédules et même naïfs, me direz-vous !
Eh bien oui, les dirigeants sont bien crédules mais naïfs, peut-être pas, après tout, c'est cette crédulité qui fait l'originalité du club et même son honorabilité L'estime et la bonne foi sont l'esprit qui l'anime. D'entrée, le postulant le sait. Alors on peut légitimement se poser la question : existe-t-il des tricheurs au club des 100 cols ? Probablement oui, un club qui comprend plus de 1.800* membres doit forcément détenir dans ses rangs des individus plus ou moins réguliers, c'est une obligation logique pour tout rassemblement humain, mais j'ai la conviction profonde qu'ils ne doivent pas être nombreux, et peut-être même se comptent-ils sur les doigts de la main.

Le fraudeur qui s'introduirait illégalement au sein de la société pourrait ainsi côtoyer sur la liste des membres les amateurs de cols et de beautés montagnardes qui, eux, ont pédalé durant dix, vingt ou trente ans, mais au fond de lui-même il saurait bien que tout cela est faux, un diplôme ou une médaille sanctionnant le mensonge ne changerait rien à la réalité, et, en définitive, si le fraudeur a trompé quelqu'un, c'est bien lui-même.

Au fond, ce club des 100 cols est une confrérie, fraternelle et bon enfant qui ne se prend pas au sérieux; décontraction ? Oui ! Mais de bon aloi et dont les membres cherchent à enrichir leur collection pour leur simple satisfaction personnelle sans en tirer la moindre vanité.

Lorsque je commençais à pratiquer le cyclotourisme ça remonte à l'année 1949, je notais en fin de saison les cols que j'avais escaladés, il devait s'en trouver cinq ou six et chaque année, lorsque arrivait l'hiver, je jetais un coup d'oeil sur les randonnées réalisées pour voir simplement combien de cols avaient été gravis, tout en convoitant les plus fameux tels Galibier ou Izoard. J'étais donc un peu un précurseur des 100 cols, mais je n'étais pas le seul, car je suppose que de nombreux cyclos avaient le même comportement. La création d'un club des 100 cols ou autre association voisine était donc inéluctable, il suffisait simplement qu'un individu ou un groupe lance l'idée et surtout la mette sur pieds. Le "club des 100 cols" était donc une fatalité comme Pâques après Carême. De part sa formule simple et originale, cette très estimable confrérie exprime la vitalité de notre fédération.

Emile SIMONET

TAVAUX (39)


* N D L R : 1970 Membres

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