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R..C..P

Revue N° 07 Page 37

16 juillet - 1 heure du matin. Le départ, il fait beau, un vrai plaisir de rouler à la fraîche(malheureusement, ça ne durera pas).

Cinquième kilomètre : un grand coup d'avertisseur, tout le monde se range instinctivement pour laisser passer l'automobiliste pressé... mais ce n'est qu'un train sur la voie ferrée toute proche.

Au hasard des groupes, un cyclo de Saint-Dié; c'est l'occasion de parler du Brabant et de la Charbonnière (une misère à coté de ce qui nous attend).

Sur la route en corniche après Bétharram, tous les groupes se sont ressoudés et ce n'est plus qu'un long ver luisant qui s'étale à perte de vue. Impressionnant mais il faut redoubler de prudence car la route est étroite et sinueuse.

Des "avions" venus de l'arrière déclenchent l'accélération entrecoupée de brusques freinages. Sagement, avec Remy, on se laisse glisser en queue.

Lourdes - 2 heures 45. Quelques voitures suiveuses sont arrêtées et procèdent déjà aux premiers ravitaillements. Sans doute la potion miraculeuse !

Nous sommes seuls et l'on y voit tout juste clair. Bientôt, ça monte, je peine. Salut Remy, à ce soir (j'espère) ! Cette côte m'est restée en travers de la gorge ou plutôt des reins et je me traîne, incapable d'accrocher les wagons qui passent. Ce serait pourtant bien utile avec le petit vent de face qui descend maintenant des montagnes.

Sainte-Marie-de-Campan. Début officiel du premier col : la Hourquette d'Ancizan, voir passer le temps, je répète... "la Hourquette... dans six ans" (oh ! quand même pas!). La Hourquette dans deux heures... dans une heure. Toujours mal aux reins. Un petit soulagement lorsque j'arrête la dynamo. La Hourquette c'est magnifique mais on n'en voit pas la fin. Par deux fois, on pense qu'on y est puis ça monte encore.

Ouf ! j'y suis quand même mais déception : rien de chaud à boire.

Descente annoncée comme dangereuse. Tant pis, je me laisse aller, en évitant les trous. Surprise, j'en double un puis deux puis... 50 au moins. Ce n'est pas vrai, je rêve. Pierre Saltetto va être jaloux.

Arreau. Le seul café ouvert est complètement débordé, alors plutôt que d'attendre un hypothétique café, finissons le lait du deuxième bidon (mais froid bien sûr) et en route pour Aspin. Quelques poses pour dégager les reins de plus en plus douloureux.

Au sommet d'Aspin, c'est la mêlée pour avoir péniblement un petit morceau de gâteau et un demi-verre d'eau (glacée et pas très limpide). Les organisateurs sont débordés alors inutile de s'attarder ici. Descente assez roulante et j'en profite encore.

Sainte-Marie-de-Campan à nouveau. Il est temps, faute de mieux, de manger mon omelette (surtout qu'elle commence à s'infiltrer dans la sacoche) mais avant puisque la Croix Rouge est là, un massage sur les reins pour essayer d'en finir.

Attaque (très molle) du Tourmalet. Pour les reins, ça va maintenant, le Décontractyl fait son effet... mais les jambes ne répondent plus; malgré la pente relativement douce, je me traîne et il commence à faire bien chaud. Le temps est magnifique... pour faire la sieste à l'ombre.

Je n'en peux plus, je m'arrête puis repars en marchant (si Pierre me voyait !). D'autres repartent en sens inverse ou s'accrochent aux voitures. A ce train là, je n'arriverai jamais là haut. Pourtant il le faut... mais après, je laisse tomber et rentre direct sur Pau.

Non ! ce n'est pas possible, ce serait trop... bête ! Avoir tout prévu depuis six mois y compris les vacances pour venir là et tout gâcher. Il faut continuer tant que je serai encore dans les délais.

Mille excuses Véloccio mais parfois il est nécessaire de pédaler par amour propre (ou de marcher ce qui est encore plus humiliant !).

La Mongie enfin ! je m'écroule à la terrasse du premier bistrot venu. Il est près de midi et il faut manger. Pour avaler péniblement un sandwich, un litre de bière sera tout juste suffisant.

Et je repars, quittant sans regret ces affreux blocs de béton qui défigurent le paysage. La gangrène des "usines à sports d'hiver" est décidément en train de pourrir toutes les montagnes ! Quelques jours plus tard, ce sera encore pire à la Pierre-Saint-Martin et là, en plus, on profite de la notoriété apportée par les expéditions et la mort de Loubens - sans commentaire !

Un "Cent Cols" me double (Claude Carle, un des organisateurs de Saint-Etienne où était Roger il y a un mois). Instinctivement, je m'accroche et l'on bavarde ainsi jusqu'au contrôle du Tourmalet où nous trouvons enfin une boisson correcte... et bien fraîche (le neige, frigo naturel est à deux pas).

Nouvelle descente, encore plus roulante celle-là et, à nouveau, je m'en donne à cœur joie. Personne ne me double, dommage, décidément que Pierre ne soit pas là, je suis sûr qu'il y passerait lui aussi. Du coup, le moral est revenu et plus question d'abandonner, bien-sûr.

L'arrivée dans la vallée est moins glorieuse. Le vent maintenant s'est inversé et il fait de plus en plus chaud. Qu'est-ce que ça va être tout à l'heure dans le Soulor où le soleil aura surchauffé le versant sur lequel nous allons passer (exposé plein sud).

Luz-Saint-Sauveur, Pierrefitte, Argelès-Gazost. Je cherche en vain une épicerie ou un restaurant où je puisse prendre un ravitaillement moins bourratif que celui qu'il me reste. A cette heure, tout est fermé et seul un bistrot peut m'accueillir pour déguster une glace.

Premières pentes du Soulor et nouvelle déception : étant déjà passé par là il y a vingt ans mais en descente, je m'attendais à une dizaine de bornes sans trop de problème avant les huit dernières plus raides. En fait, à la sortie du pays, c'est un vrai mur qui se dresse, peu propre à la digestion de ma glace.

Heureusement, ça ne dure que deux bornes mais cela m'a achevé et je dois par moment marcher à nouveau.

Aucun... Enfin une épicerie-buvette ouverte; je m'attable à la terrasse (c'est bon d'être spectateur pendant un quart d'heure !) et j'engloutis un kilo de pêches... et un demi. Oui, je sais, la bière est fortement déconseillée par les diététiciens qui, petit à petit, mettent le cyclotourisme en fiches perforées ou en équations. Mais, tout compte fait, c'est moins dangereux que le mélange essayé par Rémy un peu plus haut (brugnons + diabolo-menthe). Sans être franchement détonant, cet additif s'est révélé très instable et n'a nullement amélioré la carburation. Peu de temps après, ne supportant pas les cahots de la route... il laissait Rémy continuer tout seul !

Arrens. Dernier village avant le col. On quitte la vallée pour vraiment attaquer le Soulor. Rapide calcul : 8 km... vitesse possible à pieds 3 ou 4 km peut-être donc 2 à 2 h 30 pour arriver là-haut. C'est dingue!

A la sortie du pays un "sportif en transistor" croit bien faire de m'encourager confondant cyclos et coureur.

- Allez, vas-y, c'est Pollentier qui a gagné l'étape !

- Qu'est-ce que j'en ai à f... Mon problème, c'est la R.C.P. pas le Tour (et si j'avais su, j'aurais pu ajouter : et moi je ne me charge pas).

Marchant, roulant, suant, m'allongeant sur le bas côté, repartant, j'y arrive quand même à ce Soulor que, avec son compère l'Aubisque, j'ai déjà escaladé deux fois (1958/1968). C'est bien-sûr ma plus pénible ascension, si je reviens encore en 1988, qu'est-ce que ce sera !

Réconfort quand même, je sais que là j'en ai fini avec les grosses difficultés. L'Aubisque dans ce sens n'est rien ou presque, juste les deux derniers kilomètres et s'il le faut je les ferai à quatre pattes (ou à 3, la quatrième tenant le vélo quand même).

La descente sur le Litor est trop courte pour se reposer. Toujours aussi admirable cette corniche mais attention pas trop près du bord, c'est là que dans les années 50, VAN EST et KOBLET ont plongé (il est vrai qu'ils allaient plus vite, eux !). Tout en bas, l'Ouzoum trace un ruban argenté parmi les pâturages où je suis venu pour la première fois en 47 (mais à pieds).

Fini de rêver, après la corniche l'Aubisque commence par 200-300 mètres assez raides. Mais que ce passe-t-il, je m'envole ! Une armoire à glace m'a gratifié d'une poussette à me flanquer par terre. J'ai du mal à tenir ma ligne, et il insiste pendant cinquante mètres. Merci, l'élan est donné. Je continue, c'est bon. Bientôt j'aperçois l'Aubisque, un peu de marche et c'est fait.

Descente très prudente. Gourette, bien changé depuis 58 et même 68. Eaux-Bonnes (c'est là que le diabolo-menthe de Rémy refusa de poursuivre jusqu'à l'arrivée) où j'évite de justesse une estivante volumineuse et inconsciente. Laruns et la vallée. Encore une pause pour reprendre des forces et savourer un peu déjà la joie d'être là. Le demi (sans faux-col) qui m'aide à avaler sucre et biscuits me semble tellement bon que, par gourmandise, j'en reprends un. Au point où j'en suis (géographiquement, physiquement et moralement) ça ne peut plus me faire grand mal.

C'est reparti et sur la route pratiquement plate, des groupes se reforment pour éclater presque aussitôt car tout le monde est épuisé et a du mal à se mettre au rythme du voisin.

Une dernière côte où je suis décramponné mais je reviens dans la descente sur quatre cyclos de Quillan qui, vexés, veulent à tout prix me lâcher. Le 14 dents m'est bien utile pour, à mon tour, les chatouiller dans un long faux-plat descendant... et puis zut, j'en ai marre, c'est idiot de se défoncer encore après une pareille journée.

L'arrivée sur Pau est interminable, de longues lignes droites, des voitures, Jurançon (ah le petit vin blanc !). Pau où le fléchage est quasiment inexistant, je tourne en rond dix minutes (Rémy encore plus malchanceux aura mis une demi-heure).

OUF ! C'EST FINI...

Je retrouve Rémy étendu sur la banquette arrière. Il est là depuis deux bonnes heures, ayant pas mal souffert lui aussi... et adversaire farouche désormais du diabolo-menthe. (La prochaine fois, il essaiera peut-être la bière car il n'y a que les expériences personnelles qui profitent réellement !).

En repartant trois quarts d'heure après, nous croiserons sur la route des rescapés de plus en plus noyés dans le flot des voitures et obligés de remettre l'éclairage. Il en arrivera ainsi jusqu'à minuit.

Comme l'a dit Henri Bosc dans la revue fédérale de novembre, ce fut très pénible à cause de la chaleur et aussi de la distance, les organisateurs ayant eu la main un peu trop lourde et n'ayant pas, en contrepartie, apporté grand chose sur le plan ravitaillement contrairement au B.R.A. de l'an dernier.

Si j'avais connu suffisamment tôt la distance (270 km) et la dénivelée (4700 m), il est à peu près certain que je me serais abstenu. Mais voilà lorsque l'itinéraire fut publié, il y avait déjà deux mois que j'avais retenu dans la région pour les vacances et il était trop tard pour se défiler.

Côté matériel, étant donné la longueur du parcours de nuit, l'éclairage portatif est quand même préférable.

B.R.A., C.D.V., R.C.P. - chaque épreuve est plus dure que la précédente... Alors méfions-nous l'an prochain pour le Velay-Vivarais car il fait sûrement aussi chaud sur ces pentes...

Un dernier chiffre avant de conclure. Le lendemain sur la balance, malgré les douze à quinze kilos ingurgités (surtout liquide), il me manquait deux kilos... et quatre à Rémy pourtant déjà assez svelte. Le conducteur idéal pour ne pas surcharger la Toparinette.

PS : Ah j'oubliais, pour le titre, R.C.P. ce n'est pas Randonnées des Cols Pyrénéens mais Randonnée Cyclo Pédestre !

Pierre CORDURI

Étréchy (91)


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