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LE 2000ème du Gros Sac :

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Nous sommes une douzaine de bons copains qui cyclons ensemble un peu partout depuis plusieurs décennies. Nous aimons beaucoup les bons vins, la bonne chère, le vélo en montagne, les beaux cols ... et nos épouses, bien entendu ! Chacun d’entre nous totalise entre quelques centaines et quelques milliers de cols. Cinq sont membre des Cent Cols, trois vont enfin nous y rejoindre, mais les autres sont totalement allergiques à ce type de comptabilité.

Seniors pour la plupart, nous avons conservé des habitudes de potaches. Nous avons ainsi nos surnoms, notre vocabulaire, nos rites, nos plaisanteries… qui nous réjouissent toujours autant… même si leur répétition désole parfois nos familles. L’une de nos traditions est que celui d’entre nous qui va franchir la barre d’un millier de cols doit inviter ses amis à l’accompagner dans cette ascension millénaire… et surtout dans le bon gueuleton qui suivra cet exploit.

Acte 1 : juin 2004, nous recevons un mail du « Gros Sac », nous demandant de réserver impérativement le premier week-end de septembre pour franchir à ses côtés son 2.000ème col, puis déguster ensemble le gigantesque aïoli que son épouse nous servira à cette occasion. Certes, ce surnom de « Gros Sac » n’est pas très original pour un gaillard de 1,95 m et de 110 à 115 kilos (selon les saisons). Habitant Cluses, il préfère évidemment celui de « Grand Massif », surtout lorsqu’il se trouve en présence de tiers, étrangers à notre folklore.

Il est important de préciser dès maintenant que notre Gros Sac a quand même grimpé tous les plus grands cols de l’arc alpin, des 3.000 et des 4.000 au Colorado, et des épouvantails comme le Zoncolan, l’Angliru, etc… Il présente probablement l’un des meilleurs ratios : cols/poids de notre Confrérie ! Sa convocation nous précise que le rendez-vous est fixé à Grans, dans les Bouches du Rhône, à quelques kilomètres au sud de Salon de Provence où notre ami possède une maison de famille. En revanche aucune information, ni sur le circuit, ni sur le col qu’il a choisi pour être son 2.000ème.

Acte 2 : bien entendu, nous confirmons tous notre venue. Nos randonnées de l’été se passent sans que nous arrivions à lui arracher le moindre tuyau sur ce col mystérieux. Nous sommes tous perplexes car, sachant qu’il va à Grans depuis très longtemps et qu’il a dû écumer tous les cols de la région, nous n’arrivons pas à identifier celui qu’il aurait pu oublier dans les Alpilles ou le Lubéron.

Samedi 4 septembre, nous sommes donc tous en selle à Grans à 9 h … sans savoir où nous allons rouler, ni à quelle heure nous rentrerons. La seule information dont nous disposons par nos épouses est que l’aïoli sera servi à 14 h dernier délai. Le Gros Sac prend le capitanat de route et nous voilà partis à sa suite au travers de zones industrielles, de parkings de supermarchés, de voies rapides, de ponts d’autoroutes et de TGV, de canaux, de lotissements en construction, d’abords de raffinerie, etc… Et, plus le peloton gronde, plus notre Gros Sac jubile !

A un moment donné, sur une petite route désespérante de platitude, nous arrivons à un carrefour important. Le Gros Sac nous arrête en disant : « Faites très attention, nous allons traverser la Nationale 7, regroupement de l’autre côté ». Après l’autoroute et le TGV, la Nationale 7 … il ne manquait plus que cela ! Nous traversons prudemment entre les voitures et nous regroupons tous de l’autre côté. C’est alors que notre ami prend solennellement la parole et nous annonce avec un sourire béat de satisfaction :

- « Chers Amis, merci à tous de m’avoir accompagné, nous venons de franchir mon 2.000ème col, j’ai nommé : le Pas des Lanciers, inscrit dans un additif récent du Chauvot ».

Les réactions ne se font pas attendre. Hurlements des non-Centcolistes : « Imposture, mascarade, affligeant, pitoyable, grotesque… ». Gêne des Centcolistes : « Tu ne t’es pas trompé ? Tu es sûr qu’il est au Chauvot ? Tu aurais pu en choisir un autre, on a l’air fin ! ». Enfin, confusion du signataire (membre de la CERP, je n’avais pourtant pas bien mémorisé les additifs, ni assez bien lu la dernière revue de la Confrérie): « Ce n’est pas possible, il n’y a aucun relief, ce ne peut pas être un col,… je vais vérifier tout cela ».
Heureusement, le Gros Sac avait ensuite placé sur le chemin du retour le petit Col de Ste Anne ! Ses passages à 16, 18 voire 20 % firent rapidement taire les ricaneurs. Ils reprirent vigueur durant l’aïoli (superbe) et, sous les quolibets et les sarcasmes qui fusaient de toute part, il fut très difficile aux Centcolistes d’assurer la défense du sérieux de la Confrérie ! . Le Cerpien de service finit par taper en touche en promettant qu’il tirerait cette affaire au clair sans tarder.

Acte 3 : dès mon retour, je me jette donc sur les cartes et sur la documentation dont je dispose. Je finis par tomber sur l’additif 2003 qui comporte bien un « Pas des Lanciers » aux coordonnées Michelin : 13-0100 84-01 079-042 et sur la revue des Cent Cols 2004 dont 2 pages intéressantes sont consacrées à la toponymie de ce Pas des Lanciers. Puis, je sors le double décimètre et découvre avec ravissement que ce Pas des Lanciers là se trouve en fait sur la D 26, à une dizaine de km au nord de l’endroit où nous sommes passés. Notre Gros Sac s’est donc planté dans son circuit et n’a toujours pas franchi son 2.000ème col. D’un mail vengeur à l’intitulé : « Tout est à refaire, nous retournerons à Grans pour un second aïoli », je règle mes comptes avec mes copains en pensant sauver l’honneur de la Confrérie.

Patatras ! Quelques heures après, l’un d’entre eux : « Mahousse » (le « costaud » de la bande, évidemment), répond en me signalant, sur un ton plus qu’ironique, que si j’avais poussé mes recherches plus avant j’aurais également découvert, et cette fois-ci dans l’additif 2004, un autre Pas des Lanciers aux coordonnées Michelin : 13-0110 84-02 030-082 situé sur la Nationale 7 à l’endroit précis où nous l’avions traversée.

J’en appelle aussitôt à René Poty qui me confirme qu’il y a bien deux Pas des Lanciers, récemment inscrits au Chauvot (j’aurais dû m’en souvenir…), et qui m’envoie des scans de cartes démontrant l’existence de ces deux nominations. Grâce à ces cartes, j’essaye bien de m’en tirer honorablement en expliquant à mes amis que les coordonnées du Pas des Lanciers sur la N 7 sont plus probablement : 84-02 028-081, soit au niveau de la Colline du Pas des Lanciers, que: 84-02-030-082 au carrefour tout plat que nous avons traversé (le détail a son importance, le premier est à 110 m d’altitude et le second à …109 m !).

Mince satisfaction, mais peine perdue ! L’additif du Chauvot faisant foi, je dois reconnaître que le Gros Sac a donc bien franchi son 2 000ème col et qu’ il n’y aura malheureusement pas de second aïoli.

Epilogue : quelques jours plus tard, je reçois un coup de téléphone du Gros Sac : «Figures-toi qu’hier, en consultant distraitement la Michelin 84 avant de m’endormir, j’ai bondi du lit. Il y a un troisième Pas des Lanciers dans le même coin, légèrement au sud-est de Marignane !». Je lui réponds :« Tu ne crois pas que deux ça suffit ?» Et bien, il avait raison, il y a bien un troisième Pas des Lanciers dans le secteur. Certes, il n’est pas (encore) inscrit au Chauvot, mais si des « Pas » peuvent être assimilés à des « Cols », pourquoi celui-ci n’aurait-il pas la même destinée que les deux autres ?

Et puis, comme Michel de Brébisson nous a montré que « Lanciers » peut venir en fait de « l’Ancié » ou « l’Encié » qui signifie en vieux provençal: incision, échancrure, entaille, brèche, ….et que des brèches, il y en a des tas dans la région, nous ne sommes peut-être pas au bout de la liste !

Evidemment, le Gros Sac est très fier de son coup, car on se souviendra tous de son 2 000ème col. Pour ma part, je choisirai pour mon 2 000ème « un vrai beau col de montagne » à 2 000 m ou plus.
En revanche, il me sera certainement difficile de faire aussi bien que son aïoli !

Bernard Chalchat

CC n°837


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