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ATTI ET LE CYCLOTOURISME

Revue N° 10 Page 64

Quand Atti sur son vélo "demi course" qui n'avait jamais connu que les grandes avenues lyonnaises et parkings de la Fac s'est trouvée confrontée avec les premières avancées des Monts du Lyonnais sur la route d'Yzeron (1), c'est tout un univers qui lui apparut brusquement : Atti connaissait bien sûr l'usage du dérailleur (pour démarrer aux feux rouges), mais «se mettre sur la dernière vitesse» devint une nouveauté extraordinaire quand cette dernière vitesse, par suite de petites «modifications de détail», fut passée d'un 46/22 à un 36/28 !

Au retour de cette mémorable ballade, mademoiselle Atti ne parlait plus que pignons et petits braquets et le programme de l'été se trouva vite arrêté : une semaine en Haute Loire et dans la Margeride et puis le grand voyage... Atti qui n'avait pas froid aux yeux parlait Vosges, Corse, Auvergne. Après tout, elle avait déjà deux cols à son actif (et à plus de 700 m s'il vous plaît !).

Pour la première expérience ce fut vite décidé : nous partirions à deux. Le prétexte était sentimental, mais je soupçonne Atti (chut, ne le lui dites surtout pas) de n'avoir voulu qu'un minimum de témoins pour sa première randonnée de plusieurs jours et dans des régions plutôt vallonnées. Mais les absents eurent tort: Au retour un beau bronzage, 6 cols et 450 kms («mais vous savez il y a tant de rudes montées qui n'ont pas la chance de s'appeler cols»). Bref, Atti se sentait d'attaque pour quelque chose de «mieux».

Finalement, on choisit l'Ardèche et les Cévennes, en rentrant par quelques routes auvergnates. Christophe se joignit à nous et pourrait ensuite témoigner devant le monde incrédule des exploits d'Atti.

Christophe est le compagnon de route idéal. Savant (il est ingénieur en aéronautique), souvent enthousiaste («mouais, c'est pas mal ici» ceci devant un vallon brumeux qui s'éclaire tout juste au soleil du petit matin, dans ces magnifiques Monts du Livradois si peu connus), Christophe se met en colère assez souvent paraît il mais alors personne ne s'en aperçoit. Bref, un philosophe que je ne me rappelle pas avoir vu fatigué (sauf une fois mais j'anticipe).

Promu capitaine de route et nanti d'une partie appréciable du chargement total («ses sacoches étaient les plus grandes») Christophe a donc conduit le trio glorieux de côte en bosse et de bosse en raidillon.

Et Atti apprit toutes les ficelles du cyclo randonneur itinérant. Elle apprit à se méfier de la petite côte gentille à «5 % de moyenne». Elle apprit à repérer les framboises et les myrtilles au bord du chemin, les trous de rivière où il fait bon patauger dans une eau si claire que l'on voit les truites de la route, tout en haut. Elle apprit le vent contraire et se trouva fort bien derrière l'athlétique (hum !) dos de notre capitaine de route. Elle sut très vite lire une carte I.G.N. et redouter ces routes qui traversent en perpendiculaire les courbes de niveau. Surtout elle apprit à éviter les grands itinéraires et aussi ces routes dites "touristiques" où les aoûtiens reconstituent avec acharnement les boulevards périphériques qu'ils empruntent à longueur d'année. C'est ainsi qu'elle découvrit que LA route cycliste pour aller du Vigan à l'Aigoual ne passe pas par Valleraugue, ni même par le Col du Minier, surtout un 8 août. Elle passe par le Col des Mourèzes et Mandagout.

De plus, cet itinéraire permit de conserver son aspect confidentiel au juron qu'Atti laissa échapper lorsque le vent manqua la faire tomber au sortir d'un virage, alors que la pente atteignait allègrement les 12 %. Ce juron n'aurait d'ailleurs probablement pas incommodé grand monde : dans les cas d'urgence, Atti ne pratique pas la langue de Molière et de P. Roques, le capitaine et le narrateur quant à eux ne connaissant que le Hochdeutsch...

Eh oui, Atti est concitoyenne de H. Schmidt et de H. von Karajan. Nous eûmes en de nombreuses autres circonstances l'occasion de nous en amuser. Elle qui parle français comme vous et moi est incapable de retenir les noms que réserve notre géographie. Comme elle a horreur de montrer son ignorance, elle fait preuve de beaucoup d'invention et avec toute l'assurance du monde parle d'un air détaché de Sainte Cerise (pour Saint Urcize) ou de Sémur (pour Sumène). Ce qui amuse beaucoup le germaniste éclairé que je suis qui n'a naturellement aucune peine à mémoriser une toponymie aussi évocatrice que : Pfalzgrafenweiler, Schiederschwalenberg ou ce cher Vierwaldstättersee !

Bref, Atti devient bientôt une randonneuse accomplie et sut en cas d'averse se laisser abriter par la Caisse d'Epargne de St Chamond ou de St Julien Molin Molette. Elle se permit même de donner des conseils mécaniques à Christophe dont le fier coursier fit des siennes le dernier jour.

Le merveilleux demi course portait admirablement le nom de «Sprinter» dont son grand magasin natal l'avait affublé et disposait de tous les perfectionnements de la technique moderne : dix vitesses avec un 40/26 (mais les mollets de notre capitaine de route ne sont pas ordinaires), porte bagages, porte bidon, le tout en bon et solide acier ! (Le «Sprinter», surmonté du frère de Christophe, a tout de même fait deux Lyon Mont Blanc sans encombre).
La chaîne du coursier «décida» de casser le matin du retour (un retour qui devait être triomphal), entraînant le dérailleur dans la catastrophe. On était le 15 août et il fallut en un bricolage «maison» la raccourcir de façon à ce qu'elle "reste" sur le pignon de 22 dents. Il restait en effet à passer le Col des Brosses, facile, mais tout de même !

Le bricolage de Christophe (supervisé par Atti) se révéla moins fiable que celui de son illustre homonyme. La chaîne capricieuse prit un malin plaisir à «essayer» tous les pignons, changeant. comme de juste aux passages délicats. Ce fut un spectacle très curieux que ce cyclo juché sur un monovitesse dont la chaîne aurait nettoyé la chaussée de sa poussière s'il n'avait plu aussi fort !

Le retour d'Atti et de ses deux compagnons n'eut donc pas exactement le retentissement espéré. Et pourtant...
Ce fut dans l'Aubrac qu'Atti eut peut être le raccourci le plus extraordinaire de tous les avatars du cyclocamping.

Abordé dans le crachin par le Col du Trébatut, dans le brouillard et une pluie fine et pénétrante sur la montée du Col de Bonnecombe, l'Aubrac se défendait, ne voulait laisser l'accès de ses hauteurs désolées qu'à des voyageurs aguerris. Après avoir dressé notre campement en catastrophe près du lieu dit Bonnecombe (une maison) nous eûmes droit à une véritable nuit de tempête et la tente menaça plusieurs fois de s'envoler.

Le lendemain matin la pluie avait cessé. La brume se leva rapidement, chassée par un vent violent, qui ne rencontrait aucun obstacle sur cette vaste étendue sans arbre. Un vent qu'il fallut affronter pour rejoindre Nasbinals, plus proche lieu chauffé.

Et c'est là, sur cette petite route perdue dans une mer verte, assourdie par le sifflement du vent dans les oreilles, les pieds gelés dans des chaussures encore mouillées, essayant tant bien que mal de coller à la roue de Christophe un Christophe suffisamment imperméable aux conditions atmosphériques pour contempler sereinement le paysage c'est là donc qu'Atti apprit ce qu'est le cyclotourisme.

Sur la fin de son voyage initiatique Atti eut à franchir un obstacle où sa belle science toute neuve subirait un test important : nous nous trouvions à Ambert, après avoir dévalé le versant Est des Monts du Livradois en frissonnant dans la fraîcheur du matin. Pour rejoindre Montbrison et les Monts du Lyonnais (à la porte de chez nous), il restait le Col des Supeyres, un os dont le nom endormit notre méfiance. Et pourtant, la route passait par un petit village qui aurait dû faire fuir des cyclotouristes à l'âme moins trempée : VALCIVIERES... Valcivières, à mi pente, gardait le col comme un dragon quelque trésor fabuleux, mais avec un petit air grimaçant et moqueur que nous avons pris à la légère...

Quand les trois intrépides y firent leur entrée, ce fut pour se précipiter sur la fontaine du village. La matinée était bien entamée, il commençait à faire chaud, tout allait encore bien, cependant.

«Christophe et moi, on va se dépêcher un peu, tu suis ton rythme tranquille et la table du pique nique sera toute prête quand tu arriveras, d'accord ?»

Atti acquiesça d'un air entendu et se mit sur son plus petit braquet.

Ce fut alors une autre paire de manches. Je vous épargne la description des peines endurées par les deux téméraires sous la chaleur. Sachez seulement que s'ils parvinrent à pédaler, ce fut uniquement par amour propre (!). Au sommet, ils tiraient encore la langue à qui mieux mieux sans parvenir à reprendre leur souffle, les vélos affalés comme leurs propriétaires dans la bruyère qui couvre les immenses landes des Monts du Forez, quand Atti fit son apparition, en pleine forme et cherchant du coin de l'oeil le pique nique promis. Notre apprentie venait de nous donner une leçon de cyclotourisme (et il n'y avait qu'une Supeyre !).

La conclusion, ce sont deux gamins d'un petit village du Cantal qui nous l'ont donnée, alors qu'ils inspectaient nos vélos d'un oeil connaisseur semble t il. Ils remarquèrent la médaille du Club des 100 cols, qui se trouvait accrochée au vélo d'Atti, à la suite d'un échange de sacs de guidon. «T'as vu la fille, elle a fait 100 cols !" Suivait un sifflement admiratif.

A la réflexion, je ne suis pas sûr que cet épisode n'ait eu aucune influence sur la décision d'Atti de devenir un jour membre de notre Club. Alors amis des 100 cols, vous n'avez plus qu'à bien vous tenir ! D'ailleurs à Ecully une rumeur commence à circuler, disant que là où passe le vélo d'Atti le goudron ne repousse jamais.


(1) La montée d'Yzeron, tel le Col des Ares dans les Pyrénées Commingeoises, constitue le certificat d'études des apprentis cyclos lyonnais, comme aurait dit Pierre Roques.

Loïc DUPRÉ LA TOUR

ECULLY (69)


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