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SECOND SOUFFLE... ET... ROUE CASSEE

Revue N° 07 Page 52

C'est le genre de locution faite pour attirer des lecteurs... qui risquent de rester sur leur faim ! D'abord, il n'y a guère de rapports entre les deux parties du titre. Ensuite, je n'ai. pas d'aventure passionnante à raconter. Seulement contribuer, pour une modeste part, au travers de quelques notes, à la vie du club.

La vie du Club, c'est bien d'elle qu'il s'agit dans cette phrase extraite de l'éditorial de Jean Perdoux dans le n° 6 de la revue "je fais appel aux anciens pour qu'ils m'aident à trouver notre second souffle". S'il s'agit là d'une allusion à des difficultés résultant d'un succès qui, en s'affirmant, alourdit les tâches, la décision sage mais bien tardive d'une cotisation annuelle raisonnable devrait permettre un appréciable allègement de secrétariat. Si le "second souffle" devait consister à innover, voire même à chambarder un système qui plaît, je n'en verrais guère la justification. En sport, on dit volontiers qu'on ne change pas une équipe qui gagne. Aux Cents Cols, pourquoi remettre en cause une formule qui plaît : "une idée géniale" dit Roger Taverne; "un merveilleux prétexte de nos plaisirs montagnards" (Philippe Giraudin); "grand merci pour cette idée du club" (R.Belloni, D. Provot)...

Alors ? Nous trouvons ici toutes les caractéristiques de la bien connue auberge espagnole : laissons donc chacun y apporter ce qu'il y recherche. On peut même dire que chaque membre trouvera en février (dans la revue...ce qu'il aura apporté en décembre !!!!

Et quel éclectisme au sein de la confrérie ! Le "Cent Cols macadamiste" pour lequel Jean Perdoux a eu la bonne idée d'établir une liste de cols adéquate déjà impressionnante qui, est, à elle seule, un inépuisable programme. "Cent Cols multiéristes" qui corsent leur affaire par des passages moins connus, au bout de chemins forestiers moins roulants mais infiniment plus tranquilles. "Multiéristes masos" que décrit M. Perrodin "fouinant dans leurs cartes des soirées entières, la loupe à la main. Ils réapparaissent sans cesse sur des chemins défoncés hérissés de cailloux, crevés d'ornières, coupés de bourbiers"... Enfin, au sommet - comme il se doit ! - le "cyclo-alpiniste", espèce plus clairsemée, que la montagne voit passer de temps à autre, le vélo rivé sur l'épaule, du côté du Col de la Temple ou de la Fenêtre de Saleinaz. N'est-ce pas sympa que tous ceux-là se trouvent mêlés au sein d'un Club qui, sans toucher le moins du monde à la liberté de chacun, apporte à tous l'émulation ?

Une émulation qui, d'ailleurs, n'a pas que son bon coté et qui, au travers d'un règlement un peu trop permissif, amène parfois un déviationnisme que j'appelle "la combinazione". Habitant dans les Vosges, au pied de la célèbre route des Crêtes, je suis particulièrement bien placé pour vous en donner un bel exemple. Si, partant de Cernay (cartes Michelin 62/87), vous passez successivement les cols suivants : Silberloch, Amic, Grand-Ballon, Haag, Chien, Arkstein, Herrenberg, Hahnenbrunnen, Schlucht, Calvaire Weiss, Louchpach, Bonhomme, Pré de Raves et Bagenelles, vous aurez effectivement escaladé le premier d'entre eux ainsi que celui, du Grand-Ballon (doit être considéré comme un col au même titre que celui du Ballon d'Alsace), un point c'est tout ! Tout le reste de votre acheminement ne comporte aucun col, au vrai, sens cyclo du terme et je dirai même carrément au sens honnête du mot. A chacun d'adopter son comportement à sa conception propre du règlement mais je vous garantis que si votre éthique vous conduit à collectionner les cols ci-dessus en les parcourant dans le sens géographique naturel (routes nationales, chemins forestiers ou simples sentiers, selon les cas), vous ne le regretterez pas et vous en garderez un tout autre souvenir. Le cas que je cite existe plus ou moins dans toutes les moyennes montagnes et même parfois dans les grandes pour quelques cas isolés. A chacun de faire sa lessive !!!

En parlant de lessive, tout en changeant un peu de sujet, c'est aussi le mot qui convenait à mon état un certain soir de juillet dernier dans les Grisons. Au lever du jour, j'étais parti de mon petit coin de camping sauvage à Jenaz (carte 24, pli 5) avec un objectif "cent cols" : passer en muletier le Flesspass et rentrer tranquille par la Flüela. A Klosters, la petite route qui s'engage à gauche dans la vallée de la Vereina devient très vite un chemin acrobatique.

Le 26 x 26 y est parfois insuffisant pour mes jambes "sur le retour"... d'ailleurs la marche à pied ça réchauffe ! L'impétueux torrent qui roule dans un bruit d'enfer ou pied du chemin est plutôt impressionnant. Il est 8 h 30 quand je débouche sur un replat qui m'apporte à la fois le soleil, les montagnes enneigées de la Silvretta et, à moins de deux kilomètres, le refuge "Vereinahaus" perché sur un piton qui domine le torrent. Le bout de chemin qui escalade le piton est plus raide qu'il n'y paraît : il me faut repasser en catastrophe sur le 26 dents... et crac ! La chaîne passe derrière la grande couronne dans un bruit sinistre qui me cloue sur place. Me voilà en trois secondes ahuri et anéanti : la joue du moyeu a "pété" comme du verre, en trois morceaux et la jante fait la gueule, c'est le moins qu'on puisse dire ! Un beau programme, par un temps superbe, stupidement fichu par terre...

Je ne peux, en cet instant, m'empêcher de penser à quelques lignes, lues quelque part sous la plume de Roger Lebreton : "il creva, brisa des chaînes, péta des rayons. Sa fourche se coinça dans celle du vélo, sa queue fut laminée par les engrenages pleins de cambouis"... Non, ne vous inquiétez pas trop pour mon anatomie Mesdames, c'est du Diable, dont parle notre collègue !!!

Le gardien, qui me sert sur la terrasse un "crème" bien tassé, bavarde un moment: "le Flesspass c'est très long et, cette année-ci, trop enneigé. Le Jöriflesspass, là, juste en face de nous, est plus court et mieux orienté. De toute façon, avec votre bécane en rideau, il vous faut redescendre avec le minibus qui monte des touristes et va arriver ici d'un moment à l'autre". Ces deux phrases qui devraient m'achever le moral font, au contraire, naître mon plan de vengeance... La descente en minibus dans ce chemin de chars n'est pas à conseiller aux cœurs sensibles. Klosters, le train des Grisons, je suis à Davos à 11 heures à la recherche du vélociste qu'on m'a recommandé. Quand j'en ai marre d'être envoyé, mon "Herse", sur le dos, de la rue du haut à celle du bas et inversement, je fini par élucider le mystère de ces pérégrinations : deux mécanos, 'un s'appelle Meng, l'autre Metz. Alors, avec ma façon de parier l'allemand et leur façon de le comprendre, ça aurait pu durer longtemps. Un brave artisan de bonne école (Metz) ajuste en une demi-heure une roue Weinmann toute neuve pour 80 Fr. Tous fonds de poches sortis, je réunis tout juste 76 Fr. à partir de quoi me voilà clochard pour le reste de la journée. Clochard, certes, mais clochard roulant !

Je n'ai plus qu'à prendre mon circuit... à l'envers !

Le coi de la Fluela est particulièrement roulant lui aussi. Ca roule même un peu trop à mon goût : que de bagnoles ! Quelques lacets plus coriaces : 2383m ... il est 13 heures. Soleil caché, température plutôt fraîche. Une descente jusqu'à 1836m d'altitude pour prendre à gauche un raide sentier qui me mène... à une jolie vachère qui, en maillot de bain, s'affaire parmi ses seaux galvanisés. Malgré mon "intégrité physique" (voir plus haut) si je suis galvanisé, moi aussi, c'est pour un objectif bien précis et, jusqu'à 2300m environ, l'allure sera soutenue et régulière sous le soleil revenu. Au-delà la neige, exceptionnellement accrochée au long de cet été 1978 me cerne de partout. Malgré les pédales, les pieds sont vite à la sauce. Mais qu'importe ! A quatre heures quelle récompense : au pied du signal du Jöriflesspass 2561 m ! Je l'ai ma vengeance ! Portage constant sur l'autre versant, en pataugeant d'abord puis par un sentier de plus en plus libéré. Sur la Silvretta, l'orage menace et quelques gouttes commencent à tomber lorsque à près de six heures du soir, passant au pied du piton de la Vereinahaus, je boucle la boucle. Au-delà, c'est la route acrobatique, tous freins serrés, puis la descente royale de Klosters à Jenaz... lessivé, çà oui mais heureux aussi, croyez - moi. !

Cyclos mes frères, vous qui avez comme moi, un jour, vaincu le Diable, avec quelle joie avez-vous dû dire, comme Jean Langefoy : " Au sommet du grand col les monts étaient sublimes". Et aujourd'hui, au seuil de l'hiver, disons ensemble, avec Gérard Prunières notre prière : "Et je rêve maintenant à tous ces cols prestigieux que je n'ai pu encore gravir...".

André VOIRIN

Gérardmer (88)


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