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Le col des Sauts

Revue N° 27 Page 04a

Au lendemain de la concentration au col des Glières, avec Catherine nous décidons d'aller escalader le col des Contrebandiers. Nous montons d'abord au col de Pré-Vernet, là se présente le sentier qui monte au col des Sauts.Catherine préfère m'attendre et je pars pour le faire en aller-retour.
La pente est rude et le sentier étroit. Aussi, je ne tarde pas à faire du portage, je l'avais d'ailleurs prévu en laissant ma sacoche de guidon près du vélo de Catherine.

Lorsque je débouche au col des Sauts, je ne suis pas seul : un homme se tient là avec un parapente, se préparant visiblement à sauter. Nous échangeons quelques mots et je lui demande notamment si le col doit son nom aux parapentistes. Il me répond négativement, selon lui l'appellation est beaucoup plus ancienne et provient du fait que beaucoup de gens sont venus se suicider en se jetant dans le vide à cet endroit.

Je vais m'asseoir dans l'herbe, suffisamment en retrait pour ne pas gêner sa trajectoire. Je me désaltère et croque quelques biscuits secs. Pendant ce temps-là, l'homme finit de vérifier son harnachement puis il se dresse, se concentre prenant son souffle par grandes inspirations. Il a les yeux fermés et l'on devine que ses oreilles guettent le moindre souffle du vent.

Je prépare discrètement mon appareil pour photographier le saut. Mais au bout d'un moment l'homme se désunit et lâche quelques mots contre le vent insuffisant à son gré. Ne sachant pas trop si ma présence nuit à sa concentration, j'en profite pour prendre mon vélo et redescendre au col du Pré Vernet. Nous poursuivons vers le col des Contrebandiers par une route qui aurait pu être plus reposante si nous n'avions eu l'idée malencontreuse d'emprunter une coursive.
Probablement impressionné par le site, je fis, la nuit suivante, un rêve étrange : j'arrive à nouveau, le vélo sur l'épaule, au col des Sauts. L'homme au parapente n'est plus là. En revanche, deux hommes en costumes blancs sont assis. A ma vue, ils se lèvent, prennent leur respiration et hop sautent dans le vide sans plus de formalités. Leurs vestes blanches se gonflent, ils planent un court instant et disparaissent de mon champ de vision.

Stupéfait, je redescends à grandes enjambées au col du Pré Vernet, enfourche le vélo et dévale vers Annecy-le-Vieux et les bords du lac. Là, surprise, je retrouve les deux hommes en blanc, sirotant une menthe à l'eau. Je les aborde pour me faire confirmer que c'est bien eux que j'avais vu là haut. En effet, c'étaient eux, ils me disent que c'est très facile et qu'il suffit d'inspirer profondément et de sauter en toute décontraction. Puis ils s'en vont nonchalamment au bord du lac.

Je remonte au col des Sauts, pose mon vélo et me dirige vers le bord. Moi qui suis d'habitude sujet au vertige, au point d'hésiter à me lancer dans des cols côtés en S5, je n'hésite pas une seconde, je prends mon souffle et me jette dans les airs.

La pesanteur hélas est toujours ce qu'elle était ! Ma pauvre carcasse se fracasse contre la paroi rocheuse. Sombrant dans un coma profond, mon cerveau ne conserve plus qu'une petite étincelle de vie, qui me permet d'entrevoir deux angelots hilares, vêtus de blanc et d'entendre leurs paroles : "on à beau être des anges, on est quand même de beaux salauds !"

Claude BENISTRAND N°284

de CLERMONT-FERRAND (Puy-de-Dôme)


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