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« Nous roulons. »

Revue N° 33 Page 67

Nous roulons et les nuages glissent et se déploient à nos côtés
Plus nous roulons et plus les chemins se déplient,
S’ordonnent et se croisent.
Nous roulons et la lumière se produit,
Se joue des ombres ou s’obscurcit.
Nous roulons et le temps flâne alentour
Ne sachant pas s’il doit nous accompagner sans relâche
Ou s’absenter et musarder.
Nos roues tournent et le monde trouve son tempo
Nous nous déhanchons et le monde acquiert un rythme
Nous roulons et les arbres se décomptent devant nous
Les montagnes se masquent et se démasquent
Nous grimpons et notre tête se tourne vers les cimes
Empruntant aux alpages leurs vues élargies
Nos idées se déploient comme des nues sinuant entre ciel et terre.
Nous grimpons encore et les villages s’effondrent.
Nous grimpons toujours et la terre flotte et se dissout,
Seule la roche s’impose et s’immobilise.
Nous grimpons et le soleil lance ses arbalètes sur nos casques.
Nous grimpons encore et, comme une stase en reflux,
Un étau de chaleur et de vide intense nous saisit.
Notre front s’écoule devant nos yeux
Nous grimpons et nous nous amenuisons
A proportion du sol sous nos roues.
Tant de lumière jetée sur une pensée qui sombre !
Et tant de pluie, parfois, qui berce le lent balancement d’élévation
Ou encore cette froide crispation qui tue tout mouvement ;
Ce sont autant d’émois saisissants et de signes que nous grimpons.
Si nous nous ployons sur notre renne de fer en faisant le gros dos
C’est pour avoir raison d’un monde inhospitalier.
Le monde se plie sous les bourrasques et le froid
Et nous nous recroquevillons.
Le monde s’enfle sous le soleil ou une douce pluie
Et notre allure s’accroît, nos alentours s’étoffent.
Si nous traçons sans arrêt des sillons sur la terre
C’est qu’elle a besoin de ces ravines pour écouler ses eaux.
Si nous créons encore plus de turbulences dans l’air
C’est pour répondre à la demande de l’espace
De toujours plus de creux pour respirer
La quiescence du monde a besoin de l’agitation du cycliste,
De ses tracés de voies qui organisent ses espaces,
De ses trouées dans l’air qui mêlent senteurs et exhalaisons,
De ses escalades qui assoient des marches vers le ciel
Et des rampes illusoires vers un au-delà fictif.
Nous roulons et les grumeaux du revêtement lépreux nous assaillent
Le grain de la terre serait-il aussi fin
Sans les allers et venues de nos roues sur ses aspérités ?
Nous virevoltons pour gagner encore plus de chemin
Notre vélo s’enchaîne à nos jambes pour encore plus de liberté.

Hubert Court

CC n°5600


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