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BALADE DANS LE HOGGAR

Revue N° 07 Page 14

Tout a commencé au mois de novembre, l'an dernier, lors d'une méharée dans le Hoggar : en voyant la piste automobile, je pensais ": mais un vélo peut, pet-être, rouler sur cette piste, au milieu de ce splendide paysage lunaire". Rentré de vacances, l'idée allait se développer : achat de cartes, adaptation de la bicyclette à une randonnée saharienne sur pistes, prise de renseignements auprès de personnes connaissant le Hoggar.

Pourquoi cette randonnée insolite me tenait-elle tant à cœur ? J'aime la montagne à pied, à ski, à bicyclette. J'aime le vélo particulièrement en montagne. En Algérie j'ai découvert et aimé le désert. Alors pourquoi ne pas réunir désert, montagne, bicyclette lors d'un raid cycliste dans le Hoggar ? L'idée est séduisante mais est-ce possible ? Peut-on rouler sur des pistes en tôle ondulée et sablonneuse ? Et l'eau ? Autant de questions auxquelles il fallait trouver réponse, donc essayer et oser.

Ainsi, un an après, je me trouve à vélo, lourdement chargé, sur la route transsaharienne, à quelques kilomètres de Tamanrasset. Je brûle d'impatience car le grand test est pour aujourd'hui. Je franchis un barrage policier et pénètre dans la ville sous le regard étonné des habitants. Je cherche une épicerie, achète le complément de nourriture, remplis mes jerricans et déjeune dans une gargote.

Il est 14 heures. Il est 14 heures lorsque je demande à un touareg la piste de l'Assekrem : à la sortie de la ville, une multitude de pistes s'éloignent vers les cimes de l'Atakor. J'ai le trac. Déjà ce matin, j'ai quitté le bitume pour essayer de rouler sur le terrain vierge. Bof ! Je suis maintenant sur la bonne piste. Que de sable ! Que de tôle ondulée ! Je dois rouler au pas ou pousser le vélo. Les porte-bagages souffrent énormément sous le poids des sacoches qui doivent suivre les ondulations de la tôle. Triste début ! Je me fatigue. Mais le pic volcanique de l'Iharen se rapproche. Les premières "Land-Rover" me dépassent en soulevant un nuage de poussière. Une piste prend à droite, vers la source Chapuis (chez Jojo). Pour éviter la tôle qui me surprend très désagréablement, je fais du "hors piste". Le terrain est plat, la sable assez grossier supporte le poids de l'ensemble. Je peux enfin rouler vite : j'enroule le plateau de 40. C'est l'aisance, l'euphorie, je roule entre des touffes de plantes, j'évite les pierres. A la source, je change l'eau de Tam contre de l'eau pétillante. Riche de cette cargaison, je regagne la piste principale. Première crevaison ! Il se fait tard, la chambre à air changée, je gonfle. Mais je recrève. Dans ma précipitation, je viens de me faire avoir comme un débutant : une épine de 2 cm est fichée dans le pneu. Il fait nuit lorsque j'arrive à un endroit de bivouac, les gueltas d'Imlaoulaouène.

Désagréable surprise : je ne suis pas seul.

Un camion de touristes anglais et bien d'autres vont organiser une belle foire. Zut ! Pas ici. Enervé, je fais le bilan de la demi-journée et je suppute mes chances d'arriver à l'Asssekrem.

Dès les premières lueurs du jour, je sors de mon duvet. Surprise, il ne fait pas froid du tout. Le départ est vite donné. Je veux savoir si je peux faire plus de kilomètres que des piétons. J'attaque de fortes rampes. C'est dur mais le triple plateau permet de me hisser en haut des cinq bassins superposés de cette guelta. La piste est moins sablonneuse mais la tôle est toujours présente. Nouvelles épines, nouvelles crevaisons. Maintenant le paysage m'est inconnu. De nouveaux pics volcaniques, très jolis et très impressionnants m'encerclent. Il fait très chaud !

Je suis enfin seul. Je dois mettre mon chèche et mes lunettes. Je siphonne de nouveau mes jerrycans pour remplir mes bidons. Les hectomètres défilent lentement à mon compteur. Je prends confiance en moi. Bientôt approche la montée sur le plateau d'Akarakar. Sur cette surface plane, longue de 20 kilomètres où ne poussent apparemment que des cailloux noirs, se détache la silhouette large et rectangulaire de l'Akarakar. Pas question de hors-piste sur ce champ de cailloux. On repère aisément les lits sinueux, très verdoyants, des oueds. Il y a plu un peu le mois dernier et cela a permis à une végétation latente de verdir et se développer. Ce vert ici, sur ce plateau du Sahara, est quelque chose d'extraordinaire. Ensuite suivent des vallonnements. Le vent se lève. Le ciel est voilé. Il fait frais, je dois me couvrir. Trois véhicules tout-terrain me croisent et me doublent. Quelques signes sont échangés. Le paysage change, les sommets sont plus nombreux et plus hauts. C'est le cœur de l'Atakor (dont l'Oul, sommet très arrondi, fait partie. En tamahaq : Oul = cœur). Une forte descente (14 %) une bifurcation, deux kilomètres, à droite les gueltas d'Afilal. Quelques véhicules, quelques touristes. De la verdure, des arbres, de l'eau.

J'observe mes premiers poissons des gueltas : les barbeaux du désert (barbus dersiti). En prenant de l'eau, en amont des "marmites de géants", j'ai la surprise de voir surgir au-dessus de moi une silhouette noire. Après quelques hésitations, je l'identifie à une jeune et ravissante Targuia. Je lui serre la main qu'elle me tend. Elle me parle en tamahaq mais je ne comprends pas. Au bout d'un moment, nous nous quittons. De retour à ma bicyclette, ne voulant pas bivouaquer près de ces véhicules puants et bruyants, je décide de m'avancer vers l'Assekrem, distant de 21 kilomètres. Sur la piste, je revois la jeune femme avec un âne transportant du bois. Je lui fais signe. Sans aucune hésitation, elle me rejoint pieds nus à travers le champ de cailloux. Elle me demande à manger. Je lui donne des biscuits. Elle paraît contente, elle sourit et bavarde. La vue de ma bicyclette l'inquiète un peu. Je suppose qu'elle ne connaît pas cet engin. Elle me quitte pour récupérer son animal qui a poursuivi son chemin avec son chargement. Cette brève et insolite rencontre est malheureusement terminée. Plus tard, je découvrirai que le campement le plus proche est à plus de dix kilomètres. A partir de ce moment, le vélo devient un accessoire pour découvrir le Hoggar, ses paysages, ses habitants, sa flore et sa faune. Un autre campement : un homme, avec un petit garçon, me fait signe. Nous bavardons en français; il me demande à manger pour son bébé à moitié nu. Il est touareg, avec ses traits fins qui se dessinent sous son chèche lui voilant le visage. En cette fin d'après-midi, je rencontrerai beaucoup de gens.

Le relief devient plus tourmenté, la piste présente de fortes rampes. Je dois pousser mon chargement. La nuit tombe, je ne veux plus aller coucher au refuge de l'Assekrem. Je bivouaquerai dans ce splendide décor sauvage, purement minéral, à 2400 mètres d'altitude, au milieu des cimes célèbres tels que le Saouïnan, les Teroutag, le Tigamaïn.

Le lendemain matin, quelques gouttes de pluie me surprennent dans les fortes pentes (18 %) du col de l'Assekrem. Arrivé à 2600 m, le vent souffle très fort au col. Je me précipite dans le refuge et prends un petit déjeuner copieux (avec du beurre SVP !). Après le déjeuner, le vélo considérablement allégé, je ne résiste pas à la joie de parcourir les vingt kilomètres de pistes qui mènent à l'Ilamane, "l'une des plus belles sommités de la terre" sera pour moi synonyme de liberté, de paix, de solitude, d'éternité...

Un paysage de montagne se déploie en éventail devant moi, de crête en crête jusqu'à l'infini. Des cimes irrationnelles se dressent vers le ciel. La rotation quotidienne du soleil déroule un cortège spatial de couleurs changeantes et irréelles : c'est l'Atakor.

Aujourd'hui, je me suis levé tôt pour assister au lever du soleil sur le plateau de l'Assekrem, près de l'ermitage du Père de Foucault. Hier, Jean-Marie, frère de Foucault, m'a indiqué l'emplacement de peintures et gravures de Tikemtine et nous avons beaucoup parlé de toponymie.

J'enfourche mon vélo pour me rapprocher du site des peintures. A l'endroit où il est impossible de poursuivre à bicyclette, je rencontre un campement de touaregs où je suis invité à boire les trois verres rituels de thé. En poursuivant mon chemin à pied, un jerrycan à la main, je trouve ces peintures dans un paysage tassilien. Quelques autruches, girafes et bovidés sont gravés sur des pierres voisines.

Je veux poursuivre mon périple. Je choisis de ne pas rentrer à Tam et d'aller vers les villages qui bordent au nord le haut massif montagneux de l'Atakor. Une piste difficile m'a été promise. Après avoir quitté la "piste de l'Assekrem" en direction d'Hirafok, des portions de pistes plates succédant à de fortes descentes me permettent des pointes de vitesse de 20 kilomètres/heure mais localement les traversées d'oueds sont délicates, le cycliste se joue de ces difficultés qui peuvent arrêter certaines automobiles. Je visite le cratère d'Imadouzene, des colonnes juxtaposées, hautes de quelques dizaines de mètres de roches arrondies, forment un enclos circulaire. Je franchis le col Téhé n'Téghatimt pour ensuite descendre en lacets serrés sur une région plate. Une surprise : un jeune garçon, seul, garde un troupeau de chèvres au milieu de cette immensité désertique. Un bout de piste, à gauche, mène à la guelta d'Issakarassène. Enfin une guelta pour moi tout seul ! Je vais pouvoir y manger, m'y laver. Le manège des barbeaux me distrait. Je dévale l'oued Issakarassène. Ah ! Du gazon ! Des fleurs ! Plus je descends, plus la vie se manifeste, beaucoup d'eau courante, d'arbres, de hautes herbes aquatiques, des papillons, des parfums, des barbeaux énormes (20 cm). L'oued, véritable artère de vie, s'enfonce dans un canyon taillé dans des orgues basaltiques. Au-dessus, le plateau est un désert de pierres. Ce Sahara cache dans un écrin cet oasis. Quelle violence dans le contraste et le paradoxe !

D'où vient cette eau ? Où va-t-elle ?

Pourquoi suis-je seul à jouir de ce spectacle ? Personne ne peut savoir où je me trouve en ce moment. Personne ne peut partager, ni comprendre mes sentiments. Quand je pense au temps qu'il m'a fallu pour arriver jusqu'ici, cela me rappelle la solitude merveilleuse où je me trouve. J'ai souhaité cette solution mais elle est accablante.

La nuit tombe, la lune se lève, je ne verrai pas la fin de l'oued car je dois revenir au bivouac. Je ne pensais pas passer l'après-midi et la nuit ici mais l'endroit est si agréable... En pensant à cette journée de rêve, je tombe dans les bras de Morphée, prenant les traits d'une jeune targuia...

Pendant la nuit, je suis réveillé par des bruits de pas humains. Figé dans mon duvet, je crains le pire... Les pas approchent... Un bruit de broutement résonne à mon oreille. Ouf ! C'est un ami. Je partagerai donc l'herbe avec deux ânes sauvages.

Après le col Téhé n'Sieri, je découvre la plaine, jaune de sable, séparant l'Atakor de la Tefedest. Je suis content d'arriver dans le petit village d'Hirafok. Dès mon arrivée, des enfants m'entourent et me questionnent avec quelques mots de français appris à l'école. Les gens m'invitent à manger et à rester chez eux quelques jours. Mais je veux continuer vers Ideles. Il fait chaud. Le plein d'eau fait, je pars vers l'est où l'horizon est déchiré par les montagnes. J'irai voir quelques gravures au bord de la piste. En traversant un nouveau champ de pierres, le soleil dans le dos, les cailloux éclairés devant moi sont bruns jaunes. Derrière mi, ils deviennent noirs : ce jeu de lumière est spectaculaire mais intrigant.

Je suis aux prises, sur ce trajet de plaine, avec une nouvelle découverte à mettre dans l'encyclopédie de la difficulté pour cyclotouriste. Ce summum est la tôle ondulée sur sable. La tôle ne permet pas au cycliste de rouler vite. Le matériel souffre énormément des ondulations forcées de la piste. Alors, la voie la moins pénible est celle où l'amplitude des vagues est moindre (souvent sur les cotés ou au milieu). Si c'est possible, on sort de la piste. Mais lorsque le sable est mou, sur la piste comme en dehors, au bout de quelques décimètres, les pneus s'enfoncent irrémédiablement dans le sol jusqu'à immobilisation du vélo, après quelques embardées. Alors, il faut descendre de l'engin, le pousser, le soulever. Si, un peu prétentieux, on remonte sur le vélo, ce n'est que pour quelques décimètres. Alors, il faut pousser, faire sa tranchée dans le sable. Au bout de quelques heures, on peut espérer avoir parcouru quelques kilomètres et être épuisé. Avec un peu d'expérience, on peut éviter le pire. Pour cela, alléger la bicyclette de l'avant, mettre des pneus énormes que l'on dégonfle. Ensuite, se faire léger, rouler en terrain absolument vierge en évitant les coups de guidon, mettre un petit développement et ne pas s'arrêter. Ca roule assez bien et la sensation de conduite est très particulière. Certaines fois, la piste fait plusieurs kilomètres de large et, pour éviter les traces des automobiles, il faut les couper et "tirer des bords" comme en voile.

En général, sur piste, tout en roulant, il faut repérer la meilleure voie à suivre. Pour cela, les yeux semblent doués d'un prolongement tactile, analysant le relief de la piste. Ils fouillent le terrain, mesurent la grosseur des cailloux, l'amplitude de la tôle, évaluent la qualité du sable, la longueur du passage difficile, le pourcentage de la pente, comme si les pneus étaient déjà en action.

Je passerai presque une journée à Ideles, en mangeant, en buvant du thé chez les habitants, à visiter l'oasis véritable jardin d'Eden. Le Taderaz, montagne sortant comme un iceberg de cette plaine, veille sur le village. Pour moi, Ideles marque la fin de la découverte. Il faut renter par le chemin le plus court : Hirafok, In Amguel et le goudron de la "Trans".

La nui à Hirafok me laisse un souvenir extraordinaire : une fête organisée au village. Sur la place du village, les femmes, en cercle, tapent, en rythme des mains en chantant. Leurs visages au clair de lune, leurs voix et leurs cris gutturaux resteront à jamais gravés dans ma mémoire. Au centre, les hommes voilés dansent en frappant le sol poussiéreux de leurs pieds nus et en tapant dans leurs mains. Une femme rentre en transe et se met à danser. La fête prendra fin lorsqu'elle sera tombée trois fois.

Le lendemain, en guise d'adieu, j'aurai droit à un spectacle rare et gracieux, deux frêles gazelles m'accompagneront pendant un quart d'heure à environ 50 mètres de moi, en s'amusant, en bondissant et en s'arrêtant comme pour m'attendre.

Au bout de 70 kilomètres de piste, j'atteindrai le bitume avec joie et regret. J'avais oublié que la route était si monotone.

Voilà mes vacance de novembre sont terminées : neuf jours de balade, 400 kilomètres de piste, sept cols. On peut faire de la randonnée à bicyclette dans le Hoggar sans souffrir. Les souvenirs ne sont pas altérés par de gros ennuis mécaniques. J'étais partie un peu pour faire du vélo mais je me suis très vite aperçu qu'il ne doit rester qu'un merveilleux accessoire de découverte, très souple, laissant à l'utilisateur sa liberté et facilitant les contacts avec la population locale. A quand la prochaine balade ?

Serge HILT

Boumergues (Algérie)

Hoggar : Massif cristallin, volcanique du Sahara central (Algérie), situé sur le tropique du Cancer. En son centre, se trouve la région la plus élevée : l'Atakor. Les touaregs en sont les habitants les plus célèbres.

Targuia : Femme targuie.

Chèche : Coiffure d'homme faite d'une longue bande d'étoffe enroulée autour de la tête. Chez les touarges, il leur voile le visage.

Guelta (nom arabe) : Mare, réservoir naturel d'eau, pouvant être taillé dans la roche, récoltant les eaux de ruissellement. Elles sont permanentes ou temporaires. Elle peuvent renfermer des poissons (barbeaux). En tamahaq, langue des touaregs, cette mare est appelée aguelman.

Téhé : Col en tamahaq.


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