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ECHEC AU PORT D'AULA...

Revue N° 07 Page 12

"Hé Ho ! ..." Par deux fois, sur une note haute et une plus basse, l'appel clamé par quatre voix masculines et une féminine s'envole dans l'air froid. Les pentes enneigées et l'atmosphère embrumée n'y font point écho.

"Et s'il ne nous entend pas ? ..." énonce Micheline, déjà inquiète à l'idée que l'un d'entre nous, tout seul en avant, risque de persister dans la folle entreprise.

Car c'est une folle entreprise. Jusqu'au col de Pause, à 1500 mètres, tout s'est à peu près bien passé. Certes, le mauvais temps précoce de ce début octobre n'a pas attiré beaucoup de randonneurs commingeois à l'annuel rendez-vous du Port d'Aula. On a beau être montagnard, aimer sacrifier à certains rîtes annuels, ne redouter ni l'altitude, ni les chemins raboteux, ni les grands vents ronflant sur les hautes crêtes de la frontière espagnole, le Port d'Aula, c'est quelques chose ...

Imaginez la barrière pyrénéenne ariégeoise, dans le haut pays de Couserans, au sud de St-Girons. Remontez le Salat jusqu'à Kerkabanac, laissez à votre gauche la route de Massat, chère aux randonneurs de Cerbère-Hendaye, suivez toujours le Salat, marquez une halte sous le clocher ajouré de Seix, suivez encore la salat par la petite route sinueuse et encaissée qui s'en va en pente douce vers le bout du monde de Salau.

Mais à l'entrée du hameau de Couflens, un pont à votre droite enjambe le torrent. A l'entrée du pont, un panneau vous indique : "Port d'Aula - 18 km". Vous y êtes ...Je veux dire, vous êtes à pied d'œuvre. Le pont sur le Salat est à 698 m. Le Port d'Aula s'ouvre sur l'Espagne à 2260 m. Au-delà de l'Aula, plus rien, si ce n'est l'herbe fine, drue et glissante des pâturages d'altitude, ce "chispet" piquant aux fesses et traître à la semelle qui fait, en été, plus de victimes parmi les promeneurs que les parois les plus cotées n'en provoquent chez les rochassiers. Et, sur le versant espagnol, très bas, invisible du col, dévale vers le lointain hameau d'Isil, puis vers Estérri de Anéu, la Noguera Pallaresa qui s'en va par les interminables "barrancos" et "gargantas" des sierras ibériques, jusqu'aux lointaines plaines de l'Ebre.

La route (ou le chemin) du Port d'Aula s'élève donc à partir de Couflens par une pente soutenue de 7 à 10 % environ. Goudronnée d'abord sur cinq kilomètres, elle revêt ensuite un aspect de plus en plus "naturel", le sol restant néanmoins parfaitement cyclable pour tout cyclotouriste normalement constitué. Aucune borne cependant, aucun panneau. Seuls, les lacets amplement tracés, un peu d'habitude, beaucoup de "pifomètre" et, à la rigueur, une lecture attentive de l'I.G.N. au 100/000ème n°71 (St-Gaudens - Andorre) vous situent dans l'espace.

Après huit kilomètres d'effort continu, on atteint un col intermédiaire au nom prometteur : c'est le col de Pause, à 1527 mètres, vous assure la Michelin86-pli 3. Ce que ne vous dit pas la Michelin, c'est que, du col de Pause, se découvre à bout portant la très impressionnante face Nord -Est du Mont Vallier, le géant ariégeois. Bien sûr, ce n'est pas le versant de la Brenta du Mont-Blanc et le col de Pause n'est pas celui de l'Innominata. Il n'empêche que le décor révélé à chaque coup de pédale, lorsque vous grignotez les derniers hectomètres menant à ce col, vous paie au centuple de vos efforts premiers et vous met en appétit pour la suite.

De l'appétit, il en faut. Le sol est plus rugueux, les cailloux plus nombreux et très instables, les ornières plus profondes. Par contre, malgré des lacets très nombreux et de plus en plus serrés ou peut-être grâce à eux, la pente moyenne est moins rude que dans la première partie de la montée. Et puis, quoi...! On ne vient pas au Port d'Aula pour y "faire un chrono". Des pneus de section raisonnable (ah, les 650 de Godefroy et de bien d'autres ! Quels triomphes ont-ils connus en ces lieux ! De vrais petits braquets, une sage cadence de marcheur adaptée au pédalage et çà passe. Cà passe même très bien jusqu'au bref replat qui longe le merveilleux petit lac d'Areau. A cet endroit, vous êtes à 1886 m. Les derniers arbustes rabougris sont loin derrière. Ici, c'est l'herbe rase et la caillasse, les derniers névés en début d'été, les premières blancheurs en début d'automne. Et les lacets s'empilent toujours, très pentus à nouveau; le sol se fait assez inconfortable pur justifier, çà et là, un peu de marche, encore que les habitués parviennent à rester en selle jusqu'au sommet. Il est vrai qu'aux approches du col, lorsque le chemin s'engage dans le sombre vallon terminal qui y mène, les grands vents du sud qui soufflent parfois en ces lieux prennent une telle force qu'ils peuvent fort bien vous désarçonner, comme plusieurs cyclos commingeois en ont fait l'expérience...

Enfin, après le dernier lacet à gauche, plus pentu, plus cahoteux, plus teigneux que ses innombrables prédécesseurs, vous parvenez à la crête sommitale. Une simple borne frontière, le hululement du vent, le claquement des anoraks enfilés à la hâte, l'éclair d'un garde-boue, quelques cris de choucas nichés dans les rochers alentour. C'est le Port d'Aula. Sans doute sera-t-il longtemps ainsi. Tracé et inauguré, sur le versant français, en 1962, les choses en sont restées, depuis, au même point, car rien n'est venu d'Espagne !

Chaque hiver, un peu plus la chaussée se ravine, les talus se délitent. Peut-être est-ce mieux ainsi. Au fond, pour les cyclos, les vrais cyclos, mieux vaut un mauvais chemin négocié lentement, dans le calme et la quasi-solitude, qu'une vraie route "internationale" et ses facilités. Ainsi l'espère Godefroy qui vint en ces lieux, pour la première fois alors que le chemin n'arrivait pas encore tout à fait au col. C'était par une de ces royales journées d'octobre où l'été indien fait flamboyer les Pyrénées. Pour Godefroy, sous ce ciel serein, ce fut un coup de foudre ! Et depuis, chaque année, au début d'octobre, une escouade commingeoise monte au Port d'Aula.

Chaque année ? Non, pas cette fois-ci. Dans la neige précoce qui recouvre les lacets dominant le col de Pause, la petite troupe transie s'est enlisée.

"Hé ho !"... Cette fois, l'homme de tête a répondu. Lui aussi a renoncé. On distingue, à travers les flocons et la brume, son anorak rouge. Il redescend vers ses camarades. Accroupie devant son vélo capucine, Micheline, avec une pierre pointue, racle son pneu avant qui a bourré la neige sous le garde-boue. Godefroy, la goutte au nez, renifle avec philosophie. La troupe est au complet. Casquettes et capuches rabattues sur les fronts plissés, doigts un peu gourds sur les freins, zigzagant au ralenti de lacet en lacet, les commingeois regagnent la vallée.

Le Port d'Aula, ce sera pour l'année prochaine.

Pierre ROQUES

Gourdan-Polignan (31)


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