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Nice Genève

Revue N° 23 Page 12

Nice - Genève est une randonnée plus ou moins permanente (1) qui a tendance à effrayer par l'accumulation des cols qu'elle propose. En fait, c'est une randonnée fabuleuse qui fait passer de la douceur méditerranéenne à celle du Leman en faisant alterner mondes minéraux et végétaux, jour et nuit, endroits surpeuplés et déserts.

J'ai hésité jusqu'en 1991 et depuis je suis devenu"accro" et attaque ainsi la 2ème de l'année à la mi-octobre 1994. La règle essentielle est celle de l'autonomie (pas de voiture suiveuse).

Après un faux départ la veille, dû au bris d'une manivelle après 50 kilomètres, un retour en traînant la jambe sur Nice et un dépannage d'occasion chez un vélociste astucieux, je quitte le domicile des Clausse à 6h30. Devant l'aéroport de Nice, il est 7 heures et le soleil pointe, juste au niveau de la mer. Dans la vallée du Var, dont la nouvelle route sera bientôt emportée par l'inondation, puis la vallée de la Tinée, le vent de face souffle fort, et ce jusqu'a Saint-Etienne de Tinée où les gens déambulent tranquillement entre les commerces et les bistrots.

Les alentours de Bousiéyas sont magnifiques: le ciel est bleu azur, les mélèzes sont dorés, et bientôt un grand troupeau de moutons barre la route tandis que quelques chèvres intrépides aventurent leurs museaux dans mes sacoches.

Après le Camp des Fourches, je prends le temps de lire le texte dédié à la mémoire du général Jacquemot, foudroyé en ces lieux en 1936 par l'orage.

Du sommet de la Bonette, je bascule, chaudement vêtu, sur une route assez défoncée que le Mont Viso égaie un moment à l'arrière plan.

Je ne croise aucun véhicule hormis trois cyclistes parmi lesquels Jacques Malet (2), ancien compagnon de balades Pyrénéennes! Comme il habite désormais Barcelonnette, la Bonette c'est un peu sa Luère à lui et d'ailleurs il est équipé comme pour descendre la Luère, avec un simple K-Way.

La montée sur le col de Vars est comme à l'habitude, vent de face et raidillons. Le soleil s'est caché derrière la montagne et il commence à faire bien frisquet. Dans la descente, malgré les gants, j'ai froid aux mains et je m'inquiète pour les descentes de nuit à venir.

Je m'arrête 3/4 d'heure à Guillestre, achat de gants de soie, de moufles, et arrêt pique-nique sur la place centrale obligent!

Je quitte Guillestre à 18h35. Il fait nuit, mais la lune brille et éclaire la route, sauf au plus profond de la vallée du Guil où j'utilise la dynamo bientôt relayée par la lampe frontale quand la pente s'accentue.

Après Brunissard, Nice-Genève prend une saveur particulière: la lune perce à travers les pins cembros et jusqu'au col de l'Izoard, pas une voiture ne trouble la sérénité de cette nuit étoilée. La descente sur Briançon se fait sans incident: les moufles sont chaudes et l'éclairage fonctionne bien.

Au Monétier où il est minuit, je mange un peu puis, gagné par le sommeil, m'allonge sur le banc d'un abri-bus, à l'abri du vent et de la lumière du réverbère, pour une sieste d'une demi-heure.

La lune, désormais orientée à l'ouest m'éblouit un peu dans la montée du col du Lautaret! Je monte doucement et marche de temps à autre pour détendre mes jambes. La lune se couche définitivement et j'arrive au col du Galibier à 3h20.

C'est la nuit noire, des chiens aboient en contrebas et il fait moins trois degrés. Chaudement vêtu, j'enfourche le vélo et mets la dynamo sans voir ce gros galet au milieu de la route. La chambre arrière explose instantanément.

Comme il n'est pas question de réparer sur place, je trottine jusqu'à la baraque du tunnel. Les chiens, tout en aboyant, montrent leurs yeux étonnés derrière la verrière. Je pose le vélo et le matériel sur une caisse en bois et change la chambre à air dans le halo de la frontale. Il est 4h quand je repars.
Après cet incident, je descends prudemment pour ne pas avoir à recommencer une réparation dans le froid et la nuit. J'atteins ainsi Valloire sans difficulté et monte tranquillement le col du Télégraphe. Dans la descente sur Saint Michel, les choses se compliquent car le sommeil m'envahit. Je roule doucement et me surprends à éviter la chute de justesse. Le deuxième écart me fait suffisamment peur pour que je reste éveillé jusqu'à la vallée.

A Saint Michel de Maurienne, j'avise un immeuble dépourvu de digicode. J'y pénètre avec le vélo, pousse une deuxième porte et m'étends sur des sacs plastiques au pied de la cage d'escalier. Fait-il seulement 12°, en tout cas j'ai l'impression d'une douce chaleur. Je plonge dans le sommeil pour me réveiller au lever du jour.

Après quelques kilomètres sur la nationale, je prends le petit déjeuner dans une station-service entre St-Jean et la Chambre. Cette station, où l'on peut prendre une douche gratuite, est ouverte en permanence, mais ça risque de ne pas durer car l'autoroute de la Maurienne la contournera dès 1996.

Je quitte La Chambre à 7h45, puis m'applique à grimper avec régularité, car il faut être à la gare de Genève avant 18 heures pour enregistrer le vélo. Depuis les derniers lacets, très ensoleillés, le panorama embrasse à la fois les grandes Rousses, les aiguilles d'Arves, le Râteau et les Ecrins !

De l'autre coté du col de la Madeleine, face à moi, ce n'est pas mal non plus: il y a le Mont Blanc, le grand Combin et le Cervin, le tout avec une luminosité qui parait incroyablement intense.

Dans la descente, le Mont-Blanc joue à cache-cache avec l'avancée de la montagne de la Lauzière avant de disparaître progressivement derrière les montagnes du Beaufortain. Peu après Celliers, la chambre arrière explose de nouveau, alors que quelques minutes auparavant, je frôlais encore les 60 km/heure.

En fait le pneu est troué sur le flanc, sans doute depuis le galet du Galibier, mais tant que la vitesse et l'échauffement des freins n'étaient pas trop grands, ça tenait. J'obture le trou avec un morceau de vieux pneu et remonte une autre chambre. Dans la vallée la voie express étant très chargée, je préfère prendre la petite route qui passe à Rognaix. De nombreux cyclistes l'empruntent en ce superbe dimanche automnal. Je traverse ensuite la Bathie, Tours en Savoie, et atteins Albertville avant midi avec le vent dans le nez.

Dans les gorges de l'Arly, où le vent est très froid, je remarque un peu de glace sur les parois. Après Flumet, je grimpe le col des Aravis. Son accès est envahi par les automobilistes avec des conducteurs les yeux parfois rivés sur le Mont-Blanc.

Le vent souffle de face jusqu'a Genève et particulièrement dans les gorges du Borne. Je m'arrête, tantôt pour enfiler un vêtement, tantôt pour en enlever un autre.

Après la douane, l'entrée dans Genève est pénible: le revêtement de la chaussée est abîmé, les voitures me serrent contre les rails de tramway et il y a vingt feux tricolores jusqu'au lac que j'atteins à 17h15. Moins de dix minutes plus tard, je suis à la gare, tout va bien!

Si une telle balade n'apporte pas forcément de col nouveau, elle procure grâce à sa logique d'enchaînement, un éclairage différent sur ces mêmes cols.


(1) Nice-Genève 1995 aura lieu sans doute autour du 14juillet (à cause de la pleine lune). Contacter Philippe Roche, Jean-Michel Clausse ou Marc Liaudon. (2) Né en 1959, il est membre des "Cent-Cols" n0 1959!

Marc LIAUDON N°289

Craponne (Rhône)


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